L’Iran a déjà prononcé 55 condamnations à mort

vendredi 16 décembre 2022.
 

L’exécution inattendue du jeune manifestant Mohsen Shekari pour « inimitié à l’égard de Dieu » témoigne du fait que le régime de Téhéran ne mise que sur la répression pour venir à bout de la contestation. Plusieurs autres pendaisons semblent imminentes.

Mohsen Shekari

De la cruauté. De la pure cruauté. C’est ce qu’ont montré à l’égard de Mohsen Shekari les autorités judiciaires iraniennes en lui laissant entendre que le bassidji (milicien) qu’il avait blessé d’un coup de machette, le 25 septembre, lors d’une manifestation, allait retirer sa plainte contre lui.

De retour d’un interrogatoire à la prison d’Evin, près de Téhéran, le jeune homme avait alors confié à un codétenu son espoir de voir sa condamnation à la peine de mort par un tribunal révolutionnaire commuée en dix années de prison.

En dépit de cette incertitude, Mohsen Shekari pariait quand même sur l’avenir. Garçon de café au moment de son arrestation, il voulait devenir youtubeur et rêvait de s’acheter une nouvelle console de jeux vidéo dès sa libération. Un codétenu lui avait même promis de l’aider.

Ses parents croyaient aussi qu’il serait épargné. D’après Karim Sadjadpour, chercheur à la Fondation Carnegie pour la paix internationale, installée à Washington (États- Unis), les autorités leur avaient aussi promis que leur fils ne serait pas pendu s’ils « gardaient le silence » sur sa condamnation.

Ce que confirme le site d’opposition 1500tasvir dans un tweet : « Alors que sa famille espérait qu’il fasse appel et n’avait pas d’information à son sujet, la République islamique, de façon inattendue, l’a exécuté. »

Le jeune homme a été pendu jeudi 8 décembre à l’aube. Soit dix-huit jours seulement après sa condamnation en première instance, sous l’accusation d’être un mohareb, « un ennemi de Dieu ». Il était âgé de 23 ans. Sa famille n’a été avertie qu’après sa mort et son enterrement au cimetière Behecht-e Zahra de Téhéran a dû se faire en catimini, après des négociations avec les autorités.

On peut voir dans une vidéo déchirante diffusée sur les réseaux sociaux la mère de Mohsen Shekari crier le nom de son fils dans une rue de Téhéran, en même temps que son désespoir d’avoir été trahie.

D’après les médias officiels, l’accusation lui reprochait, outre la blessure infligée au milicien, d’avoir bloqué une grande artère de Téhéran pendant une manifestation lors des premiers rassemblements consécutifs à la mort en détention, le 14 septembre, de Mahsa Amini.

Lors de son procès, le jeune homme n’a eu ni avocat ni témoin. En violation de la loi iranienne, il a même été exécuté deux jours avant la fin de la procédure d’appel, laquelle semble lui avoir été refusée. Auparavant, il avait été contraint d’enregistrer une confession diffusée ensuite sur le site Fars, contrôlé par les Gardiens de la révolution. Un hématome était visible sur sa joue droite.

C’est la première exécution d’un manifestant depuis les débuts du mouvement de contestation provoqué par la mort de Mahsa Amini. Mais la cinquième si l’on prend en compte quatre autres exécutions, le 2 décembre, d’opposants baloutches accusés d’« intelligence avec Israël » avant le début du mouvement, pour des faits dont on ignore tout. « Si la communauté internationale ne réagit pas immédiatement et fermement à cette exécution, avec des conséquences sérieuses pour le gouvernement iranien, nous assisterons à une exécution massive de prisonniers », a averti samedi, dans un communiqué, Mahmoud Amiry-Moghaddam, directeur de l’ONG Iran Human Rights (IHR), basée en Norvège.

L’arme des fausses accusations

Au total, selon un collectif d’avocats qui préfère rester anonyme, 55 personnes ont été condamnées à mort depuis le début du mouvement de contestation. « Toutes ont été identifiées, avec leur chef d’inculpation vérifié et leur lieu de détention », a précisé l’un d’eux. On compte parmi elles cinq mineurs. Les chefs d’inculpation, tous passibles de la peine capitale, sont « inimitié à l’égard de Dieu et corruption sur la Terre », atteinte à l’autorité de l’État, intelligence avec l’ennemi et infractions relatives à des atteintes aux biens ou aux personnes.

