La gauche doit se réapproprier la notion de nation pour pouvoir fédérer le peuple de France dans sa diversité sur sa base républicaine et démocratique.

jeudi 3 octobre 2024.
 

La gauche doit se réapproprier la notion de nation pour pouvoir fédérer le peuple de France dans sa diversité sur sa base républicaine et démocratique.

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Nous partageons ici un article du site Élucid – média dont les analyses ne sont jamais superficielles et suscitent la réflexion.

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Contre le RN, la gauche doit reconnecter avec le collectif et la nation

Source : Élucid – média.

publié le 31/07/2024 Par Éric Juillot

https://elucid.media/politique/cont...

Au soulagement ressenti par les sympathisants de gauche au soir du second tour des législatives ne doit surtout pas succéder un retour aux ornières idéologiques qui la coupe du peuple. Pour jouer son rôle historique d’alternative politique, il lui faut au contraire engager un profonbd mouvement de réforme idéologique.

il Viendra un jour où l’indignation vertueuse ne suffira plus. Si une énième remobilisation civique sur le thème du barrage républicain a permis de limiter l’ampleur du succès obtenu par le RN à l’occasion des dernières élections législatives, il n’est pas certain que ce barrage suffise à empêcher l’accession à la présidence de la République de Marine Le Pen en 2027. La rhétorique « antifasciste » a pu fonctionner efficacement face à la perspective, pour la première fois sérieuse, d’une arrivée au pouvoir du RN, mais la simple accoutumance à cette idée faisant son chemin, le barrage pourrait ne pas être aussi solide à l’avenir.

Une victoire à la Pyrrhus ?

Surtout, il a ceci de contre-productif qu’il dispense les forces de gauche de tout examen critique dans leur responsabilité historique dans la montée du RN. Il est très confortable en effet, même grisant, de placer la lutte sur le plan moral, sur celui des principes éthérés face auxquels il est inconcevable de transiger, autant parce qu’on y croit réellement que pour la sensation délicieuse que procure la certitude d’appartenir au camp du Bien.

Ce réflexe fort répandu dispense en outre de se heurter à la cruelle réalité d’une gauche durablement coupée de l’essentiel de l’électorat populaire. Alors que jusqu’en 1981, elle s’en était historiquement fait la messagère, alors que son ambition devant l’Histoire résidait depuis plus d’un siècle dans l’émancipation de cette frange de l’électorat, la gauche n’est aujourd’hui plus que l’ombre d’elle-même sur ce point.

Les causes de ce retournement d’ampleur historique, opéré à compter des années 1980, sont bien connues : conversion à « l’Europe » et au néolibéralisme, investissement de la figure de l’Immigré comme nouveau « damné de la terre » en remplacement et au détriment de l’ouvrier, le tout sur fond de réduction de la politique à la morale. Quand on renonce à agir décisivement pour transformer le cours des choses, quand on dépolitise le réel, il n’y a plus qu’à se retrancher dans le manichéisme pour préserver sa conscience et dissimuler son impotence.

Dans cette perspective, rien de mieux qu’une mobilisation antifasciste quinquennale : à peu de frais, sans la moindre prise de risque, ceux qui s’y livrent peuvent se convaincre de leur rectitude autant que de leur supériorité. Il faut toutefois en payer le prix, en se faisant l’idiot utile de partis de gouvernement de plus en plus régressifs socialement, et en se rapprochant à chaque fois un peu de plus du moment où le dispositif ne fonctionnera plus.

En conséquence, de deux choses l’une : soit les partis de gauche entament un profond mouvement de réflexion doctrinale, embrassent à nouveau le réel et procèdent aux aggiornamentos idéologiques qui en feront à nouveau des forces populaires, soit l’inertie et le conformisme idéologique l’emportent et ils seront réduits pour les temps à venir à de modestes forces d’opposition.

La trajectoire du Parti Socialiste des années 2010, dont le champion, parvenu à l’Élysée, a parfaitement assumé cinq années durant son impotence crasse, a de quoi laisser dubitatif. Elle a montré que les partis préfèrent parfois se suicider électoralement plutôt que d’engager des réflexions idéologiques douloureuses mais salutaires...

Au-delà du « lien social », le lien politique

Le premier point à interroger est d’une importance capitale, il s’agit de la nature du lien civique. La création de « lien social », la promotion du « vivre ensemble » sont aujourd’hui des antiennes, en premier lieu chez les électeurs de gauche. On ne compte plus les initiatives « locales » et associatives dont elles constituent l’objectif ultime.

