Sainte-Soline : Loïc, le « poète maraîcher », condamné à un an de prison

lundi 21 août 2023.
 

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« Le privilège de l’uniforme doit être aboli », martèle Loïc Schneider. Dans son dos, le policier chargé de l’escorter fronce les sourcils. « Vous me demandez d’assumer mes actes, mais citez-moi un flic qui assume avoir commis des tirs tendus ? » Le 28 juillet, le poète maraîcher de 28 ans, dont Reporterre dressait le portrait au mois de juin, a comparu devant le tribunal de grande instance de Niort (Deux-Sèvres). Près de sept heures durant, les magistrats en robe noire ont tenté de découvrir si, oui ou non, le militant écologiste était bien l’homme surnommé « le moine zadiste ».

Encore aujourd’hui, les images de cette silhouette élancée, aux allures de templier du Moyen-Âge, circulent sur les réseaux sociaux. Le 25 mars, au cœur de la manifestation contre les mégabassines de Sainte-Soline, elle était photographiée en train de brandir le gilet d’un gendarme. Quelques instants plus tôt, ce manifestant encapuchonné taguait « Mud Wizard » sur un fourgon en proie aux flammes, ainsi que, d’après la version du parquet, les lettres « ACAB », acronyme anglais de « Tous les flics sont des bâtards ».

« Alors… Vous l’avez vu ce moine ? » ne cessera de demander le président du tribunal aux témoins. Un brin de malice dans la voix, Loïc Schneider lancera finalement, avant d’être condamné à un an de prison ferme : « Tant que je ne saurai pas qui a tiré sur Serge [blessé à Saine-Soline] et qui a tué Rémi [Fraisse, tué par la grenade d’un gendarme à Sivens (Tarn)], vous ne saurez pas qui est le moine de Sainte-Soline. »

Brigade antiterroriste et mandat d’arrêt européen

Loïc Schneider comparaissait avec trois autres prévenus. Aux alentours de 13 h 30, le vingtenaire franchit la porte du box. D’une pochette cartonnée, il extirpe quelques feuilles. Dessus, est écrite à la main son unique déclaration, parsemée de ratures. Ses doigts tremblent, ses lèvres gélifiées. Il risque jusqu’à sept ans de prison.

Un tour de tête à gauche, et ses yeux croisent le sourire de Manon Aubry [1], sa compagne. Alors, son aisance resurgit. Ce procès sera politique. « On ne m’accuse d’aucune violence sur qui que ce soit, je n’ai tué personne, commence-t-il. Alors pourquoi suis-je emprisonné ? Pourquoi ai-je été arrêté par des hommes cagoulés, armes à feu en main, d’une brigade antiterroriste ? »

Le 20 juin, jour du « coup de filet » où de nombreux militants écologistes furent perquisitionnés, Loïc Schneider dormait chez lui, à Montiers-sur-Saulx (Meuse), près de Bure. Au petit matin, une vingtaine de gendarmes ont débarqué brusquement dans son chalet de 9 m2 et l’ont plaqué au sol avec sa compagne : « C’était d’une brutalité inouïe, racontait récemment à Reporterre Manon Aubry. Avec mes pieds, je parvenais à le toucher et je tentais de le caresser pour le rassurer. »

« Debout, la Terre, soulève-toi ! Debout, la Terre, soulève-toi ! » La voix râpeuse de Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines non merci, s’élève sur le parvis du Palais de justice. Elle est bientôt accompagnée par la centaine de personnes venue soutenir Loïc. Fondue dans cette foule, Michèle brandit une pancarte « Eco-terre-eau-ristes ».

Utilisé par Gérald Darmanin pour qualifier les participants à la manifestation de Sainte-Soline, ce mot n’a pas été avalé : « Comment peut-on faire un lien entre les défenseurs de l’environnement et les terroristes ? Ma fille était au Bataclan. J’ai honte pour eux d’avoir osé ce rapprochement. » Christian, son mari, renchérit : « J’ai parfois le sentiment qu’on vire à la dictature. Sarkozy, à côté de Macron, c’était un nounours. »

Déféré au parquet de Niort, Loïc Schneider a été placé en détention provisoire le 22 juin, à la maison d’arrêt de Poitiers (Vienne), à 550 km de son village. « On vit à trois dans une toute petite cellule, décrit-il. La nuit, je dors au sol, sur un matelas qu’on doit relever le matin pour pouvoir circuler. Et je ne vous parle pas de l’intimité. »

Dans la salle d’audience, le président poursuit avec les antécédents judiciaires du prévenu. Dès 2015, le militant antinucléaire a été condamné à quatre mois de prison avec sursis pour avoir bloqué les sites internet de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), de Cigéo, du Conseil général de la Meuse et du Conseil régional de Lorraine. Deux années se sont écoulées avant qu’il n’écope de la même peine pour avoir malmené les grilles de l’écothèque de l’Andra.

