Comme Macron, Mac Mahon refusait déjà de reconnaître le résultat des élections il y a 147 ans

mardi 10 septembre 2024.
 

L’insoumission inaugure sa nouvelle rubrique « Histoire et idées ». Son but est de porter attention aux processus historiques, analyser et connaitre les faits pour comprendre l’influence des évènements sur notre présent et notre futur.

Mac Mahon/« Mac Macron ». Dans son discours de clôture des AMFIS 2024, Manuel Bompard, député des Bouches-du-Rhône et coordinateur de la France Insoumise, a fait le rapprochement entre la situation actuelle de la France et celle de la crise du 16 mai 1877. Il a comparé le président d’alors, Mac Mahon, à l’actuel, devenu dans sa bouche « Mac-Macron ». En quoi ces événements, déjà lointains, peuvent-ils donner à comprendre la situation lamentable dans laquelle le président Macron plonge aujourd’hui notre République ?

Les années 1870

Elles sont décisives dans l’affirmation du caractère républicain des institutions françaises. La République est proclamée par surprise, le 4 septembre 1870, à la suite de la défaite de l’empereur Napoléon III et de sa capture lors de la bataille de Sedan face aux armées allemandes. Mais le jeune régime politique, malgré l’énergie de Gambetta, ne parvient pas à redresser la situation et doit se résoudre à négocier une paix traumatisante, avec la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine et l’occupation d’une partie du territoire français par les troupes germaniques (1871-1873). L’assemblée élue dans ces circonstances, en 1871, est très majoritairement monarchiste : les jours de la jeune République semblent comptés.

Or, comme l’a expliqué l’historien Maurice Agulhon, à cette période, « jamais peut-être la dichotomie droite-gauche n’a été aussi simple : être à gauche, c’est être républicain ; être à droite, c’est être contre la République. » C’est par cette confrontation, remportée par la gauche, que s’affirme le plus long régime politique de la France depuis la Révolution française, la IIIe République (1870-1940). Cela n’a cependant pas été sans tentatives de restauration de la monarchie, notamment au moment de la présidence du maréchal de Mac-Mahon (1873-1879).

Trois personnages clés : Thiers, Mac Mahon, Gambetta

Trois hommes politiques nous permettent, par leur action, de comprendre les hésitations quant au choix du régime politique : République ? Monarchie parlementaire ? Monarchie de droit divin ? Ou même rétablissement de l’Empire ?

Adolphe Thiers est l’homme du « centre ». Il est nommé chef de l’exécutif le 17 février 1871 et prend le titre de président de la République en août 1871. Il porte la responsabilité de l’écrasement de la Commune en mai 1871. D’abord orléaniste, c’est-à-dire partisan d’une monarchie parlementaire avec un roi de la dynastie des Orléans, il se rallie à une république conservatrice, qu’il considère comme « le régime qui nous divise le moins ». Mis en minorité à l’Assemblée, il démissionne en août 1873, remplacé par le maréchal de Mac-Mahon.

Concernant le Maréchal Patrice de Mac-Mahon, il est légitimiste, c’est-à-dire partisan d’une monarchie autoritaire dirigée par la dynastie des Bourbons, avec le prétendant Henri de Chambord, petit-fils de Charles X et donc petit-neveu de Louis XVI. C’est la droite la plus réactionnaire de l’époque. Il a été le bras armé de l’écrasement de la Commune. Dès son élection (par les parlementaires) en 1873 pour succéder à Thiers à la présidence de la République, il nomme un gouvernement « d’Ordre moral », qui organise une « reconquête religieuse de la société » : organisation de pèlerinages (Paray-le-Monial, Le Puy, Chartres, développement de celui de Lourdes…), édification du Sacré-Cœur de Montmartre, fondation du journal réactionnaire Le Pèlerin…

Mais ses aspirations au retour de la monarchie sont contrariées par la division des monarchistes et le refus du comte de Chambord d’adopter le drapeau bleu-blanc-rouge et d’abandonner l’idée d’une monarchie de droit divin. Mac-Mahon doit se contenter de « lois constitutionnelles » qui instaurent en 1875 une république fragile, car ces lois sont facilement modifiables en faveur d’une monarchie : le sort de la République dépend alors des prochaines élections législatives prévues en 1876.

Léon Gambetta est le leader de la gauche républicaine. Élu dès 1869 dans l’opposition à l’Empire, il s’est révélé dans l’organisation de la Défense nationale face aux troupes allemandes en 1870-1871. Afin de rallier l’électorat à la République, ce natif de Cahors parcourt le pays inlassablement. Ses talents d’orateur font merveille, comme lors de ses prises de paroles mémorables à Grenoble ou à Auxerre. Il est le principal artisan de la victoire des républicains aux élections législatives de mars 1876 : 350 sièges contre 155 à la droite monarchiste et bonapartiste.

