Fonds Marianne : Schiappa a personnellement sucré 100 000 euros de subvention à SOS Racisme

lundi 19 juin 2023.
 

L’ancien directeur de cabinet de la ministre a reconnu devant la commission d’enquête sénatoriale que Marlène Schiappa était directement intervenue dans le processus de sélection du fonds Marianne. Selon nos informations, elle a personnellement retoqué le dossier de SOS Racisme en raison des positions politiques de son président. Alors que l’administration avait validé cette candidature.

La nouvelle est tombée en milieu de journée, en pleine audition de son ancien directeur de cabinet devant la commission d’enquête sénatoriale sur le fonds Marianne : Marlène Schiappa ne pourra finalement pas tenir le « brief presse » qu’elle avait prévu le matin même. Au lendemain de la publication d’un rapport accablant sur la gestion de ce programme de financement lancé par ses soins après l’assassinat de Samuel Paty, et de la démission du préfet Christian Gravel qui le pilotait, l’ex-ministre déléguée chargée de la citoyenneté escomptait se sortir de cette affaire en distillant ses éléments de langage auprès des journalistes.

https://www.mediapart.fr/journal/fr...[ALERTE]-20230607&M_BT=1489664863989

Mais l’audition de Sébastien Jallet, qui a dirigé son cabinet de septembre 2020 à janvier 2022, a anéanti ce plan de communication. Car le haut fonctionnaire, aujourd’hui préfet de l’Orne, a notamment expliqué sous serment que Marlène Schiappa était directement intervenue dans le processus de sélection du fonds Marianne, contrairement à ce qu’elle a toujours indiqué jusqu’à présent. D’après les éléments recueillis par les sénateurs, la ministre aurait demandé, après la réunion du comité de sélection, que l’on écarte du projet de financement une association avec laquelle elle était en désaccord politique. Sollicité, son cabinet n’a pas répondu.

Sans révéler le nom de cette structure, Sébastien Jallet a confirmé que Marlène Schiappa avait tranché en défaveur du choix du comité de sélection de lui attribuer 100 000 euros. Et ce, a-t-il précisé, « en raison d’un historique de relations assez ancien » avec l’association et d’une « mise en cause » récente de l’action de la ministre par l’un de ses membres dans la presse. « Il y a bien eu une infirmation par la ministre [de la décision du comité de sélection] », a admis l’ancien directeur de cabinet. Selon nos informations, l’association en question n’est autre que SOS Racisme, qui travaillait depuis longtemps avec le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) et avait effectivement déposé un dossier jugé solide.

Illustration 2Agrandir l’image : Illustration 2 Marlène Schiappa et son directeur de cabinet, Sébastien Jallet, au ministère de l’intérieur, le 1er mars 2021. © Photo Thomas Padilla / MaxPPP Or, son président, Dominique Sopo, était dans le collimateur de la ministre déléguée pour avoir plusieurs fois critiqué sa stratégie de communication. « Nous avions quelques contentieux liés à sa façon de procéder et d’utiliser la question de la lutte contre les discriminations de façon totalement légère pour sa communication personnelle », confirme le militant associatif à Mediapart. Dominique Sopo évoque également un échange, au printemps 2021, avec le patron du CIPDR, Christian Gravel, au cours duquel le préfet lui aurait reproché, entre les lignes, d’avoir signé une tribune contre la loi « séparatisme » avec la Ligue des droits de l’homme (LDH).

La défense laborieuse de l’ancien directeur de cabinet de Schiappa La confirmation de l’intervention de Marlène Schiappa au détriment de SOS Racisme contredit les conclusions de la mission d’inspection, qui a affirmé que « l’ensemble des témoignages recueillis indique au demeurant que la ministre déléguée s’est effacée du processus, une fois passé le lancement officiel de l’appel à projets, le 20 avril 2021 ».

Démentie par l’audition de mercredi, cette phrase est d’autant plus problématique qu’elle a été reprise dans la presse pour souligner que le rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA) « exonérait » l’actuelle secrétaire d’État à l’économie sociale et solidaire et à la vie associative. Il ressort au contraire des travaux de la commission d’enquête sénatoriale que celle-ci était en prise directe avec certains acteurs associatifs bénéficiaires du fonds Marianne, à commencer par Mohamed Sifaoui, qu’elle avait vu au moins à deux reprises en octobre et en novembre 2020.