Lors d’une conférence de presse, le 17 novembre dernier, dans le cadre du 8e Congrès contre la peine de mort qui s’est tenu à Berlin, Mahmoud Amiry-Moghaddam, directeur de IHR, avait dénoncé le piège dans lequel le régime iranien s’emploie à faire tomber les contestataires. Comme il ne peut légalement prononcer des condamnations à mort pour avoir participé à des manifestations – elles sont autorisées par la Constitution de la République islamique –, il s’efforce de fabriquer de fausses accusations.

« Le régime utilise la peine de mort pour répandre la terreur au sein de la contestation. C’est bien plus fort que de tirer sur les manifestants dans la rue. Il est très courant qu’un manifestant soit forcé d’avouer des faits qu’il n’a pas commis, souvent sous la torture. On lui promet qu’il échappera à la condamnation à mort. Mais une fois passé aux aveux, ses propos sont retournés contre lui », déclarait-il.

Le silence des parents de Mohsen Shekari n’ayant pas permis de sauver leur fils, d’autres familles ont décidé de rendre publiques les condamnations à mort de leurs enfants quand elles ont été cachées par l’institution judiciaire. Actuellement, au moins 11 manifestants sont susceptibles d’être pendus d’un jour à l’autre.

La mort pour une poubelle brûlée

Les plus menacés sont Mahan Sadrat, 23 ans, et Ali Moazzami Guderzi, 20 ans, qui ont été transférés dans des cellules d’isolement à Téhéran et à la prison de Gohardasht, à Karaj, ce qui signifie que leur exécution est imminente. Selon le site Mizanonline, du ministère de la justice, le premier est accusé d’avoir brûlé la moto d’un bassidji. Le milicien a pourtant retiré sa plainte, mais le parquet a maintenu son accusation.

Mohammad Mahdi Karami, un champion de karaté, le comédien Hossein Mohammadi et Reza Aria, tous trois condamnés aussi à la peine capitale par le tribunal révolutionnaire de Karaj pour le meurtre d’un bassidji, sont aussi menacés d’une exécution prochaine.

De même que le médecin radiologue Hamid Ghareh Hassanlou, condamné à mort le 7 décembre, à Karaj. Sa femme, Farzaneh, a été condamnée à 25 ans de prison à la prison d’Ahvaz (sud de l’Iran), sans possibilité de recevoir aucune visite.

Selon divers récits, le médecin et sa femme avaient participé, le 3 novembre, à une cérémonie pour le 40e jour de la mort de Hadith Nadjafi, tué lors d’une manifestation. À la suite d’un embouteillage, ils ont changé de route pour se retrouver bloqués près d’un endroit où un milicien venait d’être tué lors de la répression d’un rassemblement. Selon Amnesty International, les autorités judiciaires ont torturé le médecin pour obtenir de fausses confessions et obligé sous les coups sa femme à témoigner contre lui.

Le rappeur kurde Saman Yassin est aussi accusé d’être un mohareb pour avoir publié des messages de soutien aux manifestant·es sur les réseaux sociaux et écrit plusieurs chansons de protestation. Sa mère, qui a imploré dans une vidéo l’aide de la communauté internationale pour le sauver, a fait savoir qu’il avait été en fait arrêté pour avoir mis le feu à une poubelle : « Dans quel pays au monde quelqu’un peut-il être condamné à mort pour une poubelle brûlée ! » La même peine a aussi été prononcée contre Sahand Nour Mohammadzadeh pour avoir brûlé pareillement une poubelle et des pneus.

Un autre rappeur incarcéré, Toomaj Salehi, attend d’être renvoyé devant un tribunal d’Ispahan, où il risque à son tour d’être condamné à mort du fait d’une double inculpation, chacune étant passible de la peine capitale. Trois adolescents ont, de leur côté, été condamnés à 25 ans de prison, également pour des poubelles brûlées.

La République islamique d’Iran détient déjà le triste record du nombre d’exécutions par habitant dans le monde. Elle est aussi le pire bourreau des femmes, avec 185 pendaisons depuis 2010, et 73 % des exécutions de mineurs dans le monde portent sa signature.

À cette sinistre liste, il faudrait ajouter les détenus qui sont morts dernièrement sous la torture, comme Shadman Ahmadi, arrêté le 8 décembre à Dehgolan, et décédé quelques heures plus tard dans le commissariat de cette ville kurde de l’ouest de l’Iran, selon des informations de l’ONG kurde Hengaw.

À Téhéran, des marches silencieuses ont commencé pour protester contre les exécutions. Il n’y en avait pas eu depuis « la révolution verte » de 2009.


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