La guerre des manifs est déclarée

mercredi 3 mai 2023.
 

La stratégie des opposants à la réforme des retraites fonctionne : la multiplication des manifestations partout sur le territoire entrave les déplacements ministériels. Les préfets tentent par tous les moyens de les interdire à coup d’arrêtés au contenu parfois ubuesque et publiés à la dernière minute. Un procédé illégal.

Ça fonctionne ! Les manifestations des opposants à la réforme des retraites prévues à chaque déplacement ministériel entravent avec brio les agendas des ministres. Face aux comités de « non-accueil » de la CGT ou des « CasserolesChallenge » d’Attac, nombreux sont les membres du gouvernement à annuler leurs déplacements. Ce 21 avril, Olivier Klein, secrétaire d’État au Logement, devait visiter la Bourse départementale du travail à Bobigny. Annulé. Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la formation professionnels, devait se rendre dans deux lycées à Toulouse. Annulé. Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des Petites et moyennes entreprises a écourté son passage à La Baule. Enfin François Braun, ministre de la Santé, s’est rendu à Montreuil. Visite écourtée – le ministre escorté et emmené vers la sortie par une porte dérobée.

Droit de recours

Pour tenter de limiter ces mouvements, l’État reprend ses méthodes préfectorales développées depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites : la publication d’arrêtés d’interdictions de manifester à la dernière minute, voire même après la date d’application. Et ce, en toute illégalité. Le 6 avril, le tribunal administratif de Paris avait déjà décidé que « le défaut de publicité adéquate (…) ainsi que leur publication tardive, faisant obstacle à l’exercice du référé liberté » portait « une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’exercer un recours effectif ». Quelque peu agacé, il a ordonné au préfet de publier ces arrêtés « dans un délai permettant un accès utile au juge des référés ».

Les délais ne permettent pas de saisir les tribunaux administratifs

Or les préfectures n’en tiennent pas compte. À Lyon, la préfecture du Rhône a publié le mercredi 19 avril, un arrêté d’interdiction de manifester qui s’appliquait la veille, le 18 avril à partir de 18 heures. Pour la manifestation du mercredi 19 au soir : l’arrêté est publié une heure avant son entrée en vigueur. Techniquement, cela empêche non seulement la publicité effective de cette décision et donc sa prise en compte par les citoyens – dont quatorze ont été verbalisés mercredi soir sur foi de cet arrêté – mais aussi toute voie de contestation devant le tribunal administratif.

Contacté, le cabinet de la préfète du Rhône, Fabienne Buccio, répond : « Les informations relatives aux arrêtés préfectoraux cités ont été publiées sur notre compte Twitter pour un relais, dans les minutes qui suivent, dans l’ensemble de la presse locale (radio, PQR, web et TV). » Or le tweet annonçant l’interdiction du mardi 18 avril a été publié à 18h24 – soit après l’entrée en vigueur, et celui du mercredi 19, à 16h59 – soit une heure avant. Autant de délais et de méthodes qui ne permettent toujours pas une saisine du tribunal administratif.

« C’est une nouvelle pratique qu’on a vu se développer ces derniers mois, constate maître Jean-Baptiste Soufron, à l’origine du dépôt de plusieurs référé-libertés contre ces arrêtés. On essaye de saisir le plus vite possible c’est très difficile. »

« On détourne l’esprit des textes pour museler l’opposition »

Avec l’association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), il a contesté l’arrêté de la préfecture de l’Hérault prise en vue de la visite d’Emmanuel Macron à Ganges et publié encore très tardivement. Cet arrêté mentionnait aussi l’interdiction dans un périmètre de sécurité, des « dispositifs sonores portatifs ». Ce qui s’est traduit sur place par la confiscation des casseroles et le développement, dans les médias, d’un discours étonnant de la part de majorité : « Être accueilli par des casseroles c’est un trouble à l’ordre public », a clamé Nadia Hai, députée Renaissance sur France info. « La confiscation des casseroles c’est une affaire de maintien de l’ordre », selon Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation nationale.

Ils détournent les textes anti-terroristes pour en faire autre chose mais ça ne marche pas : ça devient ridicule

Pour interdire les « dispositifs sonores portatifs » la préfecture de l’Hérault a appliqué un périmètre de sécurité en utilisant l’article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure. Ce même texte a aussi été utilisé par la préfecture du Bas-Rhin, pour interdire les manifestations mercredi 19 avril, lors de la visite du président. Or ce texte ne peut s’appliquer que pour prévenir des « risques d’actes de terrorisme ».

Son utilisation pour interdire les manifestations constitue un détournement des textes pour l’avocat de l’ADELICO. « Ils détournent les textes anti-terroristes pour en faire autre chose mais ça ne marche pas : ça devient ridicule et quand les choses deviennent ridicules, c’est qu’on est déjà dans l’abus de pouvoir, de décisions qui relèvent de l’autoritaire, insiste Jean-Baptiste Soufron. C’est du droit d’école de commerce et de sciences po : on joue avec les mots, on ignore l’esprit des lois pour priver les gens de leurs droits. On détourne l’esprit des textes pour museler l’opposition. »

Sans surprise, le tribunal administratif n’a pas eu le temps de se prononcer sur la légalité de l’arrêté de la préfecture de l’Hérault. L’exécutif « coupe court à toute forme d’exercice de contre-pouvoir, constate maître Soufron, ce sont les mêmes méthodes qu’avec le Parlement ». Mais les associations ne lâcheront pas, nous indique-t-on, et cherchent le moyen d’accélérer leur saisine.

De nouveau, ce vendredi à l’occasion de la visite d’Élisabeth Borne dans l’Indre, trois arrêtés préfectoraux d’interdictions de manifester ont encore été publiés le matin même pour une application dès… 9heures.

Questionné par France Info sur cette interdiction, Élisabeth Borne a nié : « Il n’y a pas une interdiction de manifester. » Ceci n’est donc pas une pipe.

Par Nadia Sweeny


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