Deux questions posées à dix personnalités qui ont marqué le débat en 2005.
1. En quoi la victoire du "non" a-t-elle été utile ?
2. Quel avenir pour 2007 ?
MARIE-GEORGE BUFFET, SECRÉTAIRE NATIONALE DU PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS
1. Je dirais surtout qu¹elle a été utile aux Européens ! La camisole libérale n¹est pas entrée en vigueur ! Les dirigeants européens ont dû reculer sur leurs projets les plus néfastes pour les salariés ou les services publics : le parcours de la directive Bolkestein est, par exemple, bien plus laborieux que ce que ses promoteurs avaient envisagé... La victoire du « non » a aussi mis au grand jour tout le déficit démocratique de la construction européenne. Elle a montré que l¹intervention populaire pouvait radicalement la réorienter. La route reste très longue, mais la victoire du « non » a fixé le cap !
2. C¹est une majorité du peuple de gauche qui s¹est retrouvée dans ce refus de l¹Europe libérale. Pourquoi ce rassemblement du monde du travail, de la jeunesse, des chômeurs et des précaires ne pourrait-il pas se reconstituer pour affirmer cette fois un désir d¹une autre politique ? La campagne référendaire et la lutte contre le CPE ont montré la force d¹une dynamique unitaire à gauche, rassemblée sur une volonté claire de rupture avec toutes ces politiques qui, depuis plus de vingt ans, ne font qu¹aggraver le chômage, susciter de l¹angoisse et de la mal-vie, nous déposséder de la maîtrise de notre avenir. Cette dynamique, elle est toujours là : dans tous mes déplacements, à la porte des entreprises, sur les marchés, dans les forums, j¹entends les mêmes choses : « Madame Buffet, il faut se rassembler pour battre la droite et il faut que la gauche réponde à nos attentes, cette fois... ». Cette dynamique, les communistes veulent la faire vivre en rassemblant, partout en France, au sein notamment de comités locaux d¹union populaire, toutes celles et tous ceux qui pensent que la gauche peut gagner sur un projet de rupture claire avec la loi du fric qui écrase tout aujourd¹hui ! C¹est le sens de l¹appel que j¹ai lancé : je ne veux pas que les luttes et les exigences populaires soient piétinées par la droite au pouvoir, trahies par une gauche de renoncement, stérilisées par une gauche contestataire. Je veux qu¹elles soient portées par une gauche audacieuse, antilibérale et majoritaire et qu¹elles se concrétisent dans la réalité.
LAURENT FABIUS DÉPUTÉ PS DE SEINE-MARITIME
1. Le « non » a montré qu¹une majorité de Français, particulièrement une majorité de la gauche, refusait une dérive libérale de l¹Europe et voulait une autre Europe, sociale, démocratique, qui ne se soumette pas à la mondialisation financière. Ce message-là, je crois qu¹il a commencé d¹être entendu même si certains commentateurs continuent de faire croire que le « non » a été involontaire, que les électeurs n¹avaient pas compris, et autres calembredaines. Ce « non » a entraîné certaines conséquences, en particulier pour remettre en cause la fameuse directive Bolkestein, la direct ive portuaire et d¹autres encore. Mais, et j¹insiste sur cela, nous sommes encore très loin du compte. Faute de représentants gouvernementaux - les 25 gouvernements actuels de l¹Union sont pour le « oui » -, faute de majorité progressiste au Parlement européen, il n¹a pas été encore possible de lancer un véritable plan alternatif de relance européenne. C¹est à cela qu¹il faut travailler maintenant, en créant les conditions politiques d¹une alternance.
2. Bien sûr, le 29 mai comptera. En 2002, l¹Europe a été absente du débat présidentiel. En 2007, cette erreur ne doit pas être rééditée. Élection présidentielle de 2002, scrutins de 2004, référendum de 2005, crise des banlieues, mobilisation anti- CPE, à chaque fois les circonstances sont différentes mais un message fort vient des urnes ou de la rue : les Français veulent un coup d¹arrêt au tout-précarité, au tout-marché. Ils ne veulent pas du libéralisme, y compris sous sa version « blairiste ». Seule une ligne clairement de gauche peut permettre le rassemblement des forces de gauche et rendre possible une alternative à la déferlante libérale, communautariste et atlantiste de M. Sarkozy. C¹est pour cette alternative que j¹agis et c¹est dans cet esprit que je souhaite conduire la gauche à la victoire présidentielle en 2007.
JEAN-LUC MÉLENCHON SÉNATEUR PS DE L¹ESSONNE, PORTE-PAROLE DE PRS
1. Le vote « non » n¹est pas responsable de l¹impasse actuelle du projet européen. Celle-ci est le résultat d¹une méthode de construction purement intergouvernementale qui laisse volontairement de côté les peuples pour imposer des politiques libérales que le plus grand nombre refuserait si on lui demandait son avis. En France, les tenants du « oui » de gauche n¹ont pris aucune initiative pour relancer le processus européen en tenant compte du vote « non ». Ils ont laissé les sociaux démocrates européens répéter leur attachement à la constitution. Participant à plus de la moitié des gouvernements de l¹Union, tous s¹accordent pour vouloir que les votes de leurs parlements en faveur de la constitution s¹imposent aux peuples français et néerlandais. Cet encerclement allumera une immense flambée nationaliste dont personne ne sait qui sortirait gagnant.
