Sainte-Soline : les observateurs contestent la version officielle des violences

vendredi 21 juillet 2023.
 

Le rapport des observateurs dépêchés par les ONG pour surveiller la manifestation du 25 mars, durant laquelle 200 personnes ont été blessées, dénonce le recours massif à la force contre des manifestants souvent pacifiques, l’absence de sommation et une entrave aux secours dans au moins un cas.

Jérôme Hourdeaux

10 juillet 2023

Les observatoires des libertés publiques et des pratiques policières présents, le 25 mars dernier, lors de la manifestation contre le projet de mégabassine de Sainte-Soline (Deux-Sèvres) ont publié, lundi 10 juillet, un rapport sur les événements de la journée qui remet en cause la version des autorités concernant les violences qui ont émaillé ces journées de mobilisation.

Ce compte-rendu de 151 pages, détaillant le fil de la journée de manière presque chirurgicale, est le fruit du travail des « dix-huit observateur·ice·s, réparti·e·s en cinq équipes » qui ont, durant toute la journée, consigné les événements dans des « minutiers ».

Leurs constatations confirment la violence des affrontements qui ont marqué cette mobilisation et durant lesquels environ deux cents manifestant·es ont été blessé·es. Elles contredisent également les conclusions des autorités sur plusieurs points, comme le nombre de projectiles tirés par les forces de l’ordre, l’absence de violences de la part de personnes visées par des tirs, l’absence de sommation avant l’usage de la force ou encore les entraves faites aux secours appelés pour prendre en charge un blessé grave.

Le rapport commence par insister sur le contexte particulièrement tendu ayant entouré, dès le départ, la préparation de la manifestation. Une précédente journée de mobilisation s’était déjà tenue, malgré l’interdiction de la préfecture, le 29 octobre 2022. Une soixantaine de manifestant·es et 61 gendarmes avaient déjà été bléssé·es lors d’affrontements aux termes desquels un groupe avait réussi à pénétrer sur le chantier de la mégabassine.

En prévision de la nouvelle journée de mobilisation, 3 200 gendarmes ont été mobilisés, dont 3 000 dans le secteur du chantier. Ces effectifs incluaient un peloton motorisé d’intervention et d’interposition (PM2I) composé de quarante hommes circulant, par binômes, sur vingt quads, neuf hélicoptères, quatre blindés, quatre canons à eau et quatre pelotons héliportés.

Face à ce déploiement massif, les observatoires des libertés publiques de plusieurs villes de France avaient décidé d’unir leurs forces pour mettre en place « une observation de grande ampleur ».

Ces observatoires regroupent différents collectifs d’organisations de défense des libertés, telles que la Ligue des droits de l’homme (LDH) ou le Syndicat des avocats de France (SAF), et ont pour but de dépêcher lors de manifestations des observateurs et observatrices chargé·es de surveiller le maintien de l’ordre et de documenter d’éventuels manquements.

Chien de garde social

Ces observatrices et observateurs indépendants bénéficient d’un statut et de protections reconnues par le droit international et européen. Dans un arrêt rendu au mois d’avril 2019, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) les a ainsi assimilés à des journalistes, bénéficiant à ce titre du statut de « chien de garde social ».

Au mois de juillet 2020, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a également affirmé leur « rôle particulièrement important pour ce qui est de permettre la pleine jouissance du droit de réunion pacifique ». Les observateurs doivent donc être protégés contre toutes « représailles ou […] autres formes de harcèlement ». « Même si une réunion est déclarée illégale et est dispersée, il n’est pas mis fin au droit de la surveiller », insistait encore le Comité des droits de l’homme.

Une protection qu’ont pourtant écartée, avant même la manifestation, la préfète des Deux-Sèvres et le préfet de la Vienne, les deux autorités chargées de l’organisation de la sécurité dans la zone. La LDH leur a en effet écrit, le 15 mars, pour les informer de la création d’un Observatoire Poitou-Charentes des libertés publiques chargé de surveiller la manifestation de Sainte-Soline.