Ces expressions saturent à tel point la parole publique qu’il n’est pas illégitime de les assimiler à un symptôme compulsionnel du malaise dans la cité qui accable le pays. Il se trouve par ailleurs qu’elles sont tout à fait impuissantes à le surmonter : si la thématique du lien social avait la moindre efficacité, il ne serait pas nécessaire de la mobiliser sur un mode obsessionnel ; il serait même inutile d’en parler, sa portée opératoire faisant spontanément son œuvre sans glose interminable à son sujet.

Plus gravement, l’obsession générale et frénétique attachée à la notion de lien social entérine l’état de fait qu’elle prétend combattre, c’est-à-dire la perspective inquiétante de l’anomie. Cela pourra sembler paradoxal, mais il faut constater que les personnes qui s’impliquent dans la création du lien social y voient la plupart du temps une manifestation particulièrement aboutie de la vie civique, la concrétisation d’un engagement « citoyen », supérieur dans sa forme à tout ce qui est concevable par ailleurs.

S’il est évidemment préférable à l’indifférence, cet engagement n’en est pas moins problématique, dans la mesure où il constitue le stade terminal de la dépolitisation et de la dénationalisation des esprits. Quand plus rien n’est possible, quand la perte de sens civique dépasse un certain stade, il ne reste plus en effet que le repli sur les relations interindividuelles pour tenter de sauver ou de maintenir en vie les lambeaux d’une cité morcelée et dévitalisée.

La tâche n’est pas dénuée de noblesse, mais elle a pour prérequis un renoncement d’ampleur historique : au-delà du lien social, il y a en effet le lien politique, véritable fondement de la cité, qui unit des millions d’individus dissemblables de manière inconditionnelle et anonyme. L’immense majorité d’entre eux ne se rencontreront jamais ; malgré cela, ils sont unis par la force sous-jacente de l’identité qu’ils ont en partage, par la certitude d’appartenir à un corps politique qui les distingue et les spécifie à l’échelle de l’humanité, par lequel il dispose d’une capacité à s’organiser sur une portion de l’espace et à se projeter dans le temps en direction de l’avenir.

Il en découle une fraternité politique dont bénéficient inconditionnellement tous les membres du corps. À la différence de la fraternité familiale, la fraternité politique ne repose pas sur la connaissance interindividuelle. Si elle se manifeste parfois sur un mode émotionnel, elle est le plus souvent institutionnalisée dans la loi, par exemple à travers les droits sociaux et politiques, qui sont les mêmes pour tous les citoyens.

Cet état de fait est extraordinairement puissant puisqu’il résulte d’une histoire multiséculaire, qui a vu l’émergence et la lente maturation de l’idée nationale comme forme politique de la modernité. Notre époque révèle néanmoins son caractère friable, puisque les quarante années écoulées lui ont fait perdre de son évidence. Si les nations restent le cadre exclusif de l’organisation politique, le sens supérieur dont elles étaient investies s’est émoussé à mesure précisément que la dépolitisation s’installait dans les esprits sous l’effet corrosif du néolibéralisme.

Un néolibéralisme culturel

Contre la perception commune qui fait du néolibéralisme une doctrine en tout premier lieu économique, il faut insister sur le fait qu’il représente un mouvement global, d’ordre civilisationnel, qui a remanié en profondeur l’être-en-société sur un mode aporétique. C’est sur ce plan et face à cette impasse que se trouve le principal foyer de la crise polymorphe que nous traversons aujourd’hui.

La société du néolibéralisme pousse en effet beaucoup plus loin que ne l’avait fait le libéralisme du XIXe siècle, la fiction du contrat et de l’antériorité de l’individu sur la société. Elle est si radicalement individualiste qu’elle se compromet en tant que société, le tout étant désormais de plus en plus ouvertement menacée, dans sa substance et dans sa cohésion, par le règne absolu des parties.

Mais alors que nous expérimentons douloureusement les limites et les risques inhérents au triomphe de l’individu-roi, il reste à ce stade impossible d’exercer une force de rappel de nature à en contrer l’effet dissolvant. L’idée que les devoirs sont la contrepartie des droits, et que le premier d’entre eux réside dans le décentrement de chacun au nom de l’intérêt général, si elle est accessible au plus grand nombre, elle est de moins en moins observée en pratique. Il en irait autrement si la conscience vivifiante du tout irriguait à nouveau la pensée de chacun. Mais, dans ce domaine, force est de constater que l’impensé et le déni dominent, notamment à gauche.

