En Macronie, la montée du « national-libéralisme  »

mardi 30 mai 2023.
 

En utilisant tous les moyens à sa disposition pour passer en force ses politiques libérales, l’exécutif prend un tournant que les chercheurs n’hésitent plus à qualifier d’autoritaire.

Le 26 septembre 2017, quatre mois après l’élection présidentielle qui l’avait propulsé au palais de l’Élysée, Emmanuel Macron tenait un discours remarqué sur la démocratie. Dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, pendant une heure et demie, il imaginait «  l’Europe de 2024  ». Une Europe qui devait tenir sur le pilier des «  valeurs de la démocratie et de l’État de droit  ». Ces valeurs n’étaient, à l’époque, «  pas négociables, pas ‘‘à la carte”  », pour le chef de l’État.

Six ans plus tard, l’autoritarisme dont fait preuve le garant de nos institutions pourrait le placer au rang de ceux auxquels il voulait précisément s’opposer  : Viktor Orban en Hongrie, Andrzej Duda en Pologne. Les dérives illibérales de ces deux pays ont toujours été vues du coin de l’œil depuis l’Hexagone, comme si la France en était par nature préservée. Et pourtant. Manifestations interdites, surveillance des voix protestataires, déploiement d’outils technologiques, violences policières, contournement des corps intermédiaires, évitement des débats parlementaires, promulgation d’une réforme des retraites qu’une grande majorité de la population rejette.

Les exemples étaient déjà nombreux, mais les voyants s’allument partout depuis cinq mois. Les institutions qui veillent au respect des libertés ne cessent de sonner l’alarme  : commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, rapporteur spécial de l’ONU sur les libertés associatives, Ligue des droits de l’homme ou encore contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. Les médias internationaux, eux aussi, décrivent la réalité brutale derrière le mythe du «  pays des droits de l’homme  ». Banales réactions par rapport à une crise passagère  ? Pas si sûr, tant la violence autoritaire semble s’être installée au cœur de la pratique du pouvoir.

«  Il y a une intensification de la restriction des libertés comme élément systématique de la politique gouvernementale  », alerte Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit public à l’université Paris-Nanterre. Une dynamique liberticide favorisée par les états d’urgence successifs que la France a connus depuis les attentats terroristes de 2015.

Le pouvoir s’habitue à avoir les coudées franches pour appliquer les dispositifs les plus brutaux.

Ces moments «  ont produit un effet d’abaissement généralisé de la garde vis-à-vis de la protection des libertés. Mais ce ne sont pas les Français qui ont abandonné leurs principes, explique l’autrice de Démocratie en état d’urgence (Seuil, 2022). C’est le pouvoir qui s’habitue à avoir les coudées franches pour appliquer les dispositifs les plus brutaux. Alors que, dans un État de droit, le politique doit chercher la mesure la moins attentatoire aux libertés pour l’objectif recherché  ». Allégorie de cette dérive, les arrêtés préfectoraux qui se fondent sur des dispositifs antiterroristes issus de l’état d’urgence, désormais entrés dans le droit commun par la loi Silt, renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, adoptée en octobre 2017.

L’alibi constitutionnel

Une dérive d’autant plus sournoise qu’elle prend forme dans le cadre constitutionnel de la Ve République. Emmanuel Macron ne s’est pas privé de le rappeler lors de son allocution du 17 avril, trois jours après la promulgation de la réforme des retraites  : « ces changements nécessaires  » ont été «  adoptés conformément à notre Constitution  », proclamait le président. Un argument que Stéphanie Hennette-Vauchez pondère en observant «  la tendance autoritaire  » sur le temps long, celui de la loi sécurité globale de 2021 ou de la loi confortant le respect des «  principes de la République  », qui porte atteinte aux libertés associatives.

Cette détermination à imposer un modèle néolibéral par tous les moyens n’est pas nouvelle. Mais le caractère inédit que revêt la politique d’Emmanuel Macron pourrait résider dans sa capacité à utiliser constamment tous les leviers, aussi violents soient-ils, pour parvenir à ses fins. «  L’atteinte systématique aux libertés publiques constitue l’arme politique majeure du chef de l’État pour imposer des politiques de production d’inégalité sociale  », analyse Jean-François Bayart, politologue et professeur à l’Institut des hautes études internationales et du développement international, à Genève.

Selon l’auteur de L’Énergie de l’État. Pour une sociologie historique et comparée du politique (La Découverte, 2022), Emmanuel Macron s’inscrit dans un courant politique hérité du XIXe siècle  : le «  national-libéralisme  ». «  Ce concept renvoie à la tension entre l’État-nation et le système capitaliste international. Il désigne la triangulation entre l’emprise du capitalisme sur les populations, l’universalisation de l’État-nation comme forme de domination légitime et la généralisation d’une conscience politique nationaliste. Emmanuel Macron est exemplaire de cette triangulation  », explique le chercheur. Entre la fascination pour le Puy du Fou et le «  sommet de l’attractivité  » Choose France, la tension est, pour Jean-François Bayart, «  surmontée par le recours massif et systématique à la répression.  »

Démocratie paravent

De quoi dessiner les contours de l’idée de démocratie dans la tête d’un président qui, tient à rappeler le professeur, n’avait jamais eu la moindre expérience électorale avant d’être élu en 2017, face à Marine Le Pen. Une forme démocratique posée sur le socle d’un libéralisme autoritaire, que le philosophe Grégoire Chamayou donne à comprendre dans son ouvrage La Société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire (La Fabrique, 2018). L’auteur défriche l’origine d’un concept qui théorisait la nécessité, pour une économie libérale, de s’appuyer sur un État vertical et autoritaire. Dans ce système, la démocratie sert de paravent. Elle est un cadre légitime au sein duquel règne l’ordre capitaliste, débarrassé des contre-pouvoirs et des protestations populaires. Et ne tient debout que par le rituel électoral.

Face à cet acharnement à ne pas considérer la légitimité démocratique de la contestation, il est intéressant de noter la passion que voue Emmanuel Macron aux dites «  conventions citoyennes  ». Une «  innovation démocratique  » qui peut «  refroidir les passions brûlantes  » dans un «  moment de trouble  », disait-il, le 3 avril, face aux membres de la convention pour la fin de vie. Cette participation citoyenne, telle que le président l’a organisée, s’inscrit pourtant dans un cadre choisi par l’exécutif, conseillé par d’onéreux cabinets privés, et débouche sur des propositions qui ne sont reprises que lorsqu’elles conviennent au pouvoir.

Une forme «  d’autoritarisme participatif  », comme le formule le maître de conférences en science politique Guillaume Gourgues dans «  Les faux-semblants de la participation  », un article paru dans La Vie des idées. Cette technique gouvernementale, rappelle-t-il, est beaucoup utilisée en Russie et en Chine. De belles références en matière de démocratie.


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