L’univers de l’extrême droite en expansion en France et en Europe : pourquoi ? Un point de vue

mercredi 13 décembre 2023.
 

Nous avons documenté dans des articles précédents comment les médias dominants diabolisent France Insoumise et banalisent le FN – RN. Mais cela ne suffit pas à expliquer l’ascension du RN.

Nous examinons ici quelque thématiques portées par le RN en résonance avec les perceptions de la population qui contribuent à son ascension.

**

Introduction

il peut être utile de rappeler quelques caractéristiques de discours d’extrême droite.

Selon Michel Winock, historien français, les discours de l’extrême droite répondent à neuf caractéristiques : (nous avons complété ces caractéristiques par des ajouts entre crochets).

- la haine du présent, considéré comme une période de décadence ;

- la nostalgie d’un âge d’or ; [les notions de déchéance intellectuelle et de décadence morale sont des thématiques souvent utilisées.]

- l’éloge de l’immobilité, conséquence du refus du changement ; [L’extrême droite mentionne alors souvent la notion de « France éternelle », de tradition, d’ordre naturel. L’accélération des innovations techniques qu’il est difficile de suivre donne au progrès un contenu menaçant cela peut conduire à l’obscurantisme.]

- l’anti-individualisme, conséquence des libertés individuelles et du suffrage universel ; [cela est à nuancer car pour l’extrême droite la défense de l’intérêt individuel et de la propriété privée individuelle passe souvent avant l’intérêt général.]

- l’apologie des sociétés élitaires, l’absence d’élites étant considérée comme une décadence ; [cela est à nuancer : l’extrême droite critique les élites de la haute fonction publique et la technocratie élitiste de l’union européenne.

Mais ce qui est un trait affirmé, c’est le refus du principe d’égalité.

D’autre part, il y a des hommes qui sont nés pour gouverner, qui en sont capables et d’autres, la majorité qui sont incapables de s’auto organiser et de gouverner. D’où le recours au culte du chef.]

- la nostalgie du sacré, qu’il soit religieux ou moral ; [on retrouve cette idée avec la référence à Jeanne d’Arc et au catholicisme traditionaliste]

- la peur du métissage génétique et de l’effondrement démographique ; [cette peur du métissage génétique est complétée par la peur du métissage culturel la menace « d’un grand remplacement » à la fois démographique et culturel ou religieux est dans cette droite ligne.]

- la censure des moeurs, notamment la liberté sexuelle et l’homosexualité ; [On retrouve cette idée dans la dénonciation du « LGbTisme » et la condamnation du « mariage pour tous ».]

- l’anti-intellectualisme, les intellectuels n’ayant aucun contact avec le monde réel (Poujadisme).

[Il faut ici être nuancé : cette critique ne s’applique pas systématiquement à tous les intellectuels mais à certaines catégories comme par exemple les sociologues, certains économistes et et hauts fonctionnaires « hors sol » coupés des réalités sociales.

D’autre part, il existe des intellectuels de haut niveau au FN – RN comme par exemple Bruno Gollnisch, agrégé en droit. L’institut Iliade qui succède au GRECE est un lieu de réflexion et d’élaboration des intellectuels d’extrême droite. L’anti intellectualisme est donc ici très relatif.]

*

La liste précédente n’est pas exhaustive. Les thèmes abordés dans les discours d’extrême droite sont aussi les suivants : ordre civil et moral ; sécurité des biens et des personnes ; identité culturelle et nationale, immigration.

*

Avant de commencer ici notre exploration, il nous paraît intéressant de citer la conclusion de l’article sur l’extrême droite de l’Encyclopaedia universalis signé par le spécialiste de l’extrême droite : Jean-Yves Camus (à ne pas confondre avec Renault Camus, idéologues d’extrême droite auteur de la notion de grand remplacement). Cet article comprend au total 17 pages au formatA4.

