Poggio : Quel peut être l’avenir du PC en France ?
Bernard Pudal : Je crois qu’on peut dire que le Parti communiste dans la forme, les structures qu’il s’est données et dont il est encore prisonnier n’a pas d’avenir. Fondamentalement, il dépend encore d’une histoire qui est celle de l’Internationale communiste et de la révolution d’octobre 1917. C’est une histoire double : d’une part, bien sûr, l’échec de cette expérience politique, échec criminel en Union soviétique et dans les pays communistes, mais c’est aussi une réussite d’un point de vue "sociologique", dans la mesure où le PC a réussi à légitimer un personnel politique d’origine ouvrière. De ce point de vue, c’est un parti démocratique, au sens sociologique du terme. Et c’est sans doute cette "réussite" qui explique l’attachement, en particulier dans le cas français où le PC n’a pas été en situation d’exercer la violence physique, des militants communistes, bien sûr des plus vieux aujourd’hui, à une expérience militante qui peut apparaître et qui est en partie une expérience de progrès : lutte antifasciste, etc.
john : Pourquoi un parti de 135 000 adhérents fait-il 2 % à l’élection présidentielle ?
Bernard Pudal : Il est évident que le PC revendique un chiffre fictif d’adhérents. En fait, tout donne à penser que l’on a un corps militant très composite de quelques dizaines de milliers d’adhérents, et pas beaucoup plus. Pour l’assemblée extraordinaire, et dans sa préparation, grosso modo, on peut évaluer à trente mille, si l’on en croit les chiffres avancés, les participants. Dans le débat d’ailleurs est apparue l’absence de militants jeunes, qui a souvent été indiquée comme un problème par les militants communistes eux-mêmes. On a un corps militant vieillissant, qui sont les "retraités communistes". Ce qui explique le chiffre de cent trente-cinq mille adhérents.
julien : Quels sont concrètement les mesures, les actes que le PC pourrait entreprendre pour espérer obtenir les scores qu’il réalisait à l’époque de Georges Marchais ?
Bernard Pudal : Je crois que la question est de savoir si ce PC peut muter en occupant une position dans le champ politique, dans la configuration des partis politiques, susceptible de lui permettre de se développer. Et c’est évidemment ce à quoi ont été confrontés et sont confrontés aujourd’hui les communistes. De mon point de vue, ils sont dans une contradiction qui les paralyse.
D’une part, ils tiennent grâce à l’ensemble de leurs élus et de leur implantation électorale. Le financement, les militants semi-professionnalisés relèvent de l’implantation électorale, de leurs élus locaux. Ils sont donc tenus par des alliances avec le Parti socialiste. D’un autre côté, une part importante de leurs soutiens est plutôt du côté de ceux qui se reconnaissent dans les nouveaux mouvements sociaux, une petite fonction publique cultivée, des soutiens chez les artistes précaires, qui constituent une des bases de leur reconnaissance. Et qui les poussent vers une plus grande radicalité, en tout cas vers une rupture avec des alliances trop gauche plurielle avec le PS.
Benjiii : Le PCF peut-il suivre le modèle de partis homologues européens dont l’électorat progresse ? Je pense à Die Linke en Allemagne.
Bernard Pudal : C’est évidemment une des possibilités. Et au sein du PC, un certain nombre de communistes, en particulier du côté de Clémentine Autain ou de Roger Martelli, ou même de Braouezec, ne sont pas sans penser qu’une reconstitution d’une gauche plus radicale sur le modèle de Die Linke est une éventualité à prospecter. Mais cette solution est vécue par les anciens communistes comme une atteinte à leur passé communiste, et c’est pourquoi l’assemblée générale qui vient de se tenir n’a fait que prolonger l’incertitude du devenir communiste.
Andres_nin : Une union de la gauche de la gauche est-elle envisageable ?
