Electricité + 10% La politique économique néolibérale dévastatrice dans le domaine de l’énergie.

vendredi 8 septembre 2023.
 

C’est probablement dans le domaine de l’énergie que le néolibéralisme révèle le plus sa vraie nature : derrière le masque d’une prétendue « théorie économique » néolibérale se cache une entreprise méthodique de pillage des biens publics et un racket au profit des gros actionnaires.

Une telle idéologie ou pseudo théorie économique n’a ni rationalité, ni inefficacité pour servir l’intérêt général et préserver l’environnement.

Cela devient une évidence dans le domaine de l’énergie.

Avec une augmentation de 10 % du prix de l’électricité en août 2023, les ménages et les entreprises apprécieront une fois de plus les bienfaits de la concurrence pour faire baisser les prix.

Article 1 : Prix de l’énergie, une folie organisée

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Nous partageons ici deux articles du Monde diplomatique parfaitement complémentaires pour comprendre la genèse et l’absurdité de la politique néolibérale européenne et française dans la production et la fixation des prix de l’énergie.

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Source : Le Monde diplomatique. Janvier 2022

par Aurélien Bernier

https://www.monde-diplomatique.fr/2...

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Afin de limiter la hausse des prix de l’électricité à 4 % en 2022, le gouvernement met en place des mesures dont le coût est déjà estimé par le ministère des finances à 20 milliards d’euros. « Ces réponses conjoncturelles ne font pas illusion. Les associations de consommateurs dénoncent de plus en plus ouvertement ce système et sont rejointes par les gros clients industriels. »

Ironie de l’histoire : l’État intervient dans l’urgence après avoir « sacrifié sur l’autel de la concurrence européenne la plupart de [ses] moyens de régulation », entraînant au passage des pertes colossales pour EDF, obligé de vendre une plus grande partie de sa production moins cher à ses concurrents, alors que plusieurs centrales sont l’arrêt. Aurélien Bernier détaillait il y a deux mois dans nos colonnes la mécanique « incroyablement complexe » qui aboutit à cette situation. « Les consommateurs paieront, mais plus tard, le temps peut-être d’une baisse des prix du marché… ou de la fin des élections nationales. »

Vingt-cinq ans de dérégulation des marchés du gaz et de l’électricité

Les décideurs européens l’assuraient : la concurrence ferait baisser les prix du gaz et de l’électricité, au profit des ménages comme des entreprises. Il se produit l’inverse depuis les années 2000. Si la reprise chaotique d’une économie bouleversée par la pandémie explique l’origine de la flambée actuelle, la dérégulation génère une augmentation structurelle des prix encore plus inquiétante.

Depuis la fin de l’été 2021, les prix de l’énergie grimpent dans toutes les régions du monde. Le tarif régulé du gaz en France a augmenté de 57 % pour les ménages depuis le 1er janvier. L’électricité suit le même chemin : passée, en dix ans, de 120 euros par mégawattheure à 190 euros, la facture des particuliers va monter en flèche en 2022. Cette crise tire l’inflation dans la zone euro à son plus haut niveau depuis 2008 (3,4 % sur un an) et menace particulièrement les personnes précaires et les entreprises. Alors que beaucoup de commentateurs n’y voient que des raisons conjoncturelles, les vraies causes sont à rechercher à Bruxelles.

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Le 19 décembre 1996, les pays de l’Union européenne adoptent une directive concernant les « règles communes pour le marché intérieur de l’électricité ». Pour gérer ce monopole naturel, beaucoup d’États membres ont bâti un service public intégré, qui assure la production, le transport et la distribution. Mais Bruxelles veut instaurer « un marché de l’électricité concurrentiel et compétitif ». Moins de deux ans plus tard, une autre directive amorce la privatisation du gaz.

La méthode a été mise au point par des économistes de l’école de Chicago, expérimentée au Chili, puis au Royaume-Uni. Elle met en œuvre deux principes. La « séparation patrimoniale » vise à isoler des activités précédemment intégrées au sein d’une même entreprise publique de façon à les rendre indépendantes les unes des autres. Sujet d’une attention particulière, les activités de gestion des réseaux doivent être séparées, comptablement puis juridiquement, pour offrir un traitement « équitable » à tous les producteurs et fournisseurs qui se feront concurrence sur les marchés dérégulés. Au cours des années 2000, Réseau de transport d’électricité (RTE) et Électricité réseau distribution France (ERDF, à présent Enedis) sont détachés d’Électricité de France (EDF). Chez Gaz de France (devenu GDF Suez après sa privatisation, puis Engie), le réseau de gazoducs à haute pression et les activités de distribution sont transférés respectivement à GRTgaz et Gaz réseau distribution France (GRDF).