Si elle combat plus ou moins fictivement les dispositions les plus inégalitaires du néolibéralisme économique, la gauche est en effet en pointe dans le néolibéralisme culturel : à la promotion sans fin de l’individu-roi, elle ajoute celle de toutes les identités permettant de le flanquer. Ces identités, indispensables pour combler son vide ontologique, ne doivent en aucun cas altérer son absolue liberté, cette dernière s’étendant jusqu’au fantasme de l’autoconstitution.

Aussi, toutes les quêtes identitaires sont-elles possibles et encouragées sur la base de la liberté individuelle, qu’elles soient régionalistes, religieuse, d’origine, de genre ou autres, à l’exception de l’identité nationale, accusée de tous les maux : essentialisante, fixiste, excluante, surplombante, passéiste… quand elle n’est pas directement connectée aux heures les plus sombres de notre histoire, elle est de toute façon rejetée pour son déterminisme aliénant.

Alors qu’il convient de s’incliner avec respect devant toutes les autres formes d’identité, de rejeter avec mépris ceux qui en critiquent les formes les plus archaïques, l’appartenance nationale fait l’objet d’un discrédit sans appel et sans nuance tout à fait caractéristique d’un refus de penser.

Ici aussi, il s’agit d’un retournement d’ampleur historique : le lien national, de la fin du XVIIIe à la fin du XIXe siècle, était mis en avant par la gauche comme le principal acquis de la Révolution française, comme le principal garant de l’égalité entre citoyens, comme le cadre premier de l’émancipation des plus humbles et le cadre exclusif de la fraternité républicaine. Dans le cas français, la nation s’est ensuite mêlée, bien plus qu’elle n’a été combattue par elles, aux thèses socialistes et communistes qui partout ailleurs en contestaient la force.

À compter des années 1980, les forces de gauche ont toutefois jeté la nation aux orties, au profit de « l’Europe » à l’échelle globale, et du supermarché identitaire propre au néolibéralisme culturel à l’échelle des individus. En lieu et place d’un corps politique uni malgré ses divisions et oppositions internes, ne reste plus dès lors, dans l’imaginaire de la gauche, qu’un ensemble à l’identité incertaine, gagné par une fragmentation croissante en groupes de natures diverses et dont les identités respectives sont les seules acceptables.

Si aujourd’hui, la gauche a perdu le contact avec les plus larges fractions des milieux populaires, c’est aussi parce qu’elle n’a plus rien à dire aux Français dans leur ensemble, parce qu’elle ne peut plus parler de la France et agir en son nom : le vide règne à ce sujet dans les discours et les programmes, un vide intolérable pour tous ceux dont la nation reste plus ou moins confusément un cadre essentiel et indépassable.

Cette discordance est lourde de dangers, puisque le déni de la gauche sur la question nationale livre des millions de citoyens à une extrême-droite perçue comme la seule force capable de considérer encore cette question avec l’importance et le respect qui lui est dû. Une telle évolution a fini par donner au fil des décennies un poids considérable à cette version hideuse du sentiment national qu’est le nationalisme xénophobe. Outre que ce dernier constitue un danger pour la République, il a ceci de pernicieux qu’il conforte la gauche dans l’idée que la nation sent le soufre.

La première étape du sursaut consiste donc à casser cette boucle de rétroaction, et à intégrer l’idée que le RN doit une large part de sa puissance actuelle au fait que la gauche lui a laissé le monopole de la nation.

Quelles perspectives ?

La seule manière d’empêcher à coup sûr l’arrivée au pouvoir du RN en 2027 réside dans la réappropriation par la gauche du discours sur la nation, et dans la réintégration du cadre national comme celui de l’action publique efficace. La nation, c’est-à-dire, l’ensemble des Français. Nous en sommes loin : quatre décennies de dénationalisation des esprits ont conduit nombre de militants retranchés dans un manichéisme primaire à l’idée que les électeurs du RN sont frappés d’un sceau d’infamie, et qu’il est en conséquence nécessaire et juste de les exclure de la cité.

Ce qui était sans effet à l’époque où cette formation d’extrême-droite était groupusculaire pose un redoutable problème maintenant qu’elle est devenue le premier parti de France et qu’elle a recueilli le plus grand nombre de voix – 10 millions – aux dernières législatives. La priver de l’accès au pouvoir, en distordant l’esprit de la Ve République, en paralysant le fonctionnement du scrutin majoritaire, a un coût pour la démocratie, dont nous allons ressentir les effets. Le refus de la proportionnelle et la logique du barrage républicain oblige des millions d’entre nous à voter contre leurs aspirations politiques au nom de considérations morales, afin de maintenir loin des sphères du pouvoir un parti qui, quoi qu’on en pense, recueille l’adhésion de millions de nos compatriotes.