Bernard Pudal : On peut toujours penser qu’une partie du PC est d’ores et déjà prête à envisager la création soit d’une organisation, soit d’un front d’une gauche de gauche qui serait explicitement en tension, en contradiction, en opposition avec un PS qu’il qualifierait à ce moment-là de néolibéral. Mais le PC tel qu’il continue à être aujourd’hui ne s’est pas orienté majoritairement vers cette option.
hibou : Le Parti communiste n’a-t-il pas manqué une occasion en or avec les collectifs antilibéraux et une candidature unique à gauche du PS ? Est-il condamné au repli ?
Bernard Pudal : Je n’ai pas à porter de jugement de valeur sur l’expérience ratée ou réussie. La seule chose que je peux dire, c’est qu’il y avait des logiques à la position prise par la direction du PC. A savoir le maintien d’un candidat qui était un candidat communiste séparé des autres candidats de la gauche de la gauche. Et ces logiques expriment en réalité la paralysie dont je parlais précédemment.
Tant qu’au sein du PC les débats, les conflits, les tensions ne conduiront pas à une nouvelle orientation, en fait, on aura une sorte d’inertie de l’appareil politique. Et c’est ce à quoi nous assistons. D’où, d’ailleurs, le débat dit "démocratique" qui est une sorte de décentralisme démocratique qui, malgré les apparences, interdit dans une certaine mesure que de véritables tendances, de véritables équipes, sur des programmes différents, se constituent et se comptent.
jp : La direction du PCF et son comité central ont toujours été tentés de mener une politique dite "opportuniste" qui tient peu compte des attentes des élus locaux de ce même parti comme de l’attente des responsables syndicaux.
Bernard Pudal : A ma connaissance, il n’y a pas tant de tension que cela entre la direction et les élus.
gringo : Le vote ouvrier s’est déplacé à droite. Le PC doit-il essayer de le reconquérir ?
Bernard Pudal : Il est incontestable que le PC a perdu dès la fin des années 1970, au moment de la rupture du programme commun, une partie importante de ses soutiens ouvriers du point de vue électoral. Ce processus s’est prolongé, et effectivement, une part non négligeable d’un électorat ouvrier s’est tournée vers le Front national. Mais d’abord vers le PS au début des années 1980.
La question de la reconquête présuppose que l’on s’interroge sur l’évolution des classes populaires. Et c’est précisément cette évolution qui a été aussi "ratée" par la direction du PC. Les classes populaires aujourd’hui, c’est à la fois pour beaucoup des ouvriers d’origine immigrée ou immigrés, mais c’est aussi pour beaucoup des ouvriers beaucoup plus cultivés, plus intellectualisés, proches des classes moyennes intellectuelles, et ce sont ces deux ensembles que la tradition communiste n’est pas parvenue à associer à son développement.
Reconquérir les classes populaires, c’est donc une nécessité si le PC veut rester fidèle à son histoire, c’est-à-dire à sa capacité à légitimer des individus qui sont illégitimes en politique. Mais cela supposerait de faire le deuil de cette classe ouvrière des années 1930-1950 sur laquelle le PC a édifié son identité.
Jp : S’il vous plait, faites référence aux milliers d’élus locaux du PCF qui assurent da direction de nombreuses collectivités locales. Pouvez-vous préciser ce qu’ils apportent de spécifique ?
Bernard Pudal : Vous avez parfaitement raison. Le PC aujourd’hui, c’est treize mille élus locaux, plus de sept cents mairies, et donc du point de vue du financement, comme je l’ai dit, et du point de vue des militants appointés, c’est une dimension essentielle, très différente par exemple de la LCR, du PC. Nous n’avons pas d’étude sur les différentes façons d’exercer le métier d’élu local dans la diversité des situations existantes.