La création de Bourses du gaz et de l’électricité, sur lesquelles se forment des prix de marché, répond au deuxième principe fondateur du modèle néolibéral. Elles ont vocation à remplacer les tarifications encadrées par les pouvoirs publics. En France, l’entreprise de marché Powernext ouvre sa Bourse de l’électricité en 2001 et sa Bourse du gaz en 2008, avant que les marchés nationaux soient progressivement intégrés à l’échelle européenne. Plusieurs types de contrats sont mis en circulation pour couvrir les besoins des fournisseurs. Les contrats « à terme » permettent une livraison différée à l’année, au trimestre, au mois ou à la semaine suivante pour un prix conclu à l’avance. Les contrats « spot » concernent les livraisons pour le lendemain ou pour les quelques jours qui suivent et les achats en temps réel.

La libéralisation du gaz et celle de l’électricité ne présentaient pas le même enjeu politique ni la même difficulté. La France ne produit pratiquement pas de gaz et doit l’importer. Ses principaux fournisseurs étaient en 2020 la Norvège pour 36 %, la Russie pour 17 %, les Pays-Bas et l’Algérie pour 8 % chacun et le Nigeria pour 7 % (1). Une fois la gestion du réseau rendue « indépendante » du monopole historique, ses concurrents peuvent acheter du gaz à des pays producteurs et le vendre aux consommateurs en acquittant un simple péage pour utiliser les infrastructures françaises. Le fournisseur le plus compétitif est celui qui s’approvisionne au meilleur prix… ou qui comprime au mieux ses dépenses de fonctionnement.

Subvention d’un genre nouveau

Par le passé, Gaz de France signait des contrats de fourniture de long terme, généralement d’une durée de dix à quinze ans. Outre la sécurité d’approvisionnement, la durée des contrats offrait l’avantage de financer les infrastructures (gazoducs, méthaniers, terminaux…) sans prise de risque excessive. Aux débuts de la privatisation, la plupart des nouveaux fournisseurs s’approvisionnent eux aussi avec des contrats de long terme. Mais, sous l’effet d’une concurrence qui s’intensifie, les contrats spot s’imposent.

Selon Thomas Reverdy, sociologue spécialiste des prix de l’énergie, cette évolution doit beaucoup à l’opportunisme des industriels. « Quand les prix des contrats spot ont commencé à chuter, nous explique-t-il, les gros consommateurs ont demandé à leurs fournisseurs de les faire bénéficier de cette baisse. Pour répondre à cette demande, les fournisseurs se sont désengagés de contrats de long terme et ont acheté des contrats spot. Ainsi, le marché spot a pris beaucoup plus d’importance dans la fixation des prix (2). » Une tendance accentuée par l’essor du gaz liquéfié, dont le transport par bateaux renforce la liquidité du marché, mais aussi sa volatilité. Dès 2015, les contrats de long terme ne pèsent plus qu’un tiers des transactions à l’échelle européenne. Toujours soumis à la conjoncture (situation économique, températures…), les cours du gaz deviennent nettement plus sensibles aux logiques spéculatives, et les variations en Bourse se répercutent directement sur les consommateurs.

Introduire la concurrence dans le système électrique s’annonçait autrement plus difficile que pour le gaz. Non seulement la France produit bien davantage qu’elle ne consomme, mais EDF détient l’essentiel des moyens de production et notamment les centrales nucléaires, qu’il n’est pas question pour l’État de privatiser, même partiellement. L’Union européenne n’a d’autre choix que d’adapter la théorie économique libérale à cette situation française.

Afin d’ouvrir une brèche dans le quasi-monopole d’EDF, Bruxelles commence par soutenir le développement privé des énergies renouvelables électriques. La Commission européenne encourage un système de subvention d’un genre nouveau : le tarif d’achat à un prix garanti, bien plus élevé que le coût de production moyen de l’électricité. La loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité instaure ce principe en France. Financée par tous les consommateurs via une taxe sur les consommations, cette aide proportionnelle à la quantité d’énergie produite vient « sécuriser » les investissements privés. Avec l’émergence de filières de fabrication en Asie, les prix des modules photovoltaïques et des génératrices éoliennes chutent fortement au début des années 2010. Grâce au tarif de rachat, le développement de ces projets renouvelables électriques devient très lucratif et suscite un véritable engouement, non sans effets pervers comme l’implantation désordonnée d’infrastructures. Pour la période 2002-2013, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) estime le coût de la subvention à 7,4 milliards d’euros. En 2020, la puissance installée représentait 28 gigawatts de photovoltaïque et d’éolien, essentiellement privé, et 93 gigawatts pour le parc de centrales de l’opérateur historique. Cette percée des énergies renouvelables en puissance installée doit toutefois être nuancée en tenant compte du « facteur de charge », c’est-à-dire le taux d’utilisation annuel des moyens de production. En 2020, il était de 14,4 % pour le photovoltaïque, 23 % pour le thermique, 26,5 % pour l’éolien, 29 % pour l’hydraulique et 61 % pour le nucléaire.

