Européennes et Nupes

mardi 23 mai 2023.
Source : Mediapart
 

Unis à l’Assemblée nationale et dans la mobilisation sociale, les partis de gauche pourraient partir divisés aux élections européennes. Un scénario qui discréditerait l’alternative de gauche écologiste au niveau national, alertent certains responsables, qui tentent tout pour l’éviter.

Mathieu Dejean

Le bras de fer a commencé, et il pourrait durer des mois. Alors que la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) se félicite d’avoir fait ses preuves à l’Assemblée nationale et d’avoir été globalement unie pendant la bataille des retraites, elle s’empoigne sur les élections européennes de 2024. Le sujet, décrit au minimum comme « épineux » à gauche, voire « épidermique », a été mis à l’ordre du jour par La France insoumise (LFI), qui souhaite une liste commune aux quatre formations de gauche.

Pour le mouvement de Jean-Luc Mélenchon, le premier et le seul scrutin national avant la présidentielle de 2027 peut être une répétition générale : la gauche doit s’y présenter unie pour incarner l’alternative au macronisme et au lepénisme. « Il faut que les petites logiques d’appareil s’effacent, défend ainsi le député LFI Paul Vannier. On propose une tête de liste écologiste, puisqu’on a six eurodéputés sortants et qu’ils en ont douze. La question, c’est le programme d’action pour nos eurodéputés. Si on fait ça, on peut être devant. »

Vrai débat, faux départ

Le coordinateur de LFI, Manuel Bompard, et l’eurodéputée insoumise Manon Aubry ont fait valoir ce plan d’attaque lors d’une réunion entre les chefs des partis de la Nupes, le 2 mai à Paris, qui portait plus largement sur « l’acte 2 » de la coalition. Au lendemain d’une manifestation du 1er Mai historique, la gauche avait de quoi être optimiste. Mais à l’évocation de cette échéance, les mines se sont assombries.

Outre les réticences du dirigeant du Parti communiste français (PCF), Fabien Roussel, jugeant la Nupes « dépassée », la secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), Marine Tondelier, a maintenu sa position hostile à une liste commune, refusant d’ouvrir des discussions programmatiques, même si elle est pour une candidature commune en 2027.

Si le sujet européen est si cher aux écologistes, c’est qu’il est « au fondement politique du mouvement EELV », explique Olivier Bertrand, le délégué aux relations avec les partis. C’est pourquoi les adhérent·es se sont prononcés à 90 % pour une liste autonome au dernier congrès.

De plus, les écologistes sont particulièrement méfiants à l’égard des Insoumis parce que, historiquement, ils ont fait partie de camps opposés lors du référendum sur le traité constitutionnel européen (TCE), en 2005 – les Verts faisaient alors campagne pour le « oui », et Jean-Luc Mélenchon et son courant du Parti socialiste (PS) pour le « non ».

La révélation politique de Jean-Luc Mélenchon se fait contre l’Europe, c’est constitutif de l’identité de LFI.

David Cormand, eurodéputé écologiste

C’est d’ailleurs sur ce désaccord avec son parti que Jean-Luc Mélenchon avait fini par en claquer la porte en 2008. « Sa révélation politique se fait contre l’Europe, c’est constitutif de l’identité de LFI. Il pourrait refermer la parenthèse de la rupture, mais ce n’est pas ce qu’ils disent », juge l’eurodéputé écologiste David Cormand.

Aujourd’hui encore, l’expression médiatique de Jean-Luc Mélenchon sur les sujets internationaux et européens inquiète les partenaires de LFI – ce sont les points qui ont fait l’objet des plus âpres négociations sur le programme partagé de la Nupes. « En retrait » sur le papier, l’ancien candidat à la présidentielle exerce toujours un magistère intellectuel sur son mouvement, et ses déclarations souvent houleuses – « À bas la mauvaise République ! », lançait-il le 1er mai – continuent de défrayer la chronique.

« C’est une évidence que les propos de Jean-Luc Mélenchon dans une campagne européenne auront une portée peut-être plus forte encore que ceux de la tête de liste, quelle que soit la personne. Ils seront évidemment fondamentaux sur la capacité des électeurs à juger la liste si on converge. Or, jusqu’à maintenant, ne serait-ce que sur l’aspect symbolique, on n’est pas du tout sur les mêmes marqueurs », détaille Olivier Bertrand.

L’Insoumise Manon Aubry, issue de cette France du « non » en 2005, est particulièrement en pointe sur le front de l’argumentation pour tenter de convaincre les écologistes : sur son blog et sur Twitter, elle répond point par point à ce qu’elle juge être des « caricatures ».

« La question du fédéralisme importe beaucoup pour les écologistes, mais combien de fois avons-nous voté sur le fédéralisme au Parlement européen ? Jamais. Sur les accords de libre-échange, les mesures climatiques, le renforcement des pouvoirs du Parlement européen, en revanche, nos votes sont convergents », observe Manon Aubry, qui ne désespère pas de faire bouger les lignes – sa déclaration sur le drapeau européen, symbole d’une « forfaiture démocratique » (en référence au vote du traité de Lisbonne en 2007, après le rejet du TCE en 2005), a cependant profité aux plus rétifs à l’union.

L’amertume dominait donc du côté des « unionistes » après la réunion du 2 mai, annoncée tambour battant par Jean-Luc Mélenchon sur YouTube – ce qui n’avait pas manqué d’irriter ses partenaires, qui s’échinent à faire vivre la Nupes en desserrant l’emprise du chef de file des Insoumis. L’ambiance rappelait celle de l’avant-présidentielle de 2022, quand les mêmes protagonistes se tournaient le dos en attendant que le résultat du scrutin mette au jour le rapport de force entre eux.