« Le concept d’extrême droite est, en conclusion, plastique. Dans son acception large, il englobe l’ensemble des formations politiques qui procèdent à une critique radicale de la démocratie libérale au nom d’une idéologie autoritaire qui tend à exclure une partie des individus, soit de la nation, soit du droit d’accès à la citoyenneté, en raison de sentiments xénophobes, racistes ou antisémites. Cette définition, qui s’applique, avec des nuances, à la France comme aux autres démocraties occidentales, doit être affinée pour déterminer le degré de parenté des partis étudiés avec le fascisme dans ses différentes variantes, le national-socialisme allemand et les diverses formes d’idéologies autoritaires de droite qui ont eu cours, du début du XXe siècle jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’impact de celles-ci sur les mouvements contemporains est devenu marginal, le fascisme étant surtout un produit de l’ère des masses et un résultat de la véritable mort de la vieille Europe avec le premier conflit mondial, et la tendance actuelle est à la montée des droites radicales. Celles-ci tentent de répondre à deux angoisses contemporaines. La première est celle des identités nationales et individuelles mises à mal par la globalisation, qui a modifié en quelques décennies des habitudes mentales inscrites depuis des siècles ou plus dans les attitudes collectives. La seconde tient à la crise de légitimité d’une démocratie représentative qui, selon ses critiques, enferme la décision politique dans des carcans (traités européens, accords de libre-échange, organisations internationales, nature même du capitalisme mondialisé) qui empêchent le peuple d’exercer pleinement sa souveraineté. La droite radicale est celle qui propose comme remède à ces deux maux l’invariance des identités »

**

Il ne suffit pas de déplorer et de dénoncer les avancées électorales de l’extrême droite en France et ailleurs. Il ne suffit pas de proclamer « A bas les fachos ! » pour affaiblir son influence. Il est nécessaire d’analyser finement, sans billet cognitif ou idéologique, les causes de cette progression.

*

1 – Les causes socio-économiques.

Je ne reviendrai pas ici en détail sur les causes socio-économiques de la montée de l’électorat d’extrême droite, en particulier dans les classes populaires, dues aux conséquences sociales calamiteuses des politiques néolibérales qui se sont développées en Europe, notamment en France, depuis les années 1980. La précarité croissante de l’emploi, le déclassement, les délocalisations, l’augmentation de la pauvreté, la stagnation voire la baisse du pouvoir d’achat et des salaires, le chômage de masse, la mise en compétition des travailleurs sur un marché du travail internationalisé, l’atomisation des rapports sociaux, notamment dans la production, sont autant de facteurs à considérer.

Il est également important de souligner la transformation de la perception de la responsabilité des dégâts sociaux, passant d’une responsabilité verticale (attribuée aux employeurs cupides et à une administration prédatrice) à une perception horizontale (attribuée aux immigrés, aux assistés, aux fainéants, etc.). Évidemment, ces deux types de perceptions coexistent avec des intensités relatives variables.

**

2 – Le brouillage des repères politiques gauche/droite.

La social-démocratie et ses variantes en France et en Europe n’ont pas résolu les problèmes sociaux fondamentaux tels que le chômage, la précarité de l’emploi et la stagnation des salaires, entre autres. La convergence idéologique entre la droite et la gauche réformiste, adoptant une vision économique commune basée sur le néolibéralisme, vient perturber un repérage fondamental entre la droite et la gauche. D’autre part, les coalitions multiples en Europe entre la social-démocratie et la droite ont montré leur impuissance. L’extrême droite devient alors une alternative crédible par défaut. À cela s’ajoute une multitude de scandales de corruption ou de conflits d’intérêts portant atteinte au crédit moral des professionnels de la politique.

*

3 – Trois critiques légitimes porteuses.

3.1 – Critique de la démocratie républicaine.

Le fonctionnement de la République et de la démocratie est soit assujetti, soit perturbé par la puissance des sociétés industrielles et financières, remettant en cause le cadre républicain et démocratique. La référence constante aux droits de l’homme, continuellement bafouée par ceux qui les proclament, devient un slogan vide de sens. La prétendue démocratie exportée par intervention militaire et coup d’État vide le terme "démocratie" de toute signification. Il n’est donc pas étonnant que les partis politiques très critiques des institutions républicaines et démocratiques prennent ainsi de l’essor.

Remarquons que le FN – RN n’est pas ici en décalage avec l’opinion des Français relevés par des sondages.

En 2010,47 % des Français considéraient la démocratie fonctionnait mal, ils sont 61 % en décembre 2022. (Ipsos)

Pour le fonctionnement des institutions républicaines, 42 % en 2010 des Français considéraient qu’elle fonctionnait mal ils sont 52 % à le penser en 2022. Ce qu’il faut surtout relever ici, c’est la tendance à la dégradation.

Voir aussi un sondage de l’IFOP :

https://www.ifop.com/publication/le...

