COMMISSION ATTALI Libérer... le capitalisme

lundi 1er août 2016.
 

Réunis en commission sous la houlette de Jacques Attali, ancien conseiller de François Mitterrand, 43 « experts » ont concocté un rapport d’étape. Ils se sont donné pour mission de lever toutes les barrières qui pouvaient encore, sur certains marchés, limiter un tant soit peu les destructions sociales et environnementales.

La moitié des « experts » de la commission Attali sont des patrons de grandes firmes, de banques ou de cabinets de conseil (Nestlé, Crédit agricole, MCKinsey France, Areva, Orange, Cetelem, Renault, Weinberg Capital Partners, etc.). Il faut y ajouter des membres du Conseil d’analyse économique, des membres des « boîtes à penser » ultralibérales, - comme l’Institut Montaigne, avec l’ex-PDG d’Axa, Claude Bébéar, ou Croissance Plus, avec Geoffroy Roux de Bézieux (qui explique que la taxation des stock-options va l’empêcher d’embaucher à bas salaire) -, des personnalités médiatiques (Boris Cyrulnik, Hervé Le Bras, Érik Orsenna, Theodor Zeldin), le journaliste ultralibéral du Monde Éric Le Boucher , des membres de cabinets de régulation sociale (l’ex-secrétaire général de la CFDT, Jean Kaspar), des politiciens libéraux, et, bien sûr, aucun syndicaliste, aucun représentant d’une association écologiste, quelle qu’elle soit.

Écologie négligée

La feuille de route de ces « experts » s’intitule sobrement « Libérer la croissance ». Elle se donne pour objectif global une croissance de 5 % par an de l’économie française. Pourquoi 5 % ? Ce serait le rythme de la croissance mondiale - ce qui est faux -, mais surtout c’est le rythme moyen de la croissance du PIB en France et dans les autres pays industrialisés durant les « trente glorieuses », des années 1950 à 1980. Or, aujourd’hui, le contexte est bien différent.

Ce rythme de croissance, qui s’accompagnait d’un quasi-plein-emploi, reposait sur des politiques industrielles et de soutien à la demande, dans des économies relativement protégées de la concurrence mondiale et des mouvements internationaux de capitaux, et sur la base d’un rapport de force très favorable aux salariés. Tout cela est incompatible avec les modalités d’une mondialisation libérale qui met en concurrence généralisée les travailleurs sur la planète et, pour ce faire, tente de démanteler tous les droits sociaux, s’appuie sur le dumping fiscal et un chômage de masse nécessaire au capital pour maintenir ses profits. Le caractère absurde du dogmatisme libéral de la commission n’en apparaît que davantage, même du point de vue de ce seul objectif de croissance. Jacques Attali proclame, sur le site Internet liberationdelacroissance.fr : « Notre pays est en panne. Sa croissance est l’une des plus faibles du monde. » On retrouve toute la vulgate libérale sur une économie française qui serait bloquée par les rigidités, les corporatismes, etc. En réalité, toutes les études sérieuses montrent que ce sont précisément les politiques économiques ultralibérales, la soumission à la dictature des marchés financiers et, depuis l’euro, le carcan du Pacte de stabilité budgétaire et de la politique monétaire de la Banque centrale européenne, qui maintiennent les économies de l’Union européenne dans une croissance faible, sans empêcher la croissance phénoménale des profits et du chômage !

De ce point de vue, le rapport Attali a le mérite de la clarté : si croissance il doit y avoir, il lui faut balayer sur son passage toutes les entraves possibles, qu’elles soient sociales ou écologiques. Ses deux propositions emblématiques sont ainsi la suppression du principe de précaution et la suppression de tous les obstacles à la concurrence dans le secteur de la grande distribution et dans celui du logement. Le principe de précaution, inscrit dans la Constitution en 2005, est une disposition, bien insuffisante, prévoyant « l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage » irréversible qui pourrait être fait à l’environnement. Mais ce principe est désormais considéré comme un frein à la croissance et à l’innovation ! On ne saurait plus clairement renvoyer le Grenelle de l’environnement au rideau de fumée qu’il est, et le respect des objectifs affichés pour la France, en matière d’émission de gaz à effet de serre, à un vœu pieux...

Concurrence libre et non faussée

Deuxième big-bang préconisé par la commission : l’intensification de la concurrence dans le secteur de la grande distribution, censée améliorer le pouvoir d’achat des ménages, par une baisse des prix des biens de consommation, et créer des emplois. Il s’agirait d’instaurer une « totale liberté tarifaire et de négociations commerciales entre fournisseurs et distributeurs », de supprimer l’interdiction de vente à perte, prévue par la loi Galland (1996), et la limitation à l’installation des grandes surfaces prévues par les lois Royer (1973) et Raffarin (1996). Plusieurs commentateurs se sont inquiétés du danger qui menacerait alors le petit commerce. C’est oublier qu’y règnent bien souvent le non-droit et la surexploitation des salariés, tout autant, sinon plus, que dans la grande distribution. Le problème est plutôt que davantage de concurrence aboutira à davantage de monopole des grands distributeurs, de suppressions d’emplois, de hausses de prix, et à encore plus de dégradation de l’environnement à la sortie des villes, avec plus d’hypermarchés géants.

Dans le secteur du logement, ce serait la concurrence libre et non faussée : « alléger le contrat de bail », « sécuriser les expulsions » pour les propriétaires. Des mesures qui n’augmenteront certainement pas l’offre de logements, à l’image de la libéralisation des licenciements, qui devait permettre davantage d’embauches et de créations d’emplois ! Il est aussi prévu de faciliter l’accession à la propriété pour les ménages modestes, une idée dont on vient de voir l’effet catastrophique aux États-Unis !

Le contenu de la croissance souhaité par ce rapport est donc en adéquation avec les méthodes pour y arriver, et il est à l’opposé de celui que nous devons défendre. Car les besoins massivement non satisfaits, aujourd’hui en France, ne sont pas les voitures, les grandes surfaces commerciales, les 4x4, les camions... Mais les écoles, les hôpitaux, les centres de santé, les crèches, les logements sociaux, les transports en commun, la culture... Toutes choses qui doivent être fournies par des services publics et non par la concurrence (ni par un quelconque « tiers secteur », qui n’est que le paravent du marché) ; toutes choses qui sont aussi très peu destructrices pour l’environnement ; toutes choses qui ne sont enfin pas un champ de profits pour le capital.

Stéphanie Treillet, Ensemble, novembre 2007


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