Néanmoins, nous savons que certaines municipalités, par exemple de la "banlieue rouge" comme Saint-Denis, Montreuil, Ivry-sur-Seine, sont vertébrées par les relations entre les élus communistes, les membres du Parti communiste et différentes fractions des classes moyennes de la fonction publique, intellectuelle et artistique. Il y a là des clientèles dont il faudrait faire l’analyse. Et ce sont ces noyaux complexes qui soutiennent le maintien de certains pouvoirs locaux. Ce qui est vrai dans la banlieue ne l’est pas forcément à Calais ou ailleurs.
Grégoire : La réunion de ce week-end en Italie qui semble se traduire par une alliance de la gauche radicale et des Verts pour faire face au nouveau Parti démocrate n’est-elle pas reproductible en France ?
Bernard Pudal : Oui, c’est évidemment là aussi une hypothèse de certains communistes. Mais dans le cas de l’ex-Parti communiste italien, qui dès 1991 s’est orienté vers une forme de social-démocratisation, on avait une situation où le Parti socialiste italien était en position de faiblesse. Dans le cas français, le PCF a d’un côté un PS puissant, et de l’autre une constellation à la fois d’extrême gauche et des nouveaux mouvements sociaux pour aller vite, entre lesquels il ne parvient pas à trouver une place originale. Il est possible que les transformations internes du PCF, si elles donnent du poids à ceux qui sont les plus proches de la gauche radicale, tout simplement par la disparition quasi mécanique de militants anciens, rendent crédible cette option à court ou à moyen terme.
Jean_Déan_1 : Peut-on penser que le Congrès de décembre 2008 se traduise par une scission au sein du PCF ?
Bernard Pudal : Je ne peux pas lire dans le marc de café, mais c’est évidemment une possibilité. Je rappelle que lors de la préparation de l’assemblée générale, un groupe dans lequel se trouvent Roger Martelli et Patrick Braouezec a prévenu que si on allait trop loin dans le maintien de l’identité passée, il considèrerait que la question d’une scission se poserait.
ours : Marie-George Buffet n’est-elle pas dépassée par les enjeux de la rénovation nécessaire ?
Bernard Pudal : C’est une question à laquelle il est difficile de répondre. En même temps, on peut penser que les dirigeants politiques expriment une situation plus qu’ils n’orientent l’organisation qu’ils dirigent. Dans le cas de Marie-George Buffet, à la différence entre autres de Robert Hue, qui avait tenté d’incarner une orientation qu’il appelait la mutation, on a une secrétaire nationale qui s’efface derrière les débats, qu’elle se contente d’organiser, dit-elle.
On a donc une sorte de démission du rôle dirigeant des dirigeants. Et Marie-George Buffet, par son histoire, qui est essentiellement l’histoire d’une militante liée à l’appareil du parti, est plus prédisposée à ce rôle de présence-absence qu’à un rôle d’élaboration d’une orientation nouvelle.
Et il faut ajouter que dans les débats, ce vide théorique a été souvent pointé par les communistes. Par exemple par Michel Simon, par Anicet Le Pors, le premier étant un sociologue important du PC, et le second un ancien ministre. Mais il y en a bien d’autres qui ont constaté le désarroi idéologique ou théorique du PCF.
lola : La voir remplacer par Patrice Bessac, Marie-Pierre Vieu ou Olivier Dartigolles qu’on présente comme des relèves possibles, est-ce envisageable ? Les dirigeants du PCF se sont toujours arrangés pour introniser leur successeur.
Bernard Pudal : Je n’ai absolument aucun avis sur cette question. Il faudrait être au cœur des organismes dirigeants pour éventuellement avoir un avis qui aurait quelque crédibilité. Et ce n’est pas mon cas.
gringo : Sa participation au gouvernement ne lui a-t-elle pas fait perdre des voix dans l’électorat populaire et contestataire ?
Bernard Pudal : Dans une certaine mesure, c’est toujours le même problème : le PC préserve son appareil et ses implantations, par conséquent s’allie au PS, et pâtit du discrédit dont les politiques socialistes ont pu faire l’objet. Du coup, il ne parvient pas à occuper, sauf dans le discours, des positions dites de rupture et de réforme structurelle. C’est la différence, entre autres, avec la LCR, qui n’est pas tenue par des alliances avec la gauche réformatrice.
