Municipales en Turquie : Ras de marée de la gauche et des Kurdes

vendredi 12 avril 2024.
 

L’opposition turque a remporté, dimanche 31 mars, une large victoire à travers le pays et conservé Istanbul et Ankara, les deux plus grandes villes du pays.

A) En Turquie, l’opposition à Erdogan décroche une victoire historique aux municipales (Libération)

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a concédé dimanche 31 mars la victoire historique de l’opposition aux élections municipales, qui constituent selon lui un « tournant » pour son camp, au pouvoir depuis 2002. Le dépouillement de près de 99 % des urnes à l’échelle nationale confirme que l’opposition turque a infligé au parti AKP (islamo-conservateur) du chef de l’Etat sa pire débâcle électorale en deux décennies.

Le principal parti de l’opposition, le CHP (social-démocrate), a revendiqué sa victoire à Istanbul et Ankara, les deux plus grandes villes de Turquie et raflé de nombreuses autres, comme Bursa, grosse ville industrielle du nord-ouest acquise à l’AKP depuis 2004. La proclamation des résultats définitifs par la Haute commission électorale (YSK) attendue dans la journée de lundi confirmera ces résultats, déjà intégrés par les principaux intéressés, dont le chef de l’Etat. Depuis le siège de son parti à Ankara et devant une foule abattue, inhabituellement silencieuse, le président turc a promis de « respecter la décision de la Nation ».

Peu auparavant, le maire sortant d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, quinquagénaire médiatique et fringant, avait annoncé sa réélection à la tête de la plus grande ville de Turquie, qu’il a conquise en 2019, sans même attendre la proclamation des résultats officiels. « Ce soir la démocratie va déferler […] sur les places, dans les rues, les universités, les cafés et les restaurants d’Istanbul », a lancé l’édile face à des dizaines de milliers de ses partisans, exultant, accourus devant le siège de la municipalité, sous une déferlante de drapeaux rouges turcs et de fumigènes.

« Les électeurs ont choisi de changer le visage de la Turquie » A Ankara, le maire CHP Mansur Yavas, largement en tête, avait lui aussi déjà revendiqué la victoire, affirmant devant une foule en liesse que « ceux qui ont été ignorés ont envoyé un message clair à ceux qui dirigent ce pays ». « Les électeurs ont choisi de changer le visage de la Turquie », a estimé le chef du CHP, Ozgur Ozel.

Outre Izmir, troisième ville du pays et fief du CHP, et Antalya où les partisans de l’opposition ont commencé à célébrer la victoire dans les rues, la principale formation de l’opposition a réalisé une percée spectaculaire en Anatolie. Elle fait la course en tête dans des chefs-lieux de provinces longtemps tenus par l’AKP, selon des résultats quasi définitifs qui ont pris de court les observateurs.

Le président Erdogan, âgé de 70 ans, dont 21 au pouvoir, avait jeté tout son poids dans la campagne, en particulier à Istanbul, sa capitale économique et culturelle dont il fut le maire dans les années 1990 et qui a basculé dans l’opposition en 2019. Tout au long de la campagne, il a enchaîné les meetings quotidiens, bénéficiant d’un temps d’antenne illimité sur les télévisions publiques, quand ses adversaires en étaient presque privés. Mais l’engagement du chef de l’Etat, qui a annoncé début mars que ces élections étaient « ses dernières », n’a pas suffi.

Les candidats de l’AKP se sont toutefois maintenus en tête dans plusieurs grandes villes d’Anatolie (Konya, Kayseri, Erzurum) et de la mer Noire (Rize, Trabzon), bastions du président Erdogan, tandis que le parti pro-kurde DEM s’assurait une confortable avance dans plusieurs grandes villes du sud-est à majorité kurde, dont Diyarbakir, la capitale informelle des Kurdes de Turquie.

