En Espagne, l’alliance entre la droite et l’extrême droite vole en éclats

lundi 22 juillet 2024.
 

L’annonce a pris l’Espagne de court, jeudi 11 juillet au soir, à l’heure du dîner et du Telediario-2 (le JT de 22 heures) : le parti d’extrême droite Vox rompt ses pactes de gouvernement dans les cinq régions qu’il cogère avec le Parti populaire (PP, droite). Dans une brève intervention, le président de Vox, Santiago Abascal, a ordonné à ses adhérents qui exercent des responsabilités régionales (vice-présidents, ministres) de démissionner. Le motif : le refus de la répartition des mineurs étrangers sur l’ensemble du territoire, une demande du gouvernement de gauche dont le PP a accepté le principe en traînant les pieds.

Après avoir décrit le Premier ministre, le socialiste Pedro Sánchez, comme « un autocrate corrompu vendu au Maroc », Santiago Abascal a rendu Alberto Núñez Feijóo, le chef de file du PP, complice de « l’invasion de l’immigration illégale et des menas [mineurs étrangers non accompagnés] ». Conséquence : le retrait de « l’appui parlementaire aux gouvernements d’Estrémadure, des Baléares, d’Aragon, de la région de Valence, de Castille-León et de Murcie », et l’entrée de Vox dans l’opposition. Dans une sixième région, l’Andalousie (la plus peuplée du pays), Vox soutient la présidence PP sans participer à l’exécutif, mais en exerçant son influence sur ses thèmes de prédilection : l’impunité pour l’agro-industrie qui assèche les ressources en eau, la corrida, la négation des crimes de la dictature franquiste…

Thèmes de prédilection de Vox : l’immigration, l’impunité pour l’agro-industrie qui assèche les ressources en eau, la corrida, la négation des crimes de la dictature franquiste…

L’accueil des migrants, en particulier les mineurs auxquels les lois européennes accordent une protection spécifique, est un des points de friction entre le gouvernement espagnol et l’opposition. Ils arrivent en quasi-totalité sur l’archipel des Canaries, au large de l’Afrique, et dans les villes enclaves de Ceuta et Melilla, en territoire marocain. Dans un rapport publié ce jeudi, Frontex, l’agence européenne des frontières, signale que les entrées illégales dans l’UE ont chuté d’un tiers sur les six premiers mois de l’année, par rapport à 2023, mais qu’elles sont en hausse de 174 % sur la « route d’Afrique de l’Ouest » – celle qui mène en bateau vers les Canaries. Près de 20 000 nouveaux arrivants ont été comptabilisés depuis janvier dans l’archipel.

La région autonome des Canaries est submergée par cet afflux, qui dépasse largement ses capacités d’accueil, tant pour les adultes que pour les mineurs, qui sont plus de 5 600, logés dans des conditions de précarité et d’insalubrité dénoncées par les ONG. L’exécutif, géré par une alliance entre les autonomistes de Coalición Canaria et le PP, appelle à l’aide le gouvernement central pour répartir, au nom de la solidarité entre les régions, ces migrants dans le reste du pays. Le PP est pris entre deux feux : sa branche insulaire appelle à la répartition, mais son allié Vox, peu représenté aux Canaries, refuse cette solution (sans proposer d’alternative). La rupture est donc logique.

Premier cas de désobéissance

Pourtant, l’effort demandé aux régions semble minime. Il porte sur 347 jeunes migrants, dont seulement 110 seront dirigés vers les cinq régions (sur 17) jusque-là co-gouvernées par le PP et Vox depuis 2023. Mais l’intransigeance du parti de Santiago Abascal, au discours xénophobe assumé et proclamé, a triomphé, et les conséquences de ce dynamitage peuvent être lourdes pour la droite. Se retrouvant en minorité, le PP risque de perdre ces régions, en cas de motion de censure déposée par la gauche, puisque ce sont les députés régionaux qui élisent les présidents.

C’est le scénario envisagé aux Baléares, où le pacte prévoyait la présidence de la région au PP, contre la présidence du Parlement régional à Vox. Le vendredi 12 juillet, ont été signalés deux cas de désobéissance : deux ministres d’extrême droite d’Estrémadure et de Castille-León ont annoncé qu’ils quittaient Vox afin de conserver leur poste.

Le coup de boutoir raciste de Santiago Abascal, tout-puissant patron du parti, intervient au moment où les yeux du monde entier sont fixés sur le footballeur Lamine Yamal, issu de l’immigration (son père est marocain, sa mère d’origine guinéenne), mineur (il fête ses 17 ans le 13 juillet) et perle de la sélection espagnole. Il dispute dimanche la finale du championnat d’Europe face à l’Angleterre. Refuser l’immigration, c’est non seulement se priver d’une population dont l’économie a besoin, en raison de la faible natalité, mais aussi faire une croix sur les futurs Lamine Yamal.

Article de François-Xavier Gomez


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