Toujours en 2017, un mandat d’arrêt européen a été émis à son encontre alors qu’il se cachait à la zad de Notre-Dame-des-Landes. La justice allemande lui reprochait d’avoir lancé un pétard dans une banque et d’avoir participé, dissimulé sous une cagoule, à la mise à feu de véhicules et de bâtiments en marge du G20, à Hambourg. Arrêté en août 2018, alors qu’il fêtait son anniversaire, il a été extradé outre-Rhin : « Une première depuis la Deuxième Guerre mondiale ! » précise-t-il, l’index dressé. Condamné à trois années de prison ferme, il est sorti de cellule au bout de seize mois.

« Il n’y a pas de djihadisme vert. En revanche, il y a Rémi Fraisse »

À tour de rôle, à Niort, les témoins ont défilé devant les juges. Un trémolo dans la voix, Jacques a exprimé sa fierté de défendre cette jeunesse, qui « comme mon père s’est battu contre le régime de Vichy en 1940 », se bat aujourd’hui pour ce qui est juste. Essuyant son front d’un revers de manche, le septuagénaire a ensuite plongé dans ses souvenirs du 25 mars : « J’étais dans un état de sidération totale face à ce déluge. Plus de 5 000 grenades ont été tirées en 1 h 30. Je me souviens avoir aidé un jeune à marcher vers un infirmier : son visage était méconnaissable tant il était couvert de sang. »

Un récit appuyé par le rapport dressé par la Ligue des droits de l’Homme (LDH), présenté à la barre par l’une des observatrices : « La stratégie de maintien de l’ordre a mis des vies en danger », dénonce-t-elle, en référence à Serge, victime d’un tir de grenade et placé dans un coma artificiel pendant un mois. Critiqué à l’international, l’usage de la force pour empêcher « coûte que coûte » l’accès à la bassine n’était « ni nécessaire, ni proportionné », d’après l’association de défense des droits humains.

« Quoi qu’il en soit, vous n’aviez pas à être là-bas », lui rétorque le président, qui s’attire aussitôt les foudres de Me Christophe Sgro, l’un des avocats du prévenu : « Que la manifestation soit interdite ou non, les règles restent les mêmes pour les forces de l’ordre. » Or, « il y avait d’un côté des tanks, des camions, des quads et des armes de guerre, et de l’autre, des pierres lancées par des personnes à pied », insiste sa consœur, Me Laure Abramowitch.

L’esprit de Loïc Schneider semblait aussi hanté par un autre traumatisme. Celui de la mort de Rémi Fraisse, un militant écologiste de 21 ans, survenue aux alentours du barrage de Sivens dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014 : « Il n’y a pas de djihadisme vert. En revanche, il y a Rémi Fraisse et une famille qui peine encore à obtenir justice pour son fils. »

Abandonnant ses feuilles écornées et écartant de sa bouche le micro capricieux, le prévenu se métamorphose. Il ne tremble plus, ne bute plus sur le moindre mot. « Rémi est mort, sans même que je m’en rende compte, à une centaine de mètres de moi, dans l’obscurité. Quelques instants plus tôt, une grenade avait frôlé mon crâne. J’aurais pu être à sa place. »

Un an de prison ferme

Maintes fois, le président a questionné témoins et prévenu sur la légitimité du recours à la violence. Pour Jean-François, paysan du littoral aux espadrilles en toile de coton, cette criminalisation des mouvements écologistes est une tentative de détourner l’attention de l’inaction climatique des décideurs : « Moi, je vois mes coquillages mourir peu à peu. Pourtant, je n’entends personne parler de violence. »

Une main en entonnoir autour de son oreille droite, victime d’une perte auditive suite à l’explosion d’une grenade, Loïc Schneider griffonne quelques mots sur une feuille blanche. Il s’élance ensuite, corps et âme, dans une critique méticuleusement ficelée du modèle capitaliste, des lobbyistes et grands pollueurs : « Macron a dit qu’il voulait une agriculture avec des drones, des tracteurs autonomes et davantage de génétique, conclut-il. Ne suivons surtout pas ce banquier de Rothschild ! »

Dans sa plaidoirie, l’avocat de la partie civile a tenté de mettre en garde les magistrats : ce procès n’est pas celui des bassines, mais bien celui de Loïc Schneider. « En quoi écrire que tous les flics sont des bâtards fait avancer la cause de l’eau ? En quoi brandir comme un trophée une veste de la gendarmerie fait avancer la cause écologiste ? La réalité, c’est que M. Schneider n’aime pas l’autorité. Le reste, ce ne sont que des excuses. »

Au grand étonnement des proches du prévenu, la procureure a entamé son réquisitoire par ces mots : « Il n’a évidemment jamais été question de réclamer une peine d’emprisonnement de sept ans. » Elle a requis à la place une condamnation à un an de prison ferme, aménageable sous forme de détention à domicile avec bracelet électronique. Une décision approuvée quelques minutes plus tard par le président et ses assesseurs. Les trois autres militants ont également été condamnés à de la prison avec sursis.

Emmanuel Clévenot

P.-S. • Reporterre. 28 juillet 2023 à 09h49. Mis à jour le 31 juillet 2023 à 15h02 :

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