Le déni de démocratie du président Mac-Mahon (1876-1877)

Malgré la large défaite de son camp aux législatives de 1876, le président Mac-Mahon « joue la montre » : il maintient à la tête du gouvernement le conservateur modéré Dufaure qui s’adjoint quelques ministres de centre-gauche pour donner le change. Il attend près de neuf mois avant de nommer un chef de gouvernement (très modérément) républicain : c’est Jules Simon, en décembre 1876. Toutefois, sous la pression à la fois des républicains affirmés comme Gambetta, mais aussi de l’Église catholique et de Mac-Mahon, Jules Simon démissionne le 16 mai 1877.

Le Président nomme alors un gouvernement de droite et suspend la réunion des assemblées. C’est un coup de force constitutionnel, que d’aucuns, comme l’historienne Fresnette Pisani Ferry, ont qualifié de « coup d’État ». Cela provoque les protestations des républicains dans le « Manifeste des 363 » députés. Mac-Mahon décide alors de dissoudre la Chambre des députés. Mais il a réussi à faire l’unité des républicains contre lui, de Thiers à Clemenceau en passant par Gambetta et Jules Ferry.

La campagne électorale qui suit est très dure ; le gouvernement ultraconservateur exerce des pressions très fortes sur la nation : destitution de 3 000 maires républicains, révocation de milliers de fonctionnaires, déplacement de 77 préfets, poursuites judiciaires contre les journaux de gauche, fermeture de clubs (ancêtres de partis politiques), etc. La force publique est employée pour faire pression directement sur les candidats républicains et sur leurs électeurs.

Cependant, selon l’historien Vincent Duclert, « la tâche des conservateurs était rendue de plus en plus difficile par le constat de l’opinion profonde que les manœuvres du pouvoir légal finissaient par engendrer du désordre et que seule la légalité républicaine amènerait l’ordre et la prospérité. » De plus, les républicains ont su s’organiser sur le terrain, portés par le verbe et l’énergie de Léon Gambetta.

La victoire d’une gauche unie

Le peuple a compris les enjeux et s’est mobilisé très fortement : on compte plus de 80 % de participation, aux élections d’octobre 1877, soit six points de plus qu’en 1876. Même si les conservateurs progressent, la victoire des républicains – la gauche – est incontestable : 323 députés contre 200 pour les conservateurs – la droite. 73 élections, c’est un record, sont annulées pour des faits de pression, de corruption d’électeurs ou de fraude, à chaque fois sauf une du fait de la droite.

Pourtant, Mac-Mahon poursuit son coup de force en maintenant d’abord le ministère conservateur du duc de Broglie, puis en nommant à Matignon le très conservateur général de Rochebouët. Face à la cohérence de la majorité de gauche à la Chambre des députés, il finit toutefois par « se soumettre », en nommant un chef du gouvernement de centre gauche, puis par « se démettre » en démissionnant le 30 janvier 1879, face à l’ascendant pris par les républicains. La IIIe République peut désormais être parlementaire, en se donnant avec le jurassien Jules Grévy un président favorable au Parlement.

Cela ouvre la voie aux grandes lois républicaines comme celle établissant la liberté de la presse (1881) ou les lois scolaires de Jules Ferry (1881-1882), mais aussi l’amnistie des communards, portée par le sénateur Victor Hugo, et la fixation des symboles républicains (Marianne, la fête nationale le 14 juillet, la Marseillaise comme hymne national…)

Beaucoup de points communs donc entre hier et aujourd’hui : un président de droite, conservateur, de plus en plus coupé des aspirations du peuple et tenté par le pouvoir personnel ; une tentative de coup de force de ce chef de l’État face à la majorité parlementaire démocratiquement constituée ; une gauche unie pour la République, ce qui nous rappelle au passage que la République est bien une idée de gauche.

Bien entendu, on trouvera aussi de nombreuses différences, il ne s’agit pas de décalquer la situation d’il y a bientôt 150 ans sur la nôtre. Mais la conclusion qui s’impose est bien la même ; comme l’a rappelé Manuel Bompard le 25 août 2024 en citant Gambetta parlant de Mac-Mahon le 15 août 1877 : « Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, croyez-le bien […], il faudra se soumettre ou se démettre. »

Par Sébastien Poyard, professeur d’histoire-géographie

Pour approfondir le sujet

Agulhon (Maurice), « La république est née à gauche ! », dans : Les Collections de l’Histoire n°27, avril-juin 2005.

Duclert (Vincent), La République imaginée, 1870-1914, Belin, 2010.

Grondeux (Jérôme), La France entre en République. 1870-1893, Le Livre de Poche, 2000.

Mayeur (Jean-Marie), La vie politique sous la Troisième République. 1870-1940, Seuil, 1984.

Rudelle (Odile), La République absolue. 1870-1889, Publications de la Sorbonne, 1986.

Barral (Pierre), Léon Gambetta. Tribun et stratège de la République (1838-1882), Privat, 2008.

Pisani-Ferry (Fresnette), Le coup d’Etat manqué du 16 mai 1877, Robert Laffont, 1965. [Un peu ancien mais la seule synthèse à ma connaissance sur la question]


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