Vietnam, une guerre civile ? L’histoire revue et corrigée sur Arte

dimanche 26 février 2023.
 

Présenté le 9 janvier 2023 sur la chaine Arte, le documentaire : Vietnam, une guerre civile [1] est introduit par cette affirmation : « de la guerre d’Indochine (1946-1954) à celle du Viêtnam (1955-1975), un retour éclairant sur trois décennies d’un conflit qui, avant tout, a dressé les Vietnamiens les uns contre les autres ».

Alors, révélation sur une vérité trop souvent éludée ou reprise d’une antienne ayant déjà beaucoup servie ?

La colonisation française au Vietnam

Il aurait été souhaitable que l’on assiste à une démonstration historico-politique qui conduise (bien ou mal) à la conclusion que ces conflits étaient avant tout des guerres civiles, plutôt qu’à une affirmation en préambule et à une argumentation faussée pour faire rentrer à tout prix cette thèse dans un cadre préétabli.

En commençant le récit à la fin de la guerre d’Indochine, après Dien Bien Phu et au moment de la conférence de Genève, l’auteur occulte toute la période de la colonisation qui en fracturant et façonnant la société vietnamienne a créé les conditions même des drames à venir. Parler de « guerre civile » et de « lutte fratricide » exonère dès lors les autorités françaises de toute responsabilité en escamotant même le terme de « guerre coloniale ».

Il aurait aussi été intéressant de savoir à partir de quelle date est-il possible de considérer qu’il y a eu une « guerre civile » au Viêt Nam ? 1945 ? 1946 ? 1949 ?

Il n’est jamais question ni de la manière dont la colonisation n’a jamais pris en compte le désir de bien des Vietnamien/nes de prendre leurs affaires en main, ni de la manière dont elle a réprimé toute tentative d’émancipation, même les plus modérées. Comment comprendre quoique ce soit si on occulte les 2/3 de l’Histoire. Car, dans cette période occultée, il y a, à partir de mars 1945, l’anéantissement de l’administration coloniale par le Japon, la révocation des traités de protectorat et la mise sur pied d’un gouvernement de nationalistes modérés. La révolution d’Août quelques mois plus tard est un raz de marée qui submerge le pays et c’est la violente reconquête militaire française qui plonge le pays dans la guerre. Et à partir de là c’est en jouant sur les divergences entre les différents groupes politique vietnamiens (et en profitant des erreurs de certains) que les autorités françaises parviennent à diviser et à fracturer un mouvement qui dans son ensemble, unanimement, souhaitait l’indépendance du Viêt Nam. Que ce soit la création d’une hypothétique « république autonome de Cochinchine » ou lors de la mise en place de la « solution Bao Daï » qui a consisté à accorder à l’empereur, jadis démissionnaire, ce qui avait été refusé au gouvernement Hô Chi Minh : à savoir une indépendance dans le cadre de l’Union Française. Ce qui est passé aussi sous silence c’est l’évolution du PCI et d’Hô Chi Minh de 1945 à 1948 et qui met à mal le « clivage idéologique » présenté comme une donnée fondamentale du conflit (cette évolution est à mettre en corrélation avec celle du mouvement communiste international à la même époque). En 1945, le Vietminh bénéficie du soutien des USA qui le considère comme une force anti-japonaise d’une part et d’autre part de la politique de Roosevelt est hostile au rétablissement des empires coloniaux. C’est parce qu’il se croit comme faisant partie du camp des Alliés que le Vietminh (contrairement à d’autres forces politiques) ne s’oppose pas au débarquement des troupes britanniques qui, dans la foulée, rétablissent l’ordre colonial français. Après la sanglante reconquête du Sud, les accords de mars 1946 permettent à l’armée française de reprendre pied dans l’ensemble de l’Indochine sans avoir à combattre. Durant l’année 1946 la France consolide ses positions sans rien accorder de fondamental au gouvernement Hô Chi Minh. Gouvernement qui comprend de nombreux ministres non-communistes. Quelle est la lutte fratricide à cette époque ? C’est à partir du déclenchement des hostilités en décembre 1946, et donc le passage du gouvernement vietnamien à la clandestinité et au maquis, que les autorités françaises tenteront de susciter un regroupement politique vietnamien qui lui convienne. Ce sera, après bien des vicissitudes, que le sera proclamé le 14 juin 1949 l’état du Viêt Nam qui enverra son armée naissante combattre aux côtés des forces françaises. Les conditions même de la naissance de l’état vietnamien, qui ne sont pas expliquées dans le documentaire, sont telles que ses forces armées seront majoritairement considérées, au mieux, comme de simples supplétifs du Corps expiditionnaire et non comme une armée nationale. L’existence même de l’état et de son armée, doivent tout à la puissance coloniale. Le terme de guerre civile dès lors prend plus un aspect de polémique politique qu’une évidence que l’on voudrait nous imposer comme un dogme.

