Francis Daspe "Préserver la laïcité équivaut à garantir la souveraineté populaire"

jeudi 21 décembre 2023.
 

La laïcité n’a pas été consensuelle. Elle a mis du temps à surmonter force obstacles et, de ce fait, à s’imposer durablement. Très longtemps, ceux qui n’en voulaient pas ne pouvaient concevoir de société stable sans une imprégnation profonde de la religion et une acceptation plus ou moins tacite d’un contrôle social dévolu à l’Église. Dans un même élan, et en parfaite cohérence, ils récusaient fermement toute forme républicaine au régime politique dans lequel ils entendaient vivre.

Aujourd’hui, les héritiers de ces courants politiques réactionnaires ou conservateurs, termes initialement distincts mais se recoupant de plus en plus, existent toujours. Mais ils en viennent désormais, ironie de l’histoire, à exciper sans discontinuer le mot laïcité dans l’espoir de trouver une solution magique à toutes leurs préoccupations, quand il ne s’agit pas d’obsessions peu avouables. Le mot, mais certainement pas la chose. Car c’est presque toujours dans une perspective effectivement réactionnaire et conservatrice que la laïcité est conviée à leur secours.

Une laïcité bousculée

C’est ainsi que l’actualité regorge d’exemples de la sorte. Il ne s’agira pas d’en établir un inventaire, car le récent triste épisode élyséen n’en représente hélas que la face émergée de l’iceberg. Il convient davantage de prendre un peu de hauteur de point de vue, afin d’accéder aux principes dont le respect équivaudrait à un antidote à toutes ces dérives.

« La laïcité ne peut être transformée en un principe asymétrique. »

Il est en effet impossible de contester que la laïcité soit depuis trop longtemps bousculée, contournée, dénaturée, instrumentalisée, battue en brèche et même humiliée. En ton nom, que de confusions, de contresens, d’offenses on commet ! Et ceci tout en affectant de te chérir ! Il y eut un temps où les adjectifs accolés à profusion au mot laïcité servaient à la déqualifier ou même à la disqualifier de manière sournoise.

La laïcité est d’abord une exigence fondamentale. Elle n’est donc pas par conséquent une simple et vulgaire tolérance. Elle ne peut se confondre, par le travers d’une regrettable confusion, avec une quelconque forme d’œcuménisme. Elle ne peut pas, également ou symétriquement c’est selon, servir à une insidieuse volonté de procéder à une rechristianisation de la société, en s’inscrivant dans une logique de combat face à la concurrence d’autres confessions ou dans une simple perspective de préservation des acquis et des rentes accordés par l’Histoire. C’est que la laïcité ne peut être transformée en un principe asymétrique, prétexte commode pour justifier à bon compte ses phobies nauséabondes. Enfin, elle ne peut pas non plus être piétinée dans le seul objectif de valoriser ses intérêts bassement politiciens, rentiers ou clientélistes, autrement dit au prix de trahisons et de renoncements méprisables. Il est vrai que certains, issus du camp progressiste, s’accommodent sans barguigner avec l’attribution d’aides financières extra-légales à l’enseignement privé confessionnel, tout en prétendant tenir à la laïcité comme à la prunelle de ses yeux.

Une protection

À ce compte, on s’aperçoit que la laïcité est finalement bien moins « consensuelle » que certains apôtres autoproclamés d’un tout aussi improbable arc républicain en cours d’ « épiphanie », renforcé par quelques élargissements pas très « catholiques » pour l’occasion, voudraient le faire croire. En théorie du moins, mais pas toujours en pratique. Une réflexion un peu plus approfondie en faisant retour aux principes permet de remettre de manière opportune en exergue l’exigence intrinsèque de la laïcité.

« La laïcité ne constitue pas un supplément d’âme à la République. »

Car ses vertus sont considérables, garanties par le respect des principes la constituant. Au premier de ceux-ci, une distinction claire et rigoureuse des sphères publique et privée, resucée de la célèbre apostrophe de Victor Hugo plus que jamais d’actualité, prononcée le 14 janvier 1850 devant l’Assemblée nationale, « l’Église chez elle et l’État chez lui ». C’est cela qui ouvre la voie à la réalisation concrète, ni plus ni moins, de la promesse républicaine en ce domaine : reconnaissance de la liberté de conscience et de culte, garantie de l’égalité en droits, condition de la fraternité en actes.

« Le cléricalisme, voilà l’ennemi », proclamait pour sa part Léon Gambetta devant la Chambre des députés le 4 mai 1877, au plus fort de la confrontation. Aujourd’hui, le péril endosse les habits de l’inquiétante reconfessionalisation de la sphère sociale et politique. De la sorte, prolifèrent des considérations politiques construites en fonction des canons de la religion. Des tentations, à ne pas minimiser, incitent à ce que des décisions politiques soient influencées par un substrat religieux, voire à en être clairement et étroitement compatibles. Les lignes rouges sont prêtes à être franchies. La foi ne peut en aucune manière faire la loi. C’est au contraire la loi qui protège la foi (ou son absence), pour peu que la foi ne se mêle pas de se substituer de manière inopportune au législateur.

Pour une laïcité exigeante

La laïcité ne constitue pas un supplément d’âme à la République. Ses principes sont inscrits au cœur même de la devise républicaine. Ils en constituent le soubassement le plus solide. C’est en cela que la laïcité doit être comprise et reconnue, comme une exigence inébranlable. Ses racines sont lointaines.

Une d’entre elles remonte aux réflexions fécondes de l’humaniste italien Jean Pic de la Mirandole, jetant à la face des forces obscurantistes de la fin du Moyen Âge, dans son traité de 1486 intitulé De la dignité de l’homme, qu’il n’y avait rien de plus admirable que l’Homme. La laïcité reprend à son compte ce manifeste, instituant que les femmes et les hommes constitués en peuple sont en capacité de se gouverner par eux-mêmes, en dehors des dogmes religieux et autres vérités révélées.

Préserver la laïcité équivaut à garantir la souveraineté populaire. En conséquence, nul ne peut s’improviser valablement défenseur exclusif d’un prétendu arc républicain. Surtout en le faisant par une appropriation indue de la laïcité à rebours de son histoire, ni par une récusation malvenue en contradiction flagrante avec cette même histoire politique. Laïcité chérie, que de vilenies en ton nom !


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