« Les observateurs de la Ligue des droits de l’homme présents sur les lieux de manifestation seront assimilés à des manifestants, a répondu la préfète des Deux-Sèvres dans un courrier en date du 22 mars, et devront se conformer non seulement aux interdictions administratives de manifester sous peine d’être verbalisés […] et […] aux ordres de dispersion en cas d’attroupement susceptible de générer des troubles à l’ordre public. »

De son côté, le préfet de la Vienne a répondu, dans un courrier du 23 mars, qu’en vertu du schéma national du maintien de l’ordre de décembre 2021, « seuls les journalistes pouvant attester de leur qualité […] peuvent être pris en compte spécifiquement lors des manifestations afin qu’ils puissent exercer leurs missions et non les observateur·ice·s ».

« Les décisions des préfets au mépris du droit international privaient les observateur·ice·s, de facto, de la possibilité d’exercer leur mission d’observation », explique le rapport. La LDH avait donc saisi en référé le tribunal administratif de Poitiers qui, dans une ordonnance du 24 mars 2023, avait reconnu l’illégalité des décisions des deux préfets mais tout en estimant que celle-ci n’était pas suffisante pour justifier leur suspension.

Empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain.

Le rapport des observatoires des libertés publiques et des pratiques policières Le rapport insiste par ailleurs sur la disposition des forces de l’ordre sur le terrain, révélatrice de la stratégie d’emblée choisie par les autorités. « La stratégie de maintien de l’ordre qui avait été retenue semblait donc avoir pour but de constituer un “fortin” pour bloquer l’accès du chantier aux manifestants », écrivent les observateurs et observatrices. « Autrement dit, poursuit le rapport, la manière dont les forces de l’ordre étaient positionnées entraînait de facto leur encerclement par les manifestant·e·s déterminé·e·s à accéder à l’intérieur de la bassine. »

Comme redouté, la journée du 25 mars a été marquée par un déchaînement de violences. « Les tirs de grenades lacrymogènes et explosives ont été massifs, indiscriminés et parfois tendus sur l’ensemble du cortège », relève le rapport. « Cette opération de maintien de l’ordre a semblé reposer uniquement sur l’usage des armes occasionnant de très nombreuses blessures, souvent graves, allant jusqu’à plusieurs urgences absolues, poursuit-il. Cet usage immodéré et indiscriminé d’armes de guerre avait un objectif clair : empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain. »

Témoins de l’intensité des affrontements, le rapport reprend les chiffres d’usages de grenades lacrymogènes et de désencerclement tirés d’un rapport de la gendarmerie. « En seulement deux heures, ce sont plus de 5 000 grenades qui ont été utilisées contre les manifestant·es », pointe les observateurs et observatrices.

« Le bilan annoncé semble toutefois sujet à caution au vu de l’intensité de la cadence des tirs observés lors du rassemblement », précise pourtant le rapport. Ainsi, une seule des équipes a pu recenser « entre 13 h et 13 h 02, à proximité de la bassine côté sud-est, plus de 60 grosses détonations semblables à celle de GM2L ».

À 13 h 12, une autre équipe note, de son côté, « vingt et une explosions de grenades explosives (probablement des GM2L) en quarante-huit secondes, auxquelles s’ajoutent des grenades lacrymogènes, portant à une moyenne d’une grenade par seconde ».

L’engagement de la force a bien été décidé à l’encontre de deux cortèges calmes et pacifiques.

Les observatoires des libertés publiques et des pratiques policières Contrairement à ce qu’ont affirmé les autorités, cet usage massif de la force n’avait pas uniquement pour but de répondre à des violences commises par des manifestantes ou manifestants. À plusieurs reprises, le rapport cite les « minutiers » des observateurs et observatrices faisant état de tirs vers des individus ne présentant aucune menace, et souvent sans sommation.

