Recevant à Rome le 29 octobre dernier les participants du 25ème Congrès international des pharmaciens catholiques, le pape Benoît XVI les a invité à défendre leur droit à l’objection de conscience pour "ne pas collaborer directement ou indirectement, à la fourniture de produits ayant pour but des choix clairement immoraux, comme par exemple l’avortement et l’euthanasie". La dépêche, largement reprise par la presse, a fait le tour des rédactions sans susciter de commentaires sur ce qui est en jeu dans cette affaire. Un rapide tour d’horizon sur les sites internet des associations et journaux catholiques témoigne pourtant d’une nouvelle offensive des mouvements catholiques intégristes et d’extrême-droite contre la maîtrise de leur fécondité par les femmes et les couples, acquise grâce aux luttes féministes depuis les années 70 jusqu’à aujourd’hui.
La clause de conscience a été introduite en médecine en 1975 par la loi sur l’IVG (dite loi Simone Veil). Elle permet à un médecin ou un auxiliaire médical de refuser de pratiquer ou de concourir à l’IVG, à l’IMG ( interruption médicale de grossesse) pour des raisons professionnelles ou personnelles. Dans la bataille gagnée de haute lutte par les « 343 salopes » et des milliers de femmes pour ne pas subir de grossesses non désirées, jouir sans entrave, et maîtriser leur destin, la clause de conscience témoigne de l’hostilité et du frein du pouvoir médical et légal de l’époque face aux désirs d’émancipation et d’évolution des rapports hommes-femmes dans la famille et la société. En dépit de la loi et de l’évolution des mentalités, cette clause de conscience a longtemps permis aux chefs de services obstétriques et gynécologiques hostile à l’IVG, d’exercer une influence sur les équipes, avec pour conséquence, dans le service public, de limiter l’accès au droit à l’IVG pour toutes les femmes, en premier lieux, aux plus démunies. En raison de cette clause de conscience, et faute d’un manque réel de moyens et de formation consacrés à cette activité, ce n’est pas un hasard si un nombre considérable de Françaises se voient aujourd’hui encore, contraintes d’avorter en Espagne ou en Hollande.
25 ans après la loi sur l’IVG, et après des années de revendications féministes, la loi du 4 juillet 2001 a élargi le droit à la contraception et l’avortement : allongement du délai légal de recours à l’IVG de 10 à 12 semaines, introduction de l’IVG médicamenteuse en ville (RU486), aménagement de l’autorisation parentale pour les mineures. En outre, la loi de 2004 a consacré l’obligation pour les chefs de services de gynécologie-obstétrique d’appliquer la loi et d’organiser la pratique des IVG. Ainsi, si à titre individuel, un médecin conserve le droit de ne pas pratiquer d’IVG, un chef de service ne peut plus désormais refuser, pour des raisons de conscience, d’organiser la pratique d’IVG dans un établissement de santé public. En matière de contraception, la loi autorise la vente libre de la contraception d’urgence (pilule du lendemain), ainsi que sa délivrance aux mineures par les infirmières scolaires.
Nouvel avatar de l’opposition au droit à l’avortement Au regard de ces évolutions, ce n’est pas un hasard si aujourd’hui l’offensive catholique porte sur la profession des pharmaciens pour tenter d’entraver la liberté des femmes et des couples, en revendiquant un élargissement du droit à l’objection de conscience. L’objectif était déjà clairement identifié dans l’encyclique du pape Jean Paul II, Evangelium Vitae , en août 1993. La clause de conscience est « un droit essentiel qui, en tant que tel, devrait être prévu et protégé par la loi civile elle-même. Dans ce sens, la possibilité de se refuser à participer à la phase consultative, préparatoire ou d’exécution de tels actes contre la vie devrait être assurée aux médecins, au personnel paramédical et aux responsables des institutions hospitalières, des cliniques et des centres de santé. Ceux qui recourent à l’objection de conscience doivent être exempts non seulement de sanctions pénales, mais encore de quelque dommage que ce soit sur le plan légal, disciplinaire, économique ou professionnel ». La revendication actuelle de l’extension du droit de conscience aux pharmaciens s’incrit dans cette ligne. Actuellement, ceux-ci ne peuvent invoquer la clause de conscience pour se soustraire à leurs obligations. Plusieurs décisions de justice se sont fondées sur le refus de vente pour sanctionner une pratique ostentatoire de conviction religieuse de la part de pharmaciens. « En l’état actuel du droit positif, le pharmacien peut échapper aux sanctions du refus de vente en s’abstenant de détenir des produits contraceptifs ou abortifs dans son officine » peut-on lire sur certains sites catholiques, sous forme de conseil à peine voilé pour contourner la loi, en exerçant une pression sur les femmes.
Face à ces refus déguisés, si dans les grandes villes, il est facile de boycotter une pharmacie et de s’adresser à une autre, que se passera-t-il dans les petites villes de province, où les distances sont plus importantes, pour les femmes et les jeunes filles confrontées au refus d’un pharmacien de leur délivrer la pilule du lendemain ?
Ne nous y trompons pas. La campagne idéologique et médiatique orchestrée par l’église qui dispose de relais politiques et de moyens considérables pour revendiquer l’extension du droit de conscience, est lourd de menaces pour les droits des femmes et la laïcité. Face à cela, réagissons : vérifions auprès de nos pharmacies si la pilule du lendemain est disponible. Répertorions les officines qui ne l’ont pas. Boycottons-les. Signalons les refus et faisons circuler l’information, pour nous donner les moyens d’agir.
Agnès Boussuge
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