L’Ifop a sondé les Français au sujet de la République et des principes républicains : les évocations spontanées associées au terme « République » laissent apparaitre une image positive du concept pour 47% des personnes interrogées. De la notion de démocratie à celle des droits de l’homme en passant par la vision idéalisée d’un peuple français solidaire, les Français perçoivent la République comme un élément constitutif de l’Histoire de notre pays (43%), même si elle ne constitue qu’une partie de celle-ci pour 57% d’entre eux.

Lire la suite en utilisant le lien précédent.

Certes, mais cela signifie aussi que 53 % des Français n’ont pas une image positive de la république, ce qui donne du grain à moudre à un parti non républicain dans ses racines.

3.2 – La souveraineté nationale en péril.

Les institutions supranationales telles que l’OMC, le FMI, l’OCDE, l’OMS et surtout l’Union européenne, neutralisant en grande partie la souveraineté nationale, provoquent des réactions nationalistes et souverainistes.

À cela s’ajoute le constat que la France n’est plus capable d’assurer sa souveraineté économique dans des domaines essentiels comme la souveraineté alimentaire la souveraineté énergétique mise en lumière par la guerre en Ukraine, sa souveraineté sanitaire mise en lumière par la crise de la covid.

Ce phénomène est renforcé par la vassalisation des États européens par les États-Unis d’Amérique. L’Union européenne adopte exactement les mêmes orientations géopolitiques que les États-Unis au détriment de ses intérêts nationaux.

La notion d’indépendance nationale et d’État souverain est alors gravement mise à mal. Cela constitue un argument de plus pour renforcer le nationalisme d’extrême droite.

Il est important de remarquer que cette préoccupation de souveraineté et partagée par de nombreux Français.

Par exemple, une enquête de l’IFOP publiée en 2022 a révélé que 67 % des Français estiment que l’Union européenne a trop de pouvoir sur les États membres. Ce chiffre est en hausse par rapport à 2019, où il était de 57 %.

Une autre enquête, réalisée par l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a montré que 70 % des Français considèrent que la souveraineté nationale est menacée par l’intégration européenne. (Par comparaison, rappelons qu’un sondage de 2023 indiquait que 65 % des Français considèrent que l’immigration est un problème important et 45 % considèrent qu’il y a trop d’immigrés en France.)

J’attire l’attention sur le fait que tous les souverainistes de droite et d’extrême droite sont actuellement en train de se mobiliser autour de cette thématique comme en témoigne l’article du J DD intitulé : La guerre de la souveraineté nationale aura lieu

Tribune collective du 25/09/2023 https://www.lejdd.fr/international/...

La coalition de la droite et de l’extrême droite ne va pas seulement se faire sur le thème de l’immigration mais sur le thème de la souveraineté nationale. Cette vague souverainiste traverse aussi des courants de gauche comme l’atteste la création de la revue : « Front populaire » initié par Michel Onfray qui se veut un magazine souverainiste transpartisan. https://frontpopulaire.fr/

Observons que certains idéologues de droite et d’extrême droite relient cet abandon de la souverainetÉ à celle d’abandon d’identité nationale (au sens d’identité socioculturelle.) On parle alors de « crise de civilisation » et de « protectionnisme » contre l’immigration.

On peut alors passer de la notion de souveraineté civile républicaine à celle de souveraineté ethnoculturelle qui peut alors alimenter un discours idéologique que l’on trouve dans le parti « Reconquête ».

Les souverainistes républicains de gauche ne doivent donc pas tomber dans ce piège mortel pour l’unité des travailleurs.

Je ne développe pas ici la notion d’identité nationale au sein de l’extrême droite qui est excellemment décrite dans l’article suivant

L’identité nationale : un marqueur idéologique central du FN et du RN

Par Valérie Igounet historienne

Article paru dans Le DDV n°683, juin 2021 . Revue universaliste.

https://www.leddv.fr/analyse/lident...

3.3 – La mondialisation.

Une troisième thématique à examiner après celle de la souveraineté nationale et de la démocratie républicaine, est celle de la mondialisation.

L’extrême droite critique la mondialisation et le libre-échange qui l’accompagne. Cela se traduit par une perte de souveraineté économique, même dans la production de biens essentiels. Elle préconise donc un protectionnisme.

Elle considère alors qu’il existe deux camps : celui des mondialistes, où elle place la gauche et une bonne partie de la droite, et d’autre part, les souverainistes et patriotes, parmi lesquels on trouve le RN, l’UPR, Debout la France, Les Patriotes de Florian Philippot.

