En Espagne, Sánchez (PSOE) convoque des élections anticipées après la victoire de la droite aux régionales

jeudi 1er juin 2023.
 

Le chef du gouvernement espagnol Pedro Sánchez a convoqué lundi des législatives anticipées le 23 juillet. Le socialiste tire la leçon de sa défaite aux régionales et municipales. Le Parti populaire est sorti grand vainqueur, profitant de la quasi-disparition de Ciudadanos.

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Pedro Sánchez a pris tout le monde par surprise. Prenant acte de la défaite de son parti aux régionales et municipales organisées la veille, le socialiste a annoncé lundi 29 mai la tenue d’élections législatives anticipées le 23 juillet prochain. Celles-ci devaient avoir lieu, en théorie, fin décembre au plus tard.

« J’assume personnellement les résultats et il me semble nécessaire d’y répondre. Beaucoup de chefs du gouvernement, dont le bilan était impeccable, ont été battus dans les urnes. Une clarification est nécessaire, de la part des Espagnols, sur les forces politiques qui doivent gouverner. Il est préférable que les Espagnols prennent la parole pour définir le cap politique du pays », a déclaré Sánchez lundi.

Sánchez est arrivé au pouvoir à l’été 2018. Il avait déjà convoqué des élections législatives anticipées en avril 2019, qu’il avait remportées. Mais quatre ans plus tard, le paysage politique est différent. La dynamique semble du côté de la droite, sur fond d’une alliance possible entre le Parti populaire (PP, droite) et Vox, la formation d’extrême droite.

Dès dimanche soir, le patron du PP, Alberto Núñez Feijóo, s’était félicité de sa victoire, y voyant « la première étape d’un nouveau cycle politique ». Le Galicien de 61 ans, arrivé à la présidence du parti il y a 13 mois à peine, voit sa stratégie validée, pour en finir avec ce qu’il nomme le « sanchisme », c’est-à-dire la politique menée par le socialiste Pedro Sánchez depuis 2019.

Le PP non seulement l’a emporté à la majorité absolue dans la région de Madrid, dirigée par la très droitière Isabel Díaz Ayuso – il y était déjà parvenu en 2021 –, mais aussi à l’échelle de la seule ville de Madrid, ce qui constitue davantage une surprise.

Illustration 1Agrandir l’image : Illustration 1 Alberto Núñez Feijóo et Isabel Díaz Ayuso, au siège du Parti populaire à Madrid, dimanche 28 mai au soir. © Photo AFP / Javier Soriano Surtout, le PP a décroché un trophée politique, avec l’aide de l’extrême droite de Vox : la région de Valence, la quatrième communauté autonome la plus peuplée (5 millions d’habitant·es), qui fut l’une des places les plus disputées de la campagne. L’Aragón (voisine de la Catalogne), l’Estrémadure (à la frontière avec le Portugal) ou encore les îles Baléares basculent aussi à droite.

Seules 12 régions sur les 17 du royaume organisaient des élections dimanche, et le PSOE avait de toute façon le plus à perdre, puisqu’il présidait neuf de ces 12 régions, contre trois seulement pour le PP.

Mais le résultat des municipales, organisées le même jour dans tout le pays cette fois (environ 8 000 municipalités), est aussi sans appel : le PP a obtenu 31,5 % des voix (+ 9 points par rapport à 2019, soit un peu plus de sept millions de voix), contre 28,2 % pour le PSOE.

Le basculement de Séville, troisième ville la plus peuplée du royaume, jusqu’alors dirigée par le socialiste Antonio Muñoz Martínez, et qui semblait plutôt conforté par son bilan, a valeur de symbole. C’est une claque pour le PSOE andalou. Les socialistes devraient aussi perdre Valladolid, capitale de Castille-et-León, tandis que la droite s’empare de la ville de Valence, dont le maire sortant Joan Ribó était écologiste.

Vers une banalisation des alliances droite-extrême droite.

À regarder dans le détail, le Parti populaire a surtout profité mécaniquement de la quasi-disparition de Ciudadanos – qui avait rassemblé plus de 1,9 million de voix encore aux municipales de 2019, et n’a attiré que 300 000 voix environ ce dimanche.

Mais pour gouverner dans nombre de villes et de régions, le PP devra s’allier avec Vox. Le parti d’extrême droite de Santiago Abascal a doublé son score aux municipales (7,2 %, 1,6 million de voix). Cela prendra la forme d’exécutifs minoritaires, voire de coalitions en bonne et due forme, sur le modèle de ce qui existe déjà en Castille-et-León depuis 2022.

Cette banalisation à venir des pactes PP-Vox au niveau local contredit la stratégie nationale d’Alberto Núñez Feijóo, qui espère encore ne pas dépendre de Vox pour gouverner au niveau national à partir de 2024. Un pari qui semble très hasardeux à ce stade. Le Galicien devra sans doute ajuster son discours d’ici au scrutin de juillet.

Unidas Podemos en net retrait Du côté du PSOE, la soirée n’a pas été catastrophique, si l’on s’en tient au nombre de voix récoltées (6,2 millions contre 6,7 en 2019). Mais elle repose l’équation d’un parti qui gouverne un pays porté par une croissance supérieure à celle de ses voisins dans l’UE, où le taux de chômage est au plus bas depuis 2008, mais qui peine à capitaliser dans les urnes.