Par la suite, son cabinet a continué d’échanger régulièrement avec le journaliste aux travaux controversés, jusqu’à l’« inciter » – selon l’expression de Sébastien Jallet – à « envisager un projet associatif pour recevoir un soutien » financier. Le 16 mai, devant cette même commission d’enquête, le préfet Christian Gravel, qui dirigeait jusqu’à mardi le CIPDR, chargé du pilotage du fonds Marianne, déclarait lui aussi sous serment avoir été informé de l’existence de ce projet par un « coup de fil » de Mohamed Sifaoui qui sortait tout juste du bureau de la ministre déléguée.

L’ancien directeur de cabinet de Marlène Schiappa a fait état de plusieurs rendez-vous entre ses collaborateurs et le journaliste avant le lancement de l’appel à projets. Il indique avoir lui-même reçu ce dernier le 22 avril 2021, soit deux jours après ce lancement, à 15 h 15 très exactement – un privilège que n’ont pas eu les autres bénéficiaires du programme de financement. Selon les dires de Sébastien Jallet, ce rendez-vous aurait dû être assuré par la ministre en personne, mais il l’a suppléée « pour des raisons de conflit d’agendas ». Ce jour-là, elle avait toutefois trouvé le temps de « passer le saluer cursivement », a-t-il précisé.

Les ministres sont responsables des fonds publics.

Sébastien Jallet devant la commission d’enquête sénatoriale Comme Mediapart l’avait souligné en révélant les sept phrases du projet de l’Union des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire (USEPPM), rien dans ce qui était porté à l’époque par Mohamed Sifaoui ne justifiait un tel traitement par la Place Beauvau. Son association est pourtant celle qui s’est vu octroyer la plus grosse enveloppe de fonds publics (355 000 euros). Quant à Reconstruire le commun, qui a reçu la deuxième subvention la plus importante (330 000 euros), Sébastien Jallet a reconnu face aux sénateurs que ni lui ni personne d’autre au sein du cabinet n’en connaissaient l’existence avant la réunion du comité de sélection.

Relancé sur la chronologie des rendez-vous et les promesses faites à Mohamed Sifaoui, le haut fonctionnaire s’est soudainement retrouvé en difficulté. Sombrant dans une défense laborieuse, il a expliqué n’avoir plus de souvenirs précis du déroulé des événements, répétant des formules générales. « Je vous sens un peu agacé et sur la défensive », lui a lancé Jean-François Husson, rapporteur Les Républicains (LR) de la commission d’enquête. Sébastien Jallet s’est contenté de lui répondre qu’une information judiciaire avait été ouverte sur cette affaire et qu’il n’avait, ici, ni « appui d’un avocat » ni « garantie minimale de défense et de protection ».

En préambule de son audition, l’ancien directeur de cabinet de Marlène Schiappa s’était pourtant montré beaucoup plus clair. Détaillant le rôle d’un cabinet ministériel, il a notamment rappelé aux sénateurs que les administrations sont d’ordinaire placées sous l’autorité des ministres. Raison pour laquelle, a-t-il ajouté, l’ancienne ministre déléguée chargée de la citoyenneté était particulièrement attentive à l’utilisation des fonds publics. « Il y avait une volonté de la ministre et du cabinet de pouvoir décider, valider, l’emploi des crédits, a-t-il indiqué. Les ministres sont responsables des fonds publics. »

Fort de ses entretiens avec les agents du CIPDR, le sénateur socialiste Claude Raynal, qui préside la commission d’enquête, a insisté sur le fait que l’arrivée de la ministre Place Beauvau avait bousculé les habitudes de travail en la matière. En règle générale, a-t-il souligné, « la ministre donne une orientation à son administration », laquelle mène ensuite les appels à projets. Or, il y a vraisemblablement eu « un changement de modèle » car cette fois-ci, « tout remontait au cabinet ». « Je relève par ailleurs que l’IGA a conclu que l’appel à projets [du fonds Marianne] n’a été ni transparent ni équitable », a conclu l’élu.

Antton Rouget et Ellen Salvi


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message