Les Insoumis accentuent la pression et menacent Emmanuel Macron de destitution

vendredi 23 août 2024.
 

Dans une tribune, les cadres de La France insoumise menacent de demander la destitution d’Emmanuel Macron s’il ne nomme pas Lucie Castets à Matignon. La procédure a peu de chance d’aboutir, et l’initiative divise au sein du Nouveau Front populaire.

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Les dirigeant·es de La France insoumise (LFI) ont dégainé ce dimanche une tribune en forme d’ « avertissement solennel » à Emmanuel Macron : si le président de la République ne nomme pas Lucie Castets à l’issue de ses consultations avec les chef·fes de partis prévues le 23 août, les parlementaires insoumis menacent d’engager une procédure de destitution.

« Il doit savoir que seront utilisés tous les moyens constitutionnels de le démettre plutôt que nous soumettre à son mauvais coup contre la règle de base de la démocratie : en France, le seul maître est le vote populaire », préviennent les huit cadres insoumis dans un texte que publie La Tribune dimanche. Ils s’appuient sur la nouvelle donne à l’Assemblée nationale, où les rangs macronistes se sont encore réduits après les élections législatives anticipées, pour avancer que « la procédure pour prononcer cette destitution est simple ».

L’article 68 de la Constitution permet, depuis la révision constitutionnelle de 2008 et une loi organique ayant fixé ses modalités en 2014, de destituer le président de la République « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », selon une procédure bien précise et jamais menée à son terme. Les parlementaires doivent d’abord convaincre le bureau de l’Assemblée nationale, au sein duquel les forces du Nouveau Front populaire (NFP) sont désormais majoritaires. Les député·es doivent ensuite approuver, à la majorité des deux tiers, soit 385 voix, la réunion des parlementaires en Haute Cour avant que les sénateurs ne fassent de même. Enfin, la Haute Cour ainsi constituée doit approuver, toujours à la majorité des deux tiers, la destitution du président de la République.

Une procédure exigeante, pensée pour être difficile à activer et à mettre en application. « Ce n’est absolument pas une incitation à mettre en jeu la responsabilité du président, expliquait en 2014 Didier Maus, conseiller d’État et membre de la commission qui a travaillé sur le dispositif. Nous espérons tous que cette disposition n’aura jamais l’occasion de s’appliquer. » « Pour éviter les abus, l’article 68 a été écrit de telle sorte que la procédure n’aboutisse quasiment jamais », abonde le constitutionnaliste Benjamin Morel dans La Tribune dimanche.

« C’est un outil constitutionnel qui est à disposition des parlementaires. Il n’est pas là pour rien », défend le député LFI Antoine Léaument, interrogé par Mediapart. « La légitimité de la décision repose sur l’Assemblée, et sur l’Assemblée seule. La loi organique est vraiment faite pour que ce soit compliqué de destituer le président de la République, parce qu’il y a vraiment beaucoup d’étapes, mais à chaque étape, il y a des clarifications politiques qui peuvent s’opérer aussi. » Notamment du côté du parti Les Républicains (LR), qui navigue depuis les résultats des élections législatives entre affirmation d’indépendance vis-à-vis de la Macronie et accords de couloir pour faire réélire Yaël Braun-Pivet à la présidence de l’Assemblée nationale.

En 2014, Didier Maus précisait les contours de cette disposition dans les colonnes de Libération, assurant qu’« il n’est pas question ici de juger la politique menée par un président mais d’apprécier son rôle comme gardien de la Constitution ». Un argument repris par les dirigeant·es de LFI qui avancent dans leur texte qu’il est « évident que le refus de prendre acte d’une élection législative et la décision de passer outre constituent un manquement condamnable aux exigences élémentaires du mandat présidentiel car il impose au chef de l’État d’être le garant du respect de la démocratie et de ses règles d’organisation en France ».

Depuis 2014, la procédure n’a été activée qu’une fois, à la demande des député·es de LR, pour destituer François Hollande en 2016. Les élu·es de droite visaient les confidences, « violations manifestes du secret-défense », contenues dans le livre des journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Un président ne devrait pas dire ça…, mais leur demande de destitution n’avait pas franchi la première étape, celle de la validation par le bureau de l’Assemblée.

Une initiative solitaire qui divise au sein du NFP

Pour l’heure, la proposition n’est pas encore déposée et n’a valeur que d’avertissement. « On brandit une menace, on verra ce que fait Emmanuel Macron », explique Antoine Léaument. Elle est aussi solitaire, la tribune n’étant signée que par l’état-major de LFI, qui compte 72 député·es sur les 385 nécessaires pour obtenir une majorité des deux tiers. Les signataires ont lancé un appel à leurs homologues des autres partis du NFP dans le texte : « Il va de soi que c’est une décision importante et grave. Idéalement, elle doit bénéficier d’une procédure solide et d’une base aussi collective que possible. C’est pourquoi nous estimons que c’est aux chefs des partis de notre coalition et aux présidences de nos groupes parlementaires d’en débattre et de prendre respectivement leur décision. »

« Ils disent dans la tribune qu’ils vont discuter avec les forces du NFP, je pense donc que ce n’est pas encore fait, sinon ils n’auraient pas eu besoin de le dire », regrette Sandrine Rousseau auprès de Mediapart, tout en reconnaissant l’intérêt de la démarche : « Le mérite de la proposition de LFI, c’est de montrer que la nomination d’un·e premier·e ministre qui ne serait pas issu·e des rangs du NFP serait une forme de négation du résultat des urnes. Mais la concertation est indispensable, et il faut qu’on en mesure absolument toutes les dimensions : je ne vois pas comment ça passerait sans les voix du RN. »

Le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, s’est très vite désolidarisé de l’initiative en affirmant dans un message posté sur X que « cette tribune n’est signée que par les dirigeants de LFI. Elle n’engage que leur mouvement. La réponse à une nomination d’un premier ministre qui ne serait pas conforme à la tradition républicaine est la censure ». La patronne des Écologistes Marine Tondelier a réagi auprès de Mediapart, préférant fustiger « l’entêtement d’Emmanuel Macron qui continue à revendiquer qu’il ne changera pas de cap » : « Chacun y réagit à sa manière, il n’y a pas de quoi en faire tout un plat. Pour ce qui est des Écologistes, nous consacrons toute notre énergie à ce que Lucie Castets soit nommée dans les plus brefs délais. »

Youmni Kezzouf


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