2. L¹axe d¹un bon plan B pour l¹Europe passe justement par la présidentielle. Logiquement, le c¦ur du plan B du « non »de gauche consiste à élire un président de la République issu du « non »de gauche. Pour porter l¹essentiel du mandat du vote du 29 mai. Premièrement : « Non c¹est non, cette constitution ne sera jamais ratifiée. » Deuxièmement : « La France propose l¹ouverture d¹un nouveau processus constituant démocratique. » Le calendrier démocratique le permet. En 2007 nous pouvons élire un président issu du « non » de gauche. Puis en 2008 la France présidera l¹Union européenne pour six mois. Pour relancer le processus de construction européenne, elle peut proposer de s¹en remettre aux citoyens européens eux mêmes. En effet, en 2009, à l¹occasion du renouvellement du Parlement européen, les électeurs pourraient être invités à donner un mandat constituant à la nouvelle assemblée. Ce calendrier, c¹est notre plan B. Il suppose un préalable simple : reconnaître la décision de la souveraineté populaire. Le « non » français doit être respecté. Ce n¹est pas acquis. Les élites françaises et européennes veulent toujours se venger du « non » populaire. Le travail du 29 mai n¹est pas achevé. Nous devons le faire en 2007.
YVES SALESSE, CONSEILLER D¹ÉTAT
1. La victoire du « non » en France a aidé celle des Pays-Bas et fait échec au projet de « constitution ». Les promoteurs de celle-ci n¹ont pas renoncé. Mais pour l¹instant nous l¹avons bloquée. C¹est la première fois que les peuples se mettent en travers de la marche, qui semblait inexorable, de l¹Europe libérale et antidémocratique. L¹onde de choc a touché l¹opinion de tous les pays. L¹adhésion à l¹Europe libérale ne va plus de soi. Le « non »n¹a pas stoppé l¹offensive anti-sociale, mais l¹a entravée. Nous n¹avons pas gagné sur la directive Bolkestein. Nous sommes parvenus au moins à ce qu¹elle fasse débat et à imposer quelques reculs. Le Parlement européen a rejeté la directive portuaire.
2. En France, la déception prévaut. Nous avons une droite et un gouvernement restés fort arrogants. Pourtant le paysage politique est en partie transformé. Nous avons battu politiquement les forces sociales-libérales. Sur un point cardinal. L¹aspiration à l¹unité de la gauche anti-libérale brandit une menace sur qui prendrait la responsabilité de faire cavalier seul. Je l¹avais dit à la Fête de l¹Humanité : « Malheur à qui romprait la dynamique unitaire qui nous a permis de gagner ! » Le mouvement qui a abouti au retrait du CPE n¹est pas tombé du ciel. Il n¹est ni le prolongement mécanique de la campagne du « non » et de sa victoire, ni l¹¦uvre des seules forces qui l¹ont portée. Il y a pourtant un lien. Le 29 mai a montré l¹illégitimité et la fragilité du pouvoir. Cette perception a contribué à cette extraordinaire mobilisation. La victoire du 29 mai aura une portée électorale incertaine et une assurée. Il n¹est pas donné que les électeurs du « non » sanctionneront les candidats du « oui ». Si nous sommes unis, il est possible que se prolonge le mouvement de l¹an passé. Nous pouvons battre le social-libéralisme à gauche une nouvelle fois. Ce n¹est pas un pronostic. C¹est une possibilité. Tandis que la dispersion signifierait l¹impuissance, l¹exaspération, le découragement. C¹est là que la portée électorale est assurée. Incertaine pour la sanction des candidats du « oui ». Paradoxalement certaine pour la sanction des candidats du « non » rivaux dans une compétition dérisoire.
CLAIRE VILLIERS, CONSEILLÈRE RÉGIONALE (ALTERNATIVE CITOYENNE)
1. La victoire du « non » est un coup de barre contre la dérive ultralibérale de la construction européenne. Ce « non » est évidemment constructif. Sans cette victoire, la directive Bolkestein, qu¹il faut continuer à combattre, n¹aurait pas été amendée. La mobilisation et les débats impulsés par les militants du « non » ont poussé - y compris certains qui ont pu voter « oui » -, à une réflexion de grande ampleur sur le projet européen, sur le libéralisme. La révolte des banlieues et l¹immense bataille contre le CPE sont dans cette droite ligne. Ce sont des coups de boutoirs et les pièces, pour le moment un peu éparses, d¹un puzzle. Mais le puzzle d¹une alternative en train de se construire en France, et j¹espère en Europe.
2. Libéralisme ou pas ? C¹est de cela qu¹il s¹agit. Des citoyens ont pu voter « oui » sans être des ultralibéraux, d¹autres qui n¹étaient pas des antilibéraux ont voté « non ». Néanmoins la fracture entre le « oui » et le « non » au traité est extrêmement importante au regard des choix politiques. De ce point de vue, la motion de synthèse du congrès socialiste du Mans est incroyable. Je pense profondément qu¹il n¹y a pas de synthèse possible entre libéralisme et antilibéralisme. Pour cette raison, j¹espère très fort que ceux qui ont mené ensemble cette bataille pour le « non » de gauche se rassemblent et se présentent unis lors des prochaines échéances électorales. Les enjeux sont les mêmes pour la France et pour l¹Europe. Voulons nous construire une alternative à l¹ultralibéralisme ? Depuis une dizaine d¹années, dans tous les forums sociaux, nous affirmons qu¹il faut rompre avec les politiques libérales, apporter des réponses aux urgences sociales et en même temps dessiner un autre monde. Alors le lien est pour moi très direct entre le « non » au référendum et 2007. Penser, comme cela semble être le cas aujourd¹hui à la direction du PS, que le 29 mai n¹est qu¹un moment qui peut être effacé me paraît irrespectueux de la volonté des Françaises et des Français, et une façon d¹engager sur de très mauvaises bases la construction d¹une politique alternative. Il est important aujourd¹hui de bien voir quelles sont les ruptures nécessaires pour construire un autre avenir.
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