À LIRE AUSSI Extrême droite : l’expérience chaotique de Vox au pouvoir dans une région d’Espagne 10 mai 2023 La soirée fut bien plus rude encore pour les partenaires du PSOE. Unidas Podemos ne franchit pas la barre des 5 % synonyme de représentation dans les parlements régionaux de Madrid ou de Valence. La coalition des gauches, inquiète d’une contre-performance, avait même envoyé Pablo Iglesias sur les estrades durant les derniers jours de campagne – alors que ce dernier s’était officiellement retiré de la vie politique en 2021 – mais ce happening est loin d’avoir suffi.

Autre symbole de la déconvenue : la ville de Cadix, en Andalousie, tenue par la gauche radicale, a offert ce dimanche une majorité absolue au Parti populaire. Sur Twitter, Ione Belarra, la secrétaire générale de Podemos, a reconnu de « mauvais résultats », constatant que « la droite et l’extrême droite ont davantage de pouvoir depuis aujourd’hui ».

De quoi relancer les discussions sur la nécessité d’une liste commune à la gauche du PSOE.

Le nouveau projet politique Sumar, porté par la vice-présidente du gouvernement Yolanda Díaz (et à ce stade concurrent de Unidas Podemos) ne sort pas non plus renforcé de ce premier test électoral. Ses alliés les plus identifiés ont réalisé des scores en demi-teinte : la maire sortante de Barcelone, Ada Colau, arrive troisième (et perd 25 000 voix par rapport à 2019), Compromìs est en repli à l’échelle de la ville de Valence (7 000 voix en moins, deuxième position), tandis que Más Madrid dégringole au niveau de la ville de Madrid (passant de 31 à 19 % des voix).

Tout cela va sans doute relancer les discussions sur la nécessité d’une liste commune à la gauche du PSOE. À ce stade, Yolanda Díaz, pour Sumar, et Ione Belarra, pour Unidas Podemos, ne sont pas parvenues à s’entendre. « J’assume le défi », a réagi lundi Yolanda Díaz, estimant qu’« il faut faire les choses d’une autre manière – sans distractions ».

Si le taux de participation aux élections de dimanche est plutôt stable (64 % aux municipales contre 65 % en 2019), les gauches ont sans doute peiné à mobiliser l’ensemble de leur électorat, alors qu’elles sont apparues régulièrement divisées ces derniers mois (par exemple sur la loi féministe du « Solo sí es sí », sur le soutien à l’Otan, sur la manière de faire aboutir la réforme de la « loi bâillon », ou encore sur la stratégie à suivre pour les législatives de décembre).

L’épouvantail d’une coalition PP-Vox au national pourrait tout de même inciter à davantage de participation à gauche le 23 juillet. En réaction à l’annonce de législatives anticipées, Pablo Iglesias a lancé lundi un appel à l’unité entre Sumar et Unidas Podemos : « Notre résultat est un désastre, très mauvais, il faut le dire clairement. » Et d’appeler à une forme de « modestie » dans la séquence politique qui vient de s’ouvrir.

Une exception : la poussée de la gauche indépendantiste basque Au Pays basque, tous les observateurs s’accordent à dire que le grand vainqueur est la coalition indépendantiste de gauche EH Bildu, revenue dans le jeu électoral depuis 2011 après des années d’interdiction. Cette formation, qui noue des alliances ponctuelles avec le gouvernement socialiste à Madrid, a été ciblée pendant toute la campagne par le Parti populaire et Vox. Ces derniers présentent EH Bildu comme un faux-nez de l’ETA, organisation armée pourtant dissoute en 2018, et accusent donc Pedro Sánchez de pactiser avec des « terroristes ».

Loin des plateaux de télévision madrilène, ce discours a été inopérant, voire contre-productif, sur le choix des électeurs et électrices basques, s’est félicité à l’annonce des résultats le leader d’EH Bildu, Arnaldo Otegi, sorti de prison en 2016. « La gauche indépendantiste réalise ce soir les meilleurs résultats de son histoire, nous représentons désormais la première force politique au Pays basque ! », a-t-il lancé dans un large sourire, estimant que ce scrutin constitue le « premier pas d’un nouveau cycle politique ».

À LIRE AUSSI Une loi féministe emblématique menace la coalition des gauches en Espagne 12 février 2023 Libertés publiques : les gauches espagnoles font une croix sur une promesse phare 14 mars 2023 Les indépendantistes de gauche progressent dans leurs places fortes (région de San Sebastían, par exemple) mais, plus notable encore, ils enregistrent des résultats impressionnants dans d’autres territoires qui leur sont habituellement moins favorables (région de Pampelune ou Bilbao). Au point de venir concurrencer le Parti nationaliste basque (centre-droit), hégémonique depuis les années 1980. « Ce ne sont pas tant les autres partis qui ont progressé, mais le PNB qui a baissé, nous devons en tirer les conséquences », a réagi le président du parti, Andoni Ortuzar, en dénonçant une « campagne électorale polluée par les débats étatiques » portés par le PP depuis Madrid.

Aux côtés des deux formations nationalistes (EH Bildu et PNB), qui totalisent plus de 50 % des voix et gouverneront la très grande majorité des municipalités, le Parti socialiste reste en troisième position, en maintenant son score par rapport aux précédentes élections de 2019 (autour de 17 % des suffrages). Podemos résiste (de 8,6 % à 6,7 %), mais perd sa quatrième place au profit du PP (de 5,5 % à 8,5 %).

Ludovic Lamant et Antton Rouget


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