Cette thématique est reliée à la précédente, portant sur la remise en cause de la souveraineté nationale par des institutions supranationales.

On remarque que l’extrême droite fait abstraction des rapports de classe capitaliste. Elle invoque le rôle néfaste de la haute finance, essentiellement comme atteinte à la souveraineté nationale et aux intérêts nationaux. Le Selon cette vision les capitalistes ne sont pas perçus comme faisant parti d’une classe dominante exploitant la force de travail des salariés mais comme des individus dont un certain nombre sont des prédateurs ou peuvent se constituer en groupes prédateurs analogue à des bandes de malfaiteurs ou à des voyous corrompus il existe évidemment des capitalistes voyous mais le système capitaliste ne se réduit pas à une bande de voyous : c’est une conception simpliste.

Une variante de cette conception suggère l’existence d’un groupe plus ou moins occulte de super-riches transhumanistes qui contrôlent, en coulisses, la gouvernance mondiale.

Là encore, il nous faut examiner la résonance du thème abordé avec l’opinion des Français relevée dans les sondages.

Selon les sondages, les Français ont une opinion majoritairement négative de la mondialisation des échanges économiques et financiers. En effet, selon un sondage OpinionWay réalisé en 2023, 60 % des Français ont une mauvaise opinion de la mondialisation, contre seulement 30 % qui ont une bonne ou très bonne opinion. Cette opinion négative se retrouve dans toutes les catégories socioprofessionnelles, mais elle est plus marquée chez les ouvriers (70 %) et les employés (65 %) que chez les cadres (45 %).

Les principaux motifs de mécontentement des Français vis-à-vis de la mondialisation sont les suivants :

La crainte de la perte d’emplois, due à la délocalisation des entreprises vers des pays à bas coût de production.

La perception d’une concurrence accrue des entreprises étrangères, qui entraîne une baisse des salaires et des conditions de travail.

La dégradation de l’environnement, due à l’augmentation des échanges internationaux de biens et de services.

Les Français sont également préoccupés par les inégalités qui se creusent entre les pays développés et les pays en développement. Ils estiment que la mondialisation profite davantage aux pays riches qu’aux pays pauvres.

Cette défiance par rapport à la mondialisation et évidemment reliée aux causes sociaux économiques mentionnés précédemment pour expliquer, en partie, la montée de l’extrême droite, comme en témoigne d’ailleurs l’article :

Pourquoi les Français n’aiment pas la mondialisation ? Source : La Tribune https://www.latribune.fr/opinions/t...

Malgré cette opinion négative, les Français ne sont pas favorables à un retrait de la France de la mondialisation. Ils souhaitent plutôt que la mondialisation soit régulée de manière à en limiter les effets négatifs. Ils sont notamment favorables à une meilleure protection des salariés, à une plus grande prise en compte de l’environnement et à une plus juste répartition des richesses. On constate sur cette question que l’opinion des Français est très proche de celle de l’Avenir en commun de France Insoumise.

*

En fait,LFI a toutes les capacités pour traiter de manière efficace les thématiques précédentes avancées par le FN – RN.

Mais encore faut-il que La France Insoumise en ait le désir politique ( avec éventuellement ses alliés de la NUPES, ce qui est encore moins évident) s’affirmer comme un mouvement « souverainiste de gauche » si l’on préfère « indépendantiste » ne semble pas être dans sa dynamique.

Mais de mon modeste point de vue, je lance ici un avertissement : si elle ne le fait pas, elle se suicide politiquement et sera pulvérisée par l’extrême droite. Non seulement aux élections européennes mais aussi aux élections qui suivront.

La France Insoumise à un programme suffisamment cohérent et étendu pour recouvrir toutes les thématiques du RN, raison pour laquelle LFI ne doit laisser le champ libre au RN sur aucun terrain et notamment celui de la souveraineté qu’elle soit économique, populaire, nationale.

**

Annexe

notre article : De souverainetés en souverainismes. https://www.gauchemip.org/spip.php?...

Populisme et gouvernabilité dans la perspective des élections européennes Emiliano Grossman Dans Revue de l’OFCE 2018/4 (N° 158), pages 463 à 474 Source : cairn info https://www.cairn.info/revue-de-l-o...

**

Pleins feux sur l’extrême droite avec l’institut La Boétie https://www.gauchemip.org/spip.php?...

**

Hervé Debonrivage


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message