« Contrairement à ce qu’avancent les rapports de la gendarmerie et de la préfète des Deux-Sèvres, l’engagement de la force a bien été décidé à l’encontre de deux cortèges calmes et pacifiques […], et ce sans aucune sommation », affirme-t-il.

Le rapport pointe également certaines lacunes dans les rapports officiels, notamment concernant une période d’une demi-heure durant laquelle de nombreuses personnes ont pourtant été blessées.

« La chronologie générale effectuée par la gendarmerie, de l’IGGN [Inspection générale de la gendarmerie nationale – ndlr] ou de la préfecture ne fait aucune mention spécifique de la période 13 h 30-14 h. Elle a pourtant été le théâtre d’un usage massif de la force. Cette période mérite d’être analysée et cette absence de mention pose question. »

Le rapport pointe en particulier les interventions des gendarmes en quads du PM2I. « Les gendarmes sur les quads ont visé avec de nombreuses grenades des personnes blessées, dont certaines ne pouvaient pas se déplacer », accuse-t-il.

Ces tirs ont notamment visé une chaîne humaine destinée à protéger les blessés et constituée par des élus venus soutenir les manifestant·es. « À ce moment, en contradiction avec ce que prétend la préfète des Deux-Sèvres, rien ne justifiait l’utilisation de la force à l’encontre de ces personnes identifiables », rapportent les observateurs et observatrices.

A minima un cas d’entrave par les forces de l’ordre à l’intervention des secours.

Les observatoires des libertés publiques et des pratiques policières Les gendarmes motorisés ont également été vus à plusieurs reprises tirant depuis leur quad en mouvement, chose normalement interdite. Les forces de l’ordre ont justifié ces tirs par des cas de légitime défense. Mais « les observations ainsi que l’analyse des vidéos de tir de LBD permettent de douter très sérieusement de la véracité de cette version officielle », accuse le rapport.

Par ailleurs, « les observateur·ice·s présent·e·s à la manifestation de Sainte-Soline ont constaté a minima un cas d’entrave par les forces de l’ordre à l’intervention des secours, tant Samu que pompiers », poursuit le rapport. Ce cas est celui de Serge, militant gravement blessé à la tête et plongé dans le coma durant plusieurs semaines.

« Une équipe d’observation, présente sur la zone où se trouvait ce blessé, a constaté qu’elle était totalement calme depuis au moins 14 h 08 », détaille le rapport.

« Malgré cette période de calme, il apparaît que les secours se sont vu dénier l’autorisation d’intervenir une partie de l’après-midi, en violation du droit international relatif à la prise en charge des blessé·e·s, poursuivent les observateurs et observatrices. Ainsi, entre 14 h 50 et 14 h 55, plusieurs médecins régulateurs du Samu ont indiqué ne pas pouvoir intervenir pour secourir ce blessé en dépit des appels téléphoniques répétés à 14 h 11 indiquant un pronostic vital engagé. »

Les observatoires des libertés publiques dénoncent par ailleurs les diverses attaques proférées par des responsables politiques dans les médias dans les jours et semaines qui ont suivi les événements de Sainte-Soline, et notamment les menaces proférées à l’encontre de la LDH. « Cela traduit un climat préoccupant de remise en cause de l’espace civique de la société civile mis à l’épreuve avec des restrictions croissantes sur les libertés d’expression, de participation, de réunion et d’association », pointe le rapport.

En conclusion, « la volonté politique était claire ; la manifestation de Sainte-Soline ne devait pas avoir lieu, et toute personne qui bravait l’autorisation préfectorale s’exposait à des risques pour son intégrité tant physique que morale », résume le rapport.

« Aucune place n’a été laissée pour permettre un dialogue politique lié aux revendications des manifestant·e·s, poursuit-il, l’ensemble de la communication officielle portant sur le déroulé de la manifestation, alimenté par une rhétorique guerrière et fallacieuse, sous la houlette du ministère de l’intérieur. »

Jérôme Hourdeaux


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