Il faut avoir bien peu confiance en la France pour voir les choses ainsi. Dans notre pays, la culture démocratique est si profondément et depuis si longtemps ancrée dans les esprits qu’il est tout bonnement impossible qu’un si grand nombre de citoyens soient tout à coup devenus hostiles aux libertés publiques et partisans d’une dictature d’extrême-droite. Outre qu’elle repose sur une perception biaisée de la réalité, cette manière de voir n’est pas tenable. On ne peut pas durablement, pour sauver les « valeurs de la République », piétiner la démocratie. On ne peut pas, dans un pays ou République et Nation sont consubstantielles, prétendre sauver la première en retranchant de la seconde des millions de citoyens.

Pour sortir de cette dangereuse impasse, la gauche doit impérativement embrasser de nouveau l’idée nationale, seule à même de lui permettre de renouer avec les citoyens qui s’en sont détournés. Il lui faut parler de la France, et il lui faut en parler à tous les Français. Mettre en avant l’identité nationale, en insistant certes sur son ouverture et sa diversité, sur sa dimension universaliste qui constitue sans doute notre plus grande fierté nationale, mais en assumant tout aussi explicitement son unité et sa légitimité.

Pour ce faire, il faut promouvoir dans les discours sa dimension unificatrice : l’identité nationale n’est pas celle qui exclut l’Autre, mais au contraire celle qui unit et qui relie par-delà les particularismes de tout ordre, celle qui conjure le spectre de la fragmentation ethnique ou religieuse en élevant chacun à une dignité supérieure, d’essence politique. Rien que de très banal, en somme, mais que notre époque aura mis beaucoup d’acharnement à oublier.

Le seul « nous » qui vaille, le plus précieux de tous, c’est précisément celui que nous avons négligé, auquel il nous faut revenir.

Sur le plan pratique, la tâche est immense : il convient d’opérer une reconfiguration générale des programmes tenant compte de la réappropriation du cadre national. Toutes les politiques, toutes les institutions par lesquelles la France a vu se réduire drastiquement ses capacités d’actions ces dernières décennies doivent être remises en cause. Cela porte sur des sujets très divers et qui se recoupent : la politique économique (libre-échange, liberté de circulation des capitaux, indépendance de la banque centrale, réindustrialisation…), l’intégration européenne (transferts de souveraineté, mutilation juridique de la souveraineté par le Conseil d’État ou la CJUE…), le contrôle des frontières et des flux migratoires.

Cette dernière question, sensible entre toutes, a peu de chances d’être abordée rationnellement : la figure de l’Immigré occupe une place si centrale dans la vision du monde propre à la Gauche contemporaine qu’elle ne peut y renoncer sans avoir l’impression de se dissoudre. Sa pureté morale dépend, chez beaucoup de ceux qui s’en revendiquent, d’une défense inconditionnelle de l’immigration. Pourtant, à y regarder de plus près, la volonté de réduire très significativement les flux migratoires à destination de notre pays n’a pas grand rapport avec le « fascisme » ou avec l’extrême-droite, sauf à considérer que la Gauche était d’extrême-droite jusqu’au début des années 1980.

Sur tous ces sujets, un renouveau idéologique des partis de gauche au prisme de la nation ferait renaître l’espoir dans de larges fractions du peuple, ces partis pourraient redevenir rapidement ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être : des forces d’avenir, par le seul fait de reconstruire une puissance publique capable d’agir décisivement, au service de tous, contre le cours néolibéral des choses.

Convenons-en cependant, il est difficile d’être optimiste à ce sujet : le fonds idéologique des différentes composantes de la Gauche est si éloigné de l’idée nationale qu’on ne voit pas comment elles pourraient, même dans l’urgence, même confrontées au risque de leur dépassement complet, s’en saisir.

Partout, le poids des appareils partisans, le conformisme militant, l’inertie et la force des représentations forgées ces dernières décennies, partout, enfin, le contrôle moral et la censure idéologique qui pèsent sur tous les esprits tentés par la dissidence conduisent à l’aveuglement et à l’impuissance.

La Gauche sera-t-elle condamnée à assister passivement aux évolutions en cours ? Les années qui viennent en décideront...

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Annexe

Interview de Jean-Luc Mélenchon dans le magazine Regards en novembre 2014.

Il faut fédérer le peuple.

Cette interview qui a bientôt 10 ans garde toute son actualité.

https://melenchon.fr/2014/11/14/il-...

** HD


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