Le maire d’Istanbul sur les rails pour la prochaine présidentielle

La défaite du Parti de la justice et du développement, notamment à Istanbul, sera lourde de conséquences pour Erdogan. S’accrochant à la ville, le président avait annulé l’élection municipale de 2019, pour finalement voir Ekrem Imamoglu l’emporter de plus belle lors d’un second scrutin organisé trois mois plus tard, subissant ainsi son pire revers électoral depuis son arrivée au pouvoir en 2003 en tant que Premier ministre.

B) Comprendre la défaite historique d’Erdogan en cinq points (Nouvel Obs)

Le président turc Recep Tayyip Erdogan et son parti islamo-conservateur, l’AKP, au pouvoir depuis 2002 ont connu dimanche 31 mars leur pire défaite lors des élections municiales. Depuis le siège de son parti à Ankara et devant une foule abattue, inhabituellement silencieuse, le président turc a promis hier soir de « respecter la décision de la Nation ».

Des enjeux nationaux

En s’impliquant personnellement dans la campagne pour les élections municipales au côté des candidats de son parti, en particulier à Istanbul qu’il voulait à tout prix reconquérir, Recep Tayyip Erdogan a donné à ce scrutin local une résonance nationale. Plus que la débâcle du candidat AKP dans la mégapole, le peu charismatique Murat Kurum, c’est celle du chef de l’Etat qui était abondamment commentée dimanche.En Turquie, Erdogan concède une victoire historique de l’opposition aux municipales Son parti n’est pas parvenu à reprendre les grandes villes perdues il y a cinq ans, dont Istanbul et la capitale Ankara, mais il a perdu en plus des capitales provinciales dans la conservatrice Anatolie, considérées comme acquises de longue date.

Pour Berk Esen, politiste à l’université Sabanci à Istanbul, il s’agit de « la plus grande défaite électorale de la carrière d’Erdogan ». Le CHP, premier parti d’opposition, a lui enregistré « son meilleur résultat depuis les élections de 1977 ».

Le poids de la crise économique

Outre une possible lassitude de retourner aux urnes dix mois après les élections présidentielle et législatives de mai 2023, les électeurs, confrontés à une grave crise économique, ont sanctionné le gouvernement : l’inflation de 67% sur un an et le dévissage de leur monnaie rendent le quotidien de nombreux Turcs de la classe moyenne insoutenable.

Cette désaffection s’est notamment traduite par une participation en recul par rapport à 2019.

« Les changements les plus importants en Turquie interviennent quand les gens ne peuvent plus assurer leur quotidien, quand ils n’arrivent plus à manger », relève Ali Faik Demir, professeur à l’université Galatasaray d’Istanbul.

Istanbul : capitale économique et « trésor » national

« Qui remporte Istanbul remporte la Turquie », a coutume de dire le président Erdogan. Byzance puis Constantinople, la mégapole plurimillénaire de 16 millions d’habitants (près d’un cinquième de la population turque) est à la fois le joyau du pays par son passé prestigieux, sa capitale culturelle sise sur le Bosphore, mais elle en est aussi le « trésor » au sens le plus strict du mot, représentant à elle seule 30% PIB de la Turquie.

« Ce n’est pas facile de gérer Istanbul, une ville plus peuplée qu’une vingtaine des pays de l’Union européenne... C’est une plaque tournante, un centre commercial, financier et culturel. C’est un pays », commente Aylin Unver Noi, professeure à l’université Haliç d’Istanbul, pour qui « ceux qui parviennent à diriger cette ville et y font leurs preuves » voient ensuite leur carrière décoller. Erdogan l’a éprouvé, lui qui en fut maire en 1994.

Le crépuscule d’Erdogan ?

Au pouvoir depuis 2003 comme Premier ministre, puis comme président depuis 2014, réélu en 2018 et en 2023, le chef de l’Etat dont c’était les cinquièmes élections municipales a bravé bien des tempêtes.

Il a survécu aux grandes manifestations de l’opposition à Istanbul en 2013, dites de Gezi, qui avaient essaimé dans 80 des 81 provinces du pays. Puis à une tentative de coup d’Etat en juillet 2016, suivie de vastes purges.

