Violences policières : entretien avec Amanda Chachoua, mère d’Ilan, percuté en scooter par la police

dimanche 29 octobre 2023.
 

Le 13 avril dernier, le gouvernement était fort occupé à ignorer les 1,5 million de personnes rassemblées dans la rue face à sa contre-réforme des retraites. Tant et si bien que le ministre de l’Intérieur a encore raté un épisode de ces violences policières qui n’existeraient pas selon lui, et dont la seule évocation le fait « s’étouffer ». Ce n’est que bien des jours après qu’il s’est hasardé à évoquer la suspension des policiers concernés par les évènements traumatisants vécus par Salif, 13 ans, Ilan, 14 ans, et Safyatou, 17 ans, trois jeunes en scooter percutés par la police.

Le ministre de l’Intérieur a réaffirmé ensuite et en toutes occasions, son « soutien sans faille » à la Police face à toutes celles et ceux qui oseraient « l’outrager » de leurs propos critiques. Alors, devant l’indifférence presque unanime du monde médiatique et politique, devant la gravité des faits, l’Insoumission.fr a décidé de revenir sur ces évènements.

La mère d’Ilan, Amanda Chachoua, a bien voulu accorder à l’Insoumission.fr un entretien pendant lequel elle a donné un certain nombre d’éléments inédits. Ceux-ci démontrent encore que, contrairement au discours cynique du gouvernement, les violences policières ne résultent pas de l’action d’une poignée de cas isolés, mais sont bien la conséquence d’un système qui fabrique le racisme et l’impunité. Notre article.

Le danger, ce n’est pas une chute de scooter, c’est la Police

Ce soir-là, Ilan, un garçon raisonnable qui n’a jamais commis de grosses bêtises et qui reçoit toute la confiance d’une mère attentive, demande la permission de sortir. C’est aussi un enfant qui a des rêves plein la tête. Passionné de football, il a gagné sa place en section sport-étude et vise à court terme les U16, le niveau régional. Il s’entraîne régulièrement avec motivation, constance et discipline.

Ilan sort avec son ami Salif et la grande sœur de ce dernier, Safyatou. Ils décident de prendre un scooter en libre-service à trois. Ce soir, le danger pour eux ne sera pas la chute de scooter mais l’intervention de la police.

L’enquête et les témoins – ainsi qu’une policière prise de remords tardifs – aboutiront à la même conclusion : sur le chemin du retour, un équipage de Police prend en chasse les adolescents, sirènes hurlantes. La jeune conductrice panique. Forcément. Nous ne sommes qu’au mois d’avril, mais il y en a déjà eu quelques-uns, des Nahel, dans la France de Macron. Quand on s’appelle Safyatou, on ne peut qu’en avoir une conscience aiguë.

Pour aller plus loin : Meurtre de Nahel : pas de discours, des actes, justice

Alors, elle ne s’arrête pas. Tous les témoins l’attesteront : elle roule en ligne droite, le scooter n’oscille pas, elle reste parfaitement maîtresse du véhicule. À ce stade, la Police a de nombreuses options possibles à sa disposition pour résoudre la situation sans violences, sans risques.

Elle pourrait, par exemple, suivre le scooter en usant d’avertisseurs sonores et lumineux pour lui intimer l’ordre de s’arrêter. Si cet ordre n’avait pas été suivi d’effets, il aurait également été possible d’attendre que des renforts mettent en place un barrage quelques mètres ou kilomètres plus loin.

Or l’option choisie par la police est d’une violence aussi sidérante qu’absurde. Sans la moindre sommation, une policière ouvre la portière du véhicule en mouvement et braque son arme de service sur les adolescents en éructant. Dans la foulée, le conducteur, de manière absolument délibérée aux yeux des témoins, percute le scooter. Si le Code de la sécurité intérieure dispose que l’usage d’une arme par un policier doit répondre à un état d’absolue nécessité, ses rédacteurs n’avaient sans doute pas envisagé le cas d’une voiture projetée contre des adolescents.

Catapulté à grande vitesse, Ilan s’écrase au sol, en sang, blessé

Par miracle, aucun mort n’est à déplorer. Mais Ilan est catapulté à grande vitesse par-dessus le scooter et s’écrase au sol, en sang, blessé. Des policiers de la BAC, arrivés en renfort, se précipitent, le plaquent et le secouent brutalement. Ils menottent l’enfant qu’ils viennent de percuter. Celui-ci est placé en garde à vue pour complicité de refus d’obtempérer. Ainsi, au lieu de s’assurer de son état de santé et de veiller à sa sécurité, la première réaction de la police face à Ilan consiste à l’entraver pour le jeter en cellule.