Sachant qu’EDF gardera malgré tout un avantage décisif en matière de production, puisqu’elle continuera à disposer du parc nucléaire, l’Union européenne veut créer une concurrence au niveau de la fourniture. Mais, dans ce cas, la question du prix est cruciale car, pour s’implanter, les fournisseurs privés d’électricité doivent proposer des offres compétitives.

Paris et Bruxelles trouvent un compromis au tournant des années 2010. D’une part, EDF tiendra chaque année un quart de sa production nucléaire à la disposition de ses concurrents sur le marché français, qu’elle leur vendra à un tarif plafonné par les pouvoirs publics. Ce système est baptisé accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh). D’autre part, les tarifs régulés par les pouvoirs publics qui reflétaient les coûts de production d’EDF doivent céder la place à des prix de marché. Pour les consommateurs non résidentiels (tous les consommateurs autres que les particuliers), la question est réglée avec la suppression pure et simple des tarifs régulés « jaune » et « vert » intervenue en 2016. Pour les ménages, le calcul du tarif « bleu » d’EDF est modifié pour intégrer une composante qui reflète le prix de l’électricité sur la Bourse européenne ; de cette manière, si les prix de marché augmentent, le tarif régulé aussi (3), et sans justification dans les coûts de production.

Plus récemment, Bruxelles a voulu encourager un nouveau type d’offres commerciales dit « de tarification dynamique ». Dans ce système de facturation, les prix de Bourse sont répercutés en temps réel (heure par heure) sur le consommateur grâce à la technologie des fameux compteurs communicants de type Linky. La directive européenne du 5 juin 2019 ne se contente pas d’autoriser cette tarification dynamique, mais l’impose à « chaque fournisseur qui a plus de 200 000 clients finals ». Ce mode de calcul reporte sur les ménages, les collectivités et les entreprises consommatrices le risque de Bourse.

Le remplacement progressif de tarifs régulés par des prix de marché n’a rien d’un changement anodin. Dans l’« ancien monde » de l’électricité, celui du service public français, les tarifs sont définis de façon à fournir les consommateurs au meilleur prix tout en permettant à EDF de réaliser les investissements nécessaires au bon fonctionnement du réseau. L’opérateur historique utilise ses moyens de production suivant un « ordre de mérite » : les moins chers à faire fonctionner (l’éolien, le solaire, l’hydraulique au fil de l’eau et le nucléaire) sont appelés en premier, les plus chers (les centrales thermiques) en dernier. L’État applique ensuite une régulation tarifaire qui fixe les prix payés par les consommateurs, qui reflètent un « coût complet » et optimisé du mix énergétique.

Avec la Bourse de l’électricité, il en va tout autrement. Le cours du mégawattheure varie en permanence au fil de la journée en fonction de l’offre et de la demande. En période de pointe de consommation, le marché peut offrir des profits faciles aux gestionnaires de centrales thermiques ou hydroélectriques qui assurent l’équilibre du réseau européen. Pour un opérateur avide, il est tentant de réserver la mise en route de ces centrales aux moments où les prix sont les plus hauts… et donc de tirer encore davantage les cours à la hausse.

« Revenir au temps long »

Les centrales à gaz assurant en moyenne 20 % de la production européenne totale (en 2020) et surtout l’essentiel de la production de pointe, la hausse du prix de ce combustible se répercute sur les cours de l’électricité. S’y ajoutent l’augmentation du prix du carbone et les fluctuations d’autres marchés bâtis sur le même schéma : les certificats d’économies d’énergie, les certificats d’origine des énergies renouvelables, les certificats de capacité qui servent aux fournisseurs à réserver des moyens de production… Le prix de l’électricité est devenu un empilement de mécanismes boursiers.