Matthias : Que peut espérer le PCF pour les élections de mars ? Peut-il garder ses deux conseils généraux d’Ile-de-France et gagner celui de l’Allier ?
Bernard Pudal : La question de la survie de l’implantation municipale a déjà été posée depuis le mois d’octobre. Le PC monnaie son soutien au PS, à condition que celui-ci, même quand il n’est pas majoritaire électoralement au sein de la gauche, lui réserve des têtes de liste. Exemple : Calais. C’est donc non pas cas par cas qu’il faut étudier les futures implantations électorales, mais dans le cadre d’une négociation générale où le PC parviendrait à maintenir certaines de ses positions, comme il l’a fait jusqu’à présent. Il est clair néanmoins que rien n’est gagné d’avance, même s’il parvient à contraindre le PS, comme il le tente de le faire depuis deux mois.
Milamber : Le PC n’a aujourd’hui évidemment plus de projet communiste (ni même socialiste) stricto sensu. Pourquoi garder alors ce nom de "communiste", qui agit comme un repoussoir et qui en plus est désormais en total décalage avec la ligne du parti ?
Bernard Pudal : Vous avez tout à fait raison de poser cette question. Il est significatif que le débat qui vient de se tenir s’est focalisé sur la question du maintien du nom du parti. Il faut bien voir que pour les anciens communistes, et il en reste encore beaucoup, c’est toute l’histoire de leur investissement total, parfois héroïque, dans un parti politique dont Maurice Thorez disait : "il faut le défendre comme la prunelle de nos yeux", qui est en question. C’est cette identification qu’il faudrait pouvoir remplacer par un travail de deuil authentique, c’est-à-dire un travail qui permette de se séparer du passé tout en conservant une image positive du passé. C’est seulement à cette condition qu’ils accepteraient de faire le deuil du nom du parti. Je ne sais pas si c’est possible. Pour les autres générations, la marque "communiste" n’est pas associée au passé, et il est probable qu’elle est moins investie d’une part, et qu’elle pourrait être remplacée par d’autres marques.
Dolcino : Pensez-vous que la LCR va, à moyen terme, remplacer le PCF qui apparaît discrédité par son passé stalinien et trop compromis avec la politique de la gauche plurielle ?
Bernard Pudal : Je ne suis pas un spécialiste de la LCR. Mais il faut se méfier des ressemblances. La LCR n’est pas un parti politique semblable au PS ou au PC. D’une part, c’est un parti où il y a un fort turn-over, et depuis sa fondation, grosso modo depuis 1968, ce sont pour l’essentiel des jeunes qui passent par la LCR et qui parfois en restent profondément marqués, ou fidèles culturellement, comme le dit Edwy Plenel. Donc je ne suis pas sûr que la LCR, telle qu’elle est elle aussi constituée par son histoire, soit un parti politique susceptible de remplacer le PCF. Mais la LCR peut elle aussi se transformer, et c’est, je crois, ce que souhaiteraient certains de ses dirigeants, dont Olivier Besancenot.
Lola : A vous entendre, il ne faut pas enterrer aussi vite que ça le PC comme certains voudraient le faire....
Bernard Pudal : Un parti politique n’est pas une chose. Il peut donc changer tout en gardant le même nom, ou rester le même en changeant de nom. Le PC tel qu’on l’a connu est d’ores et déjà un parti qui est fini. La question est de savoir si des processus complexes d’investissement de ce parti par de nouveaux acteurs peuvent ou non redonner vie à une organisation politique qui serait une sorte "d’héritier" du PC et d’une partie de cette histoire. L’avenir tranchera.
Bernard Pudal est coauteur d’un ouvrage collectif à paraître en janvier :Mai-juin 68, Editions de l’Atelier.
De : Sylvia Zappi et François Béguin
Date | Nom | Message |