Tout est affaire d’équilibre

Les écologistes, arrivés en troisième position aux élections européennes de 2019 (derrière le Rassemblement national – RN et La République en marche – LREM), comptent désormais sur l’échéance de 2024 pour montrer qu’ils pèsent davantage que les 4,6 % de Yannick Jadot. Les socialistes, divisés après un congrès remporté de justesse par Olivier Faure, doivent donner des gages aux anti-Nupes en interne. Les communistes, qui n’ont plus de députés européens depuis 2019, ont réélu haut la main Fabien Roussel, qui croit en son étoile.

Toutes et tous ont en commun d’attendre de LFI des signes d’humilité après les 22 % de suffrages exprimés en faveur de Jean-Luc Mélenchon, une partie étant du « vote utile », et les européennes n’étant traditionnellement pas le fort des Insoumis (en 2019, LFI n’avait obtenu que 6,3 % des suffrages, après les 19 % de la présidentielle de 2017).

Comme au moment des congrès respectifs d’EELV, du PS et du PCF, un grand schisme entre les partis et le peuple de gauche au sens large saute aux yeux. En dépit du contexte qui devrait bénéficier à la gauche si elle montrait des signes de responsabilité face à la montée de l’extrême droite, la tentation de « cultiver son jardin » est grande à l’intérieur des petits appareils partisans.

« On est face à ces deux positions qui sont antinomiques : d’un côté la motion de congrès pour la liste autonome, et de l’autre un contexte politique et social qui a évolué en faveur d’une liste de rassemblement. On est sur une ligne de crête », analyse Alain Coulombel, membre du bureau exécutif d’EELV.

« J’ai senti qu’il y avait un relatif décalage entre les directions respectives des mouvements, dont certaines sont tentées par le repli identitaire, quand la Nupes correspond en grande partie aux attentes des électeurs de gauche, dont la majorité est pour une liste commune », estime Manon Aubry. « Si on ne réussit pas, ça aura des conséquences pour la suite : la Nupes est attendue au tournant par plein d’électeurs », prédit le député insoumis Éric Coquerel.

Certaines voix un peu à la marge des organes centraux des formations de gauche s’élèvent donc pour inciter, au minimum, à ne pas fermer la porte trop vite. À EELV, les député·es Sandrine Rousseau, Julien Bayou ou encore Nicolas Thierry disent, avec des nuances et en marchant sur des œufs, qu’une alliance est possible, à condition d’« une ligne écologiste, fédéraliste », dixit Bayou.

Que raconte-t-on de notre histoire si nous refusons de discuter ?

Sandrine Rousseau, députée écologiste

Le député écologiste Charles Fournier enjoint aussi d’« éviter toutes les formes de pression entre [eux] » pour trouver la voie d’un dialogue fructueux : « L’Europe et la proportionnelle sont dans notre ADN. Mais cela ne doit pas empêcher de parler du fond et de coopérer aussi sur ces questions, comme nous le faisons à l’Assemblée, et surtout de faire grandir l’espoir suscité au moment des législatives », avance-t-il.

Les quatre député·es du parti Génération·s, qui siègent dans le groupe écologiste, tentent aussi de peser, sans brusquer.

Sophie Taillé-Polian voit ainsi dans la proposition de tête de liste écologiste « la possibilité de rééquilibrer la Nupes » : « On pourrait vraiment participer à montrer que la Nupes n’est pas LFI augmentée. » Les écologistes les plus déterminés à faire une liste séparée, comme l’eurodéputé David Cormand, proche de Marine Tondelier, considèrent en effet que passer sous pavillon Nupes aux européennes reviendrait à confirmer que la coalition « est une excroissance de LFI ».

Les enjeux nationaux s’en mêlent

Alors que les discussions de fond sur un éventuel programme n’ont pas vraiment commencé, chacun place donc ses billes par médias et tweets interposés. Fondamentalement, les Insoumis veulent que la Nupes aborde chaque scrutin unie jusqu’à 2027 – quitte à ce que les enjeux nationaux submergent les nuances entre partis aux européennes. Les autres préfèrent l’étude au cas par cas.

Un peu en retrait de la polarisation du débat entre écologistes et Insoumis, le PCF a prévu une conférence nationale pour acter sa stratégie en octobre. En attendant, le porte-parole du PCF, Ian Brossat, invite à « dédramatiser » : « Il y a des divergences importantes entre nous sur les enjeux européens, ce n’est pas déshonorant. Même quand on gouvernait ensemble entre 1997 et 2002, nous nous présentions sur des listes européennes, ça n’empêchait pas la gauche plurielle. »

Le PS a pour sa part engagé un travail programmatique sur l’Europe, dont le résultat sera soumis au vote des adhérent·es début octobre. Quant au type de liste qui sera présentée aux électeurs et électrices, « il y aura au moins un vote du conseil national avant fin 2023 » à ce sujet, précise Christophe Clergeau, secrétaire national à l’Europe du PS. D’ici là, « il faut sortir de ce jeu de postures et confronter les visions d’avenir de l’Union européenne des uns et des autres », plaide-t-il. Et d’ajouter qu’il est « hors de question que les européennes deviennent une guerre de tranchées entre partis de gauche ».

C’est pourtant bien le chemin qui semble être pris, et qui pourrait détourner des urnes des élections européennes un peu plus de citoyen·nes encore. « Que raconte-t-on de notre histoire si nous refusons de discuter ? Alors que le RN a le vent dans les voiles, et qu’un souffle mondial profite à l’extrême droite dans les pays du nord de l’Europe, il faut qu’on soit identifiés comme l’alternative crédible de gauche écologiste », conclut Sandrine Rousseau.

Mathieu Dejean


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