Face à la flambée de l’automne 2021, les gouvernements cherchent à intervenir, mais sont dépassés par cette mécanique incroyablement complexe, d’autant qu’ils ont sacrifié sur l’autel de la concurrence européenne la plupart de leurs moyens de régulation. Reste la fiscalité sur l’énergie, réduite par l’Italie, l’Espagne ou le Portugal afin de contenir la hausse des factures. En France, le gouvernement met en place un chèque énergie pour près de six millions de ménages à faibles revenus et diffère les augmentations de tarif prévues au-delà d’octobre 2021 pour le gaz et en février 2022 pour l’électricité. Les consommateurs paieront, mais plus tard, le temps peut-être d’une baisse des prix du marché… ou de la fin des élections nationales. Le 20 octobre, le premier ministre Jean Castex annonce également le versement d’une « indemnité inflation » de 100 euros pour les personnes ayant un revenu inférieur à 2 000 euros net par mois.

Ces réponses conjoncturelles ne font pas illusion. Les associations de consommateurs dénoncent de plus en plus ouvertement ce système et sont rejointes par les gros clients industriels confrontés à une situation critique de renchérissement de leurs coûts de fabrication. De leur côté, les organisations syndicales multiplient les initiatives pour réclamer un retour de l’énergie dans le giron public. Dans un dossier d’analyse, Sud Énergie appelle à « sortir l’électricité du marché » pour « revenir au temps long, à la planification des investissements, à des tarifs stables, lisibles et équitables » (4). La Fédération nationale des mines et de l’énergie (FNME) CGT défend un « programme progressiste de l’énergie » pour bâtir un service public rénové (5).

Si la flambée des prix a conduit à différer le projet Hercule de démantèlement d’EDF (6), aucune inflexion n’est pourtant prévue du côté de Bruxelles, qui persiste dans sa logique de dérégulation et de privatisation. Sortir l’énergie des logiques de marché pose donc une autre question, aux répercussions bien plus vastes : comment s’affranchir de ce droit européen ultralibéral qui s’impose aux États ?

Aurélien Bernier

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Notes

Auteur des ouvrages Les Voleurs d’énergie. Accaparement et privatisation de l’électricité, du gaz, du pétrole, Utopia, Paris, 2018, et L’Illusion localiste, Utopia, 2020.

(1) « Chiffres clés de l’énergie. Édition 2021 », ministère de la transition écologique, Paris, septembre 2021.

(2) Cf. Thomas Reverdy, La Construction politique du prix de l’énergie, Presses de Sciences Po, Paris, 2014.

(3) Lire « Électricité, le prix de la concurrence », Le Monde diplomatique, mai 2019.

(4) « Augmentation des prix de l’électricité ? : dossier d’analyse », SUD Énergie, 16 septembre 2021.

(5) « Programme progressiste de l’énergie de la FNME CGT » (PDF).

(6) Lire Anne Debrégeas et David Garcia, « Qui veut la mort d’EDF ? », Le Monde diplomatique, février 2021.

(6) Lire Anne Debrégeas et David Garcia, « Qui veut la mort d’EDF ? », Le Monde diplomatique, février 2021.

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Article 2 On a marché sur la tête

Source : Le Monde diplomatique. Revue manière de voir juin – juillet 2023.

https://www.monde-diplomatique.fr/m...

Éditorial, par Pierre Rimbert

La concurrence, répétaient experts et éditorialistes, comprimera les prix du gaz et de l’électricité : depuis quinze ans ils explosent en Europe. Elle garantira la continuité du service : en 2022, le gouvernement français programme des délestages et implore les particuliers d’écourter leur douche pour éviter l’effondrement du réseau. Elle affaiblira les cartels par la multiplication des contrats de gré à gré basés sur les prix en temps réel : l’Organisation des pays exportateurs de pétrole prospère et table sur l’épuisement prochain des gaz de schiste américains (1). Cette sainte concurrence brisera enfin la « rente » des opérateurs publics  : Électricité de France (EDF) fut obligé de vendre à perte du courant à ses concurrents privés, lesquels empochèrent les bénéfices avant, pour certains, de se déclarer en faillite. Simultanément, TotalEnergies annonçait des profits records payés par le consommateur et subventionnés par le « bouclier énergétique », c’est-à-dire par le contribuable. Fruits d’un hasard malheureux ?

Au sein de l’Union européenne, la Commission a organisé l’irrationalité énergétique au nom de la raison libérale (lire « Prix de l’énergie, une folie organisée »). Le résultat confine au génie  : les prix de gros de l’électricité française d’origine nucléaire dépendent du coût de mise en service de la dernière centrale à charbon allemande requise pour éviter la surcharge du réseau.

