En janvier 2021, les Françaises et Français découvrent l’existence du cabinet de conseil McKinsey. Jusqu’alors discret, et c’était bien volontaire, l’entreprise a conseillé l’État pour mettre en place la campagne de vaccination contre le COVID-19, à hauteur de 12 millions d’euros. Un sacré pactole. Ce n’est que le début de l’histoire : les scandales s’accumulent, jusqu’à la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, tenue au Sénat, en 2022.
À cette occasion, de nouvelles informations sont divulguées, toujours aussi édifiantes : fraude fiscale, millions investis dans des power point rangés au placard si tôt leur publication faite, conseils néo-libéraux et charcutage en règle de l’État social. Le dernier numéro de Cash Investigation a fini d’enfoncer le clou contre ce cabinet qui parasite notre État et ses liens directs avec Emmanuel Macron. Retour sur les dernières révélations. Notre article.
C’est en 2007 qu’Emmanuel Macron lie ses premières amitiés avec les conseillers de McKinsey ; il est alors seulement inspecteur des finances, mais déjà en charge de produire la synthèse de la commission Attali, celle qui a fait rentrer l’actuel chef de l’État dans une sphère politique. Cette commission avait alors pour but la rédaction d’un rapport pour relancer la croissance française, et McKinsey faisait déjà partie des consultés ! Rien d’étonnant donc à ce que, lorsque Macron décide de se lancer à la conquête de l’Élysée, il réclame quelques conseils à ses précieux amis.
Seul problème : un cabinet de conseil n’a pas le droit de vendre ses services à un parti en campagne. Pas de soucis ! Les trois salariés de Mac Kinsey impliqués sur le projet le feront bénévolement sur leur « temps libre ». Après tout, les consultants organisent leur journée de travail comme bon leur semble. S’ils utilisent leur adresse mail professionnelle, ce doit être une erreur. ! Pourtant, des prestations sont bel et bien fournies, des diagrammes en barres aux diagrammes circulaires, en passant par les inévitables nuages de points ; et le tout, gratuitement. Cela s’apparente tout de même beaucoup à des avantages en nature…
On comprend donc tout aussi bien qu’une fois à la tête de l’État, Emmanuel Macron soit resté proche de ses amis. Ministères, organismes publics, Matignon, McKinsey prêche la bonne parole néolibérale à qui veut bien payer pour l’entendre. En 2018, ses consultants conseillent l’État sur un système d’évaluation des ministres, indiquant la Malaisie comme exemple, pays connu pour sa liberté d’expression. Cherchez l’erreur. Ensuite, pour la modique somme de 4 millions d’euros, McKinsey conseille de réduire les APL de 5 euros par foyer.
Et lorsque l’argent donné à McKinsey ne sert pas à nous en prendre, pas de soucis, il ne sert à rien du tout ! Un million pour préparer la réforme avortée de la retraite par points, un demi-million en vue d’un colloque annulé à cause du COVID : au moins, on sait où va notre argent ! C’est d’autant plus stupéfiant que McKinsey s’appuie, pour produire ses livrables, sur des données publiques, donc parfaitement accessibles à nos ministères.
En 2022, une commission d’enquête est lancée au Sénat : la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques. Ses conclusions sont assez probantes : en 2021, plus d’un milliard d’euros sont dépensés par l’État en conseil. Recourir à des consultants serait « devenu un réflexe, y compris pour les principales réformes du quinquennat ».
C’est durant cette commission que l’on apprend que McKinsey n’a pas payé d’impôt depuis 10 ans en France, malgré le fait qu’un de ses directeurs associé ait déclaré, sous serment, l’inverse. Une des pistes les plus probantes pour l’expliquer est celle des prix de transfert : une filiale étrangère de McKinsey facture des services à la branche française pour faire tomber ses bénéfices à zéro. S’il n’y a pas de bénéfice, on ne peut pas les taxer ! Le cabinet est donc actuellement sous le coup d’une enquête pour fraude, affaire à suivre ! Enfin, à suivre avec la patience que cela implique, puisque la procédure n’aboutira pas avant sept ou huit ans.
Alors l’affaire McKinsey est grave, oui, mais elle n’est au fond qu’un symptôme ; celui de l’État qui s’émiette, confiant de plus en plus de ses missions à des entreprises privées. En songeant avec beaucoup d’attention à la croissance économique, aux coupes budgétaires et à la baisse des aides sociales, elles installent une certaine vision de l’Etat. Ce n’est plus l’État social ni protecteur, qui est attaqué dans son fonctionnement même par des techniques de gestion propres au secteur privé.
Les cabinets de conseil préparent systématiquement des politiques austéritaires. En plus d’affecter la vie de millions de personnes, ces politiques affaiblissent l’État. Toujours moins de services publics, toujours moins d’agents, toujours plus de conseillers. Les structures publiques perdent progressivement toute leur autonomie, vendue aux cabinets de conseil.
Il pourrait être décidé de laisser l’administration répondre à ses questions. La ressource intellectuelle existe dans l’état, ses fonctionnaires sont capables de produire de véritables rapports informés et instructifs, qui ne soient pas influencés par des think tank canadiens climatosceptiques.
En plus, ces fonctionnaires peuvent s’entourer de services de recherche de haut niveau : pensons au CNRS. C’était pour défendre l’État de ses cabinets parasites que Jean-Luc Mélenchon déclarait, déjà en 2022, « avec moi, tout le monde dehors. Plus un cabinet de conseil ». Les ressources existent et sont susceptibles d’être mobilisées ; pour peu qu’on ne les laisse pas mourir.
Date | Nom | Message |