Aussi, la déconfiture de son parti signe-t-elle pour autant la fin du chef de l’Etat ? Les analystes avaient déjà annoncé le crépuscule du « reis » en 2019 après la perte d’Istanbul et d’Ankara aux municipales. Pourtant, il est parvenu à se maintenir au pouvoir, réélu à la présidence en mai 2023 avec 52% des voix. Cette fois, il a laissé entendre que ces élections seraient ses « dernières ».

Bayram Balgi, chercheur au CERI-Sciences Po à Paris, en est convaincu :

« Il est capable de surprendre et décider de mettre un terme à sa carrière. Une façon de sortir en beauté, tout en restant fidèle à sa vision de l’Islam et à ses convictions religieuses selon lesquelles rien n’est éternel sur cette terre. »Turquie : pourquoi le soutien d’Erdogan au Hamas est un risque calculé Imamoglu président ?

Le maire d’Istanbul reconduit à la mairie fait plus que jamais figure de « patron » de l’opposition : il en a la stature, la popularité, le sens médiatique et surtout, l’appétit pour la conquête, jusqu’à la présidence. Ce que que ne manquent pas de lui reprocher ses adversaires au sein même de son parti, qui lui reprochent de soigner davantage sa carrière que les affaires de sa ville.

Surtout, Ekrem Imamoglu est dans le viseur du pouvoir qui l’a fait condamner fin 2022 à deux ans et sept mois de prison pour « insulte » aux membres du Haut comité électoral turc. L’édile a fait appel mais cette peine continue de planer comme une menace sur son avenir politique et l’avait écartée de la course à la présidence en mai 2023.

C) "La démocratie va déferler" : débâcle historique aux municipales pour le parti de Recep Tayyip Erdogan (BFM)

Une vague rouge est arrivée en Turquie. Le pays s’est réveillé, ce lundi 1er avril, à un "tournant" de son avenir politique, après une victoire historique de l’opposition aux élections municipales. Un séisme dans ce pays dominé depuis plus de deux décennies par le président Recep Tayyip Erdogan et son parti.

Les résultats, quasi définitifs ce lundi, donnent le Parti républicain du peuple - CHP, social-démocrate -, principale formation de l’opposition, large vainqueur du scrutin jusque dans des provinces d’Anatolie tenues jusqu’alors par le Parti de la justice et du développement - AKP, islamo-conservateur - du président turc.

Carton plein dans des fiefs conservateurs

Istanbul, Ankara, Izmir, Adana, Antalya... Le CHP, qui avait été sonné par la défaite de son candidat à la présidentielle de mai 2023, a fait carton plein dans les plus grandes villes du pays dont Bursa, vue comme un fief conservateur, ainsi que dans plusieurs autres provinces d’Anatolie considérées comme acquises au pouvoir.

Nouvelle donne politique

Anticipée à Ankara et Istanbul, les capitales politique et économique que le pouvoir avait perdues en 2019, la victoire de l’opposition a pris de court les observateurs par son ampleur, considérée comme inédite depuis 1977 et qui redessine la géographie électorale du pays.

Champion de l’opposition depuis sa victoire à Istanbul il y a cinq ans au terme d’une âpre élection, le maire CHP de la mégapole turque Ekrem Imamoglu, très populaire dans tout le pays, se retrouve propulsé dans la course à la présidentielle de 2028.

Le maire CHP d’Ankara, Mansur Yavas, réélu avec 30 points d’avance sur son rival de l’AKP après dépouillement de la quasi totalité des urnes, sort lui aussi extrêmement renforcé de cette élection.

C) Municipales en Turquie : l’opposition remporte une victoire historique (RFI)

C’est exactement le scénario que Recep Tayyip Erdogan redoutait : non seulement les maires d’opposition à Istanbul et Ankara l’emportent une seconde fois face à un candidat du pouvoir – qui plus est, en s’emparant de la majorité au conseil municipal – mais ils augmentent leur score par rapport à 2019. Et ce, alors même que ces maires n’étaient soutenus que par leur parti, le CHP. Il y a cinq ans, ils avaient été élus grâce à une alliance de partis d’opposition.