La protection civile n’arrivera qu’après plus d’une heure tandis que les enfants sont toujours rudoyés. L’un des ambulanciers parvient à récupérer le téléphone de l’enfant et à appeler Amanda Chachoua pour la prévenir, avant qu’un policier ne le lui arrache des mains. Devant témoins, ce dernier affirmera à la mère que son enfant blessé a « percuté un poteau », avant de lui indiquer que l’équipage l’emmène à l’hôpital Robert Debré.

Il rend ensuite le téléphone à l’ambulancier, pensant que c’était le sien. C’est uniquement grâce à ce quiproquo et à l’ingéniosité d’Ilan, qui a réussi à passer discrètement son téléphone aux sauveteurs, qu’Amanda apprendra par un texto envoyé subrepticement la destination réelle de son fils : l’hôpital Trousseau.

Ces mensonges ont évidemment pour but de couvrir la bavure, d’empêcher la famille de réaliser ce qui se passe. Sorti prématurément de l’hôpital, auditionné sans avocat, l’enfant blessé est laissé des heures dans sa cellule. On ne permet pas à sa mère de l’approcher. La seule fois où Amanda Chachoua pourra voir son fils, c’est parce que ce dernier aura la force d’exiger sa présence et de tenir bon malgré les pressions exercées pour que ce contact n’ait pas lieu.

La suite immédiate est déjà bien traitée par d’autres médias. Safyatou restera quelque temps dans le coma et conserve aujourd’hui de lourdes séquelles. Salif sera, lui aussi, pris en charge dans un état grave, et Ilan finira par être rendu à sa mère, traumatisé. Laissé des heures en cellule malgré les blessures, malgré sa jambe fracturée, il ne sort pas indemne de ce traitement barbare. Pour Ilan, l’horizon football s’est fermé, sans doute définitivement.

Six mois après, l’indifférence générale Six mois après les faits, où en sommes-nous ? Nulle part. Il y a eu quelques réactions, sur le moment. Darmanin, qui murmure que les refus d’obtempérer ne justifient pas d’entorse à la déontologie. La défenseure des droits, Claire Hédon, qui dit s’autosaisir. Mais aujourd’hui, parmi tout ce petit monde, personne n’a jamais recontacté Amanda ou Ilan, laissés à leurs traumatismes. Ni les autorités politiques, ni le monde judiciaire, ni d’autres médias, ni personne. Il faut dire qu’il n’y a pas eu d’émeutes, pour Safyatou, Ilan et Salif. Non pas qu’il faille les souhaiter, ces émeutes.

Mais cette affaire illustre pourquoi nous disons « pas de justice, pas de paix ». Parce que, quand eux, les tortionnaires, les violents, les brutes, ont la paix, c’est la masse de leurs victimes qui souffre.

D’autant plus qu’il y a une autre information passée inaperçue, lâchée par Amanda avec un calme terrible. La prise en chasse n’avait, visiblement, rien d’aléatoire. Selon tous les habitants du quartier qu’elle a questionnés pour comprendre, c’est une pratique régulière de la Police que de se positionner à proximité de la mosquée et d’attendre, d’anticiper la faute, de guetter ceux qui en sortent et d’en faire des cibles. Et quand la mère d’Ilan dit cela, la question posée par cette affaire change.

Elle n’est plus simplement de savoir s’il y a eu violence policière, mais de savoir si celle-ci a été préméditée et si, dans ce pays, les forces de l’ordre tendent des embuscades racistes aux enfants musulmans.

« Je devais faire plus d’efforts, je devais faire plus de sacrifices » Amanda, lors de notre entretien, a dit une chose retranscrite ici à l’identique : « je viens d’un quartier populaire, j’ai eu la chance d’être instruite, mais je reste une femme, je reste une arabe, je peux m’appeler Amanda, ils ne voient que ça. Vous vivez sous le seuil de pauvreté, vous avez des logements insalubres, on connaît, tout ça. Mais c’était un contrat : je devais faire plus d’efforts, je devais faire plus de sacrifices. »

Et de ces efforts supplémentaires aussi injustes qu’épuisants, Amanda et son fils n’ont tiré aucune reconnaissance, aucune garantie d’être traités équitablement. Au contraire, comme des millions de citoyens pauvres et racisés, on leur a imposé un marché de dupes : accepter de baisser la tête, de faire toujours plus pour toujours moins, jusqu’à exiger qu’ils s’écrasent face aux violences les plus insoutenables.

Pour aller plus loin : « Une Police républicaine, vraiment ? » : le témoignage cinglant d’un ancien policier écœuré

Comme le disait avec beaucoup d’à-propos un éminent policier, la fonction de Police est presque tout entière dans la contrainte imposée à la liberté des uns au profit de la liberté des autres. Face aux violents excès d’une liberté de nuire et aux contraintes imposées à nos libertés et à nos droits, nous voulons plus que jamais une France de l’Insoumission, une France qui ne se tait pas, qui ne se calme pas, qui lutte.

Par Nathan Bothereau


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