La « guerre américaine » au Vietnam

En ce qui concerne la « guerre américaine » le concept de guerre civile est sur le fond guère plus pertinent. Les USA, qui ont financé la plus grosse partie du budget de guerre de la France, souhaitent, selon leur conception de « l’anticolonialisme » [2], remplacer l’influence de celle-ci en Indochine et au Viêt Nam en particulier. Pour cela ils imposent leur candidat, Ngo Dinh Diem, par le putsch et la fraude électorale et évincent l’ex empereur Bao Daï devenu chef de l’état vietnamien. Le documentaire précise bien le coté dictatorial derrière « une démocratie de façade » du régime, la mise au pas (en en prison) de toute opposition même la plus modérée. Le « neutralisme » est aussi harcelé que le « communisme ». En endossant la politique américaine qui a refusée de signer les Accords de Genève et en particulier l’organisation d’un référendum national en vue d’une réunification prévu pour 1956, le nouveau régime du Sud, ouvre la porte à un nouveau conflit en même temps qu’il se voit qualifier de « fantoche » et de « marionette des Américains ». Fantoche ? Oui dans la mesure où sans les USA le régime n’aurait pas longtemps, mais il faut souligner aujourd’hui, avec un regard historique sur la période, que le personnel politique du Sud Vietnam était, en grande partie, issu de la vie politique du pays et des différents courants qui avaient tant bien que mal essayer d’exister depuis le début du siècle. Or le documentaire en ne considérant que deux blocs homogènes de chaque côté ne rend pas compte de la complexité de l’époque. Contrairement à ce qu’il dit le refus du référendum et donc le viol des accords de Genève ne provoquent pas aussitôt un envoi massif de soldats au Sud.

C’est une des faiblesses du documentaire que de considérer le camp communiste au Vietnam, et internationalement, comme une force homogène et unie à cette époque. Le poids de l’Union soviétique dans le mouvement communiste mondial et ses priorités nationales ne sont pas sans créer des remous et des critiques. Le concept de « coexistence pacifique » n’a pas le même sens en URSS que dans un pays d’Asie directement confronté à l’impérialisme. La rupture sino-soviétique au début des années 60 a des répercutions plus ou moins importantes dans l’ensemble des partis communistes. Si officiellement le PCV garde des contacts l’URSS et la Chine et ne prend pas position pour l’un ou l’autre, la majorité du PCV, avec Lê Duan secrétaire général, penche pour les positions chinoises.

La création fin 1960 du Front National de Libération au Sud regroupe au départ certes d’anciens partisans Vietminh mais aussi nombre de personnalités « modérés » jetées dans la clandestinité par la dictature du régime. Si la lutte armée reprend au Sud Vietnam ce n’est pas par l’envoi de troupes envoyées du Nord mais d’abord par l’autodéfense des villages en but au ratissage de l’armée de Diem. La politique du régime sudiste est telle qu’elle provoque la révolte des Bouddhistes. Le prétendu « homme fort » du Viêt Nam qui prétendait être le rempart au communisme dans la région plongeait son pays dans l’instabilité et le chaos. Ayant échappé à deux tentatives de putsch en 1960 et 1962, le troisième, le 1er novembre 1963, fomenté par des officiers de son armée (avec bien sur le consentement de la CIA) faisait tomber le régime, haï par beaucoup de Vietnamiens. Diem et son frère Nhu furent assassinés dans un blindé de l’armée et non « à la sortie de la messe ».

Les années qui suivirent furent d’une instabilité chronique putsch et coup d’état se succédèrent pour placer divers militaires à la tête de l’état, cet aspect n’est pas traité dans le documentaire. La question, politique, de l’incapacité des forces politiques du Sud a instauré une gouvernance stable est éludée. Le régime est incapable de se concilier une base sociale durable. Il est contesté par les Bouddhistes, mais aussi les étudiants et les forces politiques diverses qui souhaitent la paix. L’intervention militaire massive des USA début 1965 évite au régime de s’effondrer et, dans les faits, prend la direction des opérations militaires. Le duo Nguyen Van Thieu et Nguyen Cao Ky deux militaires devenus président et premier ministre en 1967 aura du mal a donner un vernis démocratique à un régime qui, s’il se stabilise un peu, n’offre pas d’alternative à la politique américaine.