Autrement dit : Recep Tayyip Erdogan a face à lui deux rivaux capables de rassembler les voix de l’opposition au sens large et dont la popularité rivalise avec la sienne. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, pour lequel un destin national pourrait s’être ouvert dimanche soir, à quatre ans de la prochaine présidentielle.

« Un tournant », concède Erdogan

La proclamation des résultats définitifs par la Haute commission électorale (YSK) attendue dans la journée de lundi confirmera ces résultats, déjà intégrés par les principaux intéressés, dont le chef de l’État. Tard dans la soirée, vers 1h du matin, heure locale, le président Erdogan a concédé un « tournant » pour son camp. « Malheureusement, nous n’avons pas obtenu les résultats que nous souhaitions », a déclaré le chef de l’État, qui s’exprimait au siège de son parti, l’AKP, à Ankara, devant une foule inhabituellement silencieuse. « Nous ne manquerons pas de respect à la décision de notre Nation, nous éviterons de nous entêter, d’agir contre la volonté nationale et de remettre en question le pouvoir de la Nation », a-t-il précisé.

L’ambiance est donc joyeuse et résolument confiante ce dimanche soir au siège du CHP. De larges sourires sont visibles sur les visages des responsables du parti. Le maire d’opposition d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, a annoncé sa réélection. « Nous sommes en première position avec une avance de plus d’un million de voix (...) Nous avons gagné l’élection », a-t-il déclaré devant la presse, précisant que ces résultats portaient sur 96% des urnes.

Au CHP, on est d’autant plus satisfait que la victoire est aussi assurée dans la capitale, Ankara. Le maire sortant d’opposition Mansur Yavas apparaît largement en avance pour remporter très confortablement un deuxième mandat. Il a d’ailleurs revendiqué sa victoire. « Les élections sont terminées, nous continuerons de servir Ankara et [ses] six millions d’habitants sans discrimination », a promis l’élu du parti social-démocrate. « Les électeurs ont choisi de changer le visage de la Turquie » après 22 ans de domination du parti islamo-conservateur AKP, a estimé dimanche Ozgur Ozel, le chef du CHP au soir des élections municipales. « Ils ont voulu ouvrir la porte à un nouveau climat politique dans notre pays », a-t-il relevé.

Grand silence en revanche pour l’instant du côté de l’AKP, le parti pouvoir. Certaines de ses places fortes comme Bursa, la 4e plus grande ville turque, a rejoint dimanche Istanbul, Ankara et Izmir dans le camp de l’opposition. Balikesir, Denizli ou encore Afyonkarahisar pourraient passer à l’opposition. Si l’on regarde l’ensemble de la carte, c’est toute la région égéenne, les provinces intérieures et pas seulement les littoraux qui paraissent être en train de basculer du côté de l’opposition.Du point de vue de Recep Tayyip Erdogan, les résultats sont bien une déception cuisante, mais aussi une source d’inquiétude pour l’avenir de sa formation, l’AKP, dont les scores se dégradent d’une élection à l’autre.

Violences

Le scrutin a été marqué par des violences à travers le pays, faisant au moins trois morts. Dans le sud-est du pays, des affrontements ont eu lieu entre des personnes armées de pistolets, bâtons et pierres et ont fait un mort et 11 blessés. Dans un autre incident, un candidat a été tué et quatre autres personnes ont été blessées dans des affrontements, selon l’agence de presse d’État Anadolu.

À Sanliurfa (sud-est), 16 personnes ont été blessées, toujours selon Anadolu, un autre candidat a été poignardé dans l’ouest du pays et une personne a été abattue par balle et deux autres ont été blessées dans la nuit à Bursa (nord-ouest).

Le parti pro-kurde DEM, archi-favori dans nombre de localités de la région, dit avoir recensé des irrégularités « dans presque toutes les provinces kurdes ». Il a notamment dénoncé l’inscription suspecte, selon lui, de plusieurs dizaines de milliers de membres des forces de l’ordre sur les listes électorales des régions kurdes. Une délégation d’observateurs venue de France s’est même vue refuser l’accès à un bureau de vote de la région, selon l’association d’avocats MLSA.


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