Soumettre à la mécanique erratique et myope des marchés un secteur aussi souverain que l’énergie a entraîné une conséquence cruciale  : l’impossibilité de planifier rationnellement la transition vers les énergies renouvelables sans que les intérêts des industriels n’interfèrent avec l’objectif climatique. Après la délocalisation de la production et donc de la pollution vers l’Asie, un nouveau dogme prévaut à Washington comme à Bruxelles : faire ruisseler l’argent public sur les groupes privés afin de les encourager à se verdir, plutôt que de financer un secteur public de l’énergie verte. Mais du vert, les industriels ne retiennent que la couleur du dollar, comme l’indique ce titre du quotidien d’affaires britannique Financial Times (10 mars 2023)  : « Les géants du pétrole s’efforcent d’obtenir des milliards de subventions vertes alloués par la loi américaine sur le climat ». Pendant ce temps, la Chine, moins soumise au marché, a planifié l’édification de filières solaires, éoliennes, hydroélectriques, au point que la part des renouvelables dans sa consommation énergétique totale en 2021 dépasse déjà celle des États-Unis. Et elle s’installe au premier rang mondial des constructeurs de véhicules électriques (lire « Voiture électrique, une aubaine pour la Chine »).

Le spectre de la guerre a subitement réhabilité l’idée de souveraineté et rappelé aux dirigeants que l’énergie composait le langage de la puissance Il aura fallu le déclenchement de la guerre d’Ukraine en février 2022 pour que les capitales européennes s’avisent que leur course folle vers le mirage marchand les conduisait au précipice. La dépendance allemande au gaz russe ? Une relation « strictement commerciale », psalmodiaient en chœur le président russe Vladimir Poutine et la chancelière allemande Angela Merkel. Le spectre de la guerre a subitement réhabilité l’idée de « souveraineté » et rappelé aux dirigeants que l’énergie composait le langage de la puissance. Il est trop tard désormais. Impatientes de punir M. Poutine, les capitales européennes ont multiplié les « trains de sanctions » contre la Russie, mais sans en avoir les moyens. Car contrairement aux États-Unis, pour l’instant autosuffisants grâce à l’exploitation (ultrapolluante) des gaz et pétrole de schiste, l’Europe ne peut survivre sans importer d’hydrocarbures. Les brillants esprits qui ont fermé en chantonnant les robinets russes se grattouillent à présent le cuir chevelu  : pendant que l’Allemagne écologiste rallume ses centrales à charbon, le Vieux Continent achète à prix d’or du gazole et du naphta raffinés en Inde, en Arabie saoudite ou aux Émirats arabes unis à partir de pétrole russe que ces pays importent avec une décote de 30 %. Magie de la mondialisation, New Delhi devient le premier fournisseur à l’Europe d’un diesel d’origine russe qui présente la particularité écologique d’avoir effectué le tour du monde en tanker (2). Sur l’échelle de la « diplomatie des valeurs », bomber le torse face au Kremlin passe avant l’urgence climatique.

Cette dernière aura-t-elle au moins la vertu de dissiper les faux-semblants ? Dans l’esprit des ingénieurs, la transition coule de source puisque au cours des trente prochaines années, le soleil rayonnera à lui seul une quantité d’énergie convertible douze fois supérieure à la consommation humaine prévisible au cours de la période (3). Mais doit-on réaliser tout ce que la technologie permet ? Plutôt que chercher quelle énergie propulsera la numérisation du monde, la « mobilité » frénétique, l’inondation de biens et de services à l’utilité discutable, certains explorent d’autres modèles plus raisonnables, plus sobres, plus égalitaires (lire chapitre 3). Pas de transition énergétique sans transformation sociale ?

Pierre Rimbert

Notes

(1) Collin Eaton et Benoît Morenne, « Shale boom wanes as gushers dry up », The Wall Street Journal, New York, 9 mars 2023.

(2) Benoît Faucon, « Saudi Arabia, U.A.E., scoop up Russian oil product at steep discounts », The Wall Street Journal, 17 avril 2023 ; Prejula Prem et Sharon Cho, « Russian oil still powering Europe’s cars with help of India », Bloomberg, 28 avril 2023.

(3) Marc Perez et Richard Perez, « Update 2022 — A fundamental look at supply side energy reserves for the planet », Solar Energy Advances, vol. 2, Fribourg, 2022.

** Annexe

Faut-il réformer le traité sur l’énergie, entrave aux politiques climatiques, ou en sortir ? 9 juillet 2021 par Rachel Knaebel Source : Basta médias https://basta.media/Traite-charte-d...

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