Là aussi le terme de guerre civile entre Vietnamiens occulte les responsabilités américaines, écrasantes, et le documentaire escamote la réalité d’un Sud Viêt Nam divisé politiquement et pas seulement entre communistes et non communistes. Il n’explique pas plus le bouleversement, la déstabilisation de la société, qu’à constituer l’irruption de centaine de milliers de soldats américains (jusqu’à 500 000) dans un pays fragilisé : déplacement de populations, explosion démographique des centres urbains, corruption et trafics en tous genres, prostitution massive…

L’offensive du Têt en 1968, expliquée de manière unilatérale et uniquement comme le témoignage de « l’obstination du Nord ». Les massacres de Hué auraient demandé plus d’explications et de circonspection sur cette bataille de 33 jours, de même l’affirmation à propos l’exécution sommaire d’un Vietcong par la chef de la police de Saigon au motif qu’il aurait massacré toute une famille, une thèse émise par un journaliste anglais en… 1986. Pourquoi cette thèse n’a pas été mise en avant à l’époque, en 1968, alors que les médias étaient braqués sur l’évènement et pourquoi maintenant est-elle prise comme une vérité historique ? Pourquoi les massacres US comme My Lai en 1968 ne sont pas évoqués ?

Ce qui n’est pas évoqué non plus c’est qu’après l’offensive du Têt, qui fut une défaite militaire pour le FNL, et qui a vu alors beaucoup de ses cadres et militants tués, le poids du Nord fut de plus en plus important. Paradoxalement c’est cette défaite qui allait pousser l’opinion américaine à vouloir sortir du conflit et encourager le mouvement anti-guerre. La vague d’assassinats de l’opération Phoenix (sur le modèle français de la Bataille d’Alger) a aussi contribué à éradiquer les structures du Front au Sud dans les villes et les campagnes. On ne peut comprendre le poids politique important des représentant de la RDVN (dont se sont plaint bien des résistant/es sudistes) après 1975, si on ne connait pas ces faits.

Deux thèmes permettent de relativiser si ce n’est contester, bien légitimement, cette thèse de la « guerre civile ». Tout d’abord le thème du « jaunissement » du Corps expéditionnaire français au début des années 50. Le Corps Expiditionnaire était déjà multicolore puisqu’une grande partie des soldats provenaient d’Afrique noire et du Maghreb tandis que les Allemands de la Légion étrangère (anciens de la Wehrmacht et de la SS) qui représentaient 50 % des effectifs apportaient aussi une touche d’un exotisme particulier. La participation de Vietnamiens dans la guerre d’Indochine est tardive et elle est très largement suscitée par les autorités françaises qui ont eu bien du mal à mettre sur pied un état vietnamien. Jusqu’à la fin de la guerre l’autonomie du gouvernement de Bao Dai est très relative. Comment dès lors comment parler de guerre civile ?

Le second thème durant la « guerre américaine » est, à partir du début des années 70, celui de « vietnamisation ». C’est-à-dire remplacer les troupes américaines par des troupes vietnamiennes. D’une part parce que l’implication américaine dans ce qui est considéré comme un bourbier est impopulaire et le nombre très important de tués et blessés a contribué à créer un vaste mouvement contre la guerre. Au sein de ce mouvement, les anciens combattants de retour du Viêt Nam sont les plus virulents. Nixon s’est fait élire sur la promesse du retrait américain, il faut donc pour poursuivre la guerre enrôler les Vietnamiens du Sud. L’armement et la logistique sont fournis par les USA qui tout en prévoyant leur retrait étendent la guerre au Cambodge (1970) et au Laos (1971) avec les conséquences que l’on connait. C’est l’implication de forces vietnamiennes par les USA qui créent les conditions de la « guerre civile » puisque de part et d’autre les morts sont désormais vietnamiens. Cela crée une situation propice dès lors à la cristallisation de positions irréductibles de part et d’autre. (Ce fut aussi la tactique utilisée en Irlande du Nord par les Britanniques à partir de 1973/74 avec la politique d’Ulstérisation qui en impliquant davantage les nord-irlandais dans le conflit a considérablement vicier les relations entre les communautés).

Que les films hollywoodiens glorifient (ou pas) les soldats américains n’est pas une surprise de là à vouloir en conclure que c’est une volonté de « de présenter celle guerre comme celle des Etats-Unis » au détriment des Vietnamiens est plus que contestable, c’est même risible…

Dominique Foulon

Notes

[1] https://www.arte.tv/fr/videos/10352...

[2] voir le livre Un américain bien tranquille de Graham Greene publié en 1955 et les deux films éponymes qui en ont été tiré en 1958 et 2002 qui rend compte des implications américaines à la fin de la guerre d’Indochine et de son rôle essentiel dans les bouleversements qui surviendront dans l’état vietnamien.


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