Les biais cognitifs : un fonctionnement mental à connaître dans le domaine politique mais pas seulement.

jeudi 24 octobre 2024.
 

Les biais cognitifs : un fonctionnement mental à connaître dans le domaine politique mais pas seulement.

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Un synonyme de « biais cognitifs » pourrait être « préjugé » mais ce terme est trop vague et ne rend compte que très partiellement de la nature de cette notion relevant de la psychologie.

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Un biais cognitif est une distorsion systématique et inconsciente dans la manière dont les individus traitent, interprètent, et utilisent l’information. Les biais cognitifs influencent les jugements, les décisions et les comportements, souvent de manière irrationnelle ou déformée par rapport à la réalité. Ces biais sont des raccourcis mentaux, ou heuristiques, que notre cerveau utilise pour simplifier le traitement de l’information, mais ils peuvent aussi causer des erreurs systématiques.

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Les différents types de biais cognitifs et mentaux Il existe de nombreux biais cognitifs liés au traitement de l’information, et ceux-ci peuvent être classés selon leurs origines ou leur nature. Voici quelques grandes catégories :

Biais liés à la mémoire :

Biais de récence : Tendance à accorder plus d’importance aux événements récents qu’aux anciens. Biais de confirmation rétrospective : Perception que les événements passés étaient prévisibles une fois qu’ils se sont produits. Effet de faux souvenir : Reconstruction erronée d’un événement passé.

Biais de jugement et de prise de décision :

Biais de confirmation : Tendance à privilégier les informations qui confirment nos croyances et à ignorer celles qui les contredisent. Biais de disponibilité : Jugement influencé par les informations qui nous viennent facilement à l’esprit, souvent marquantes ou récentes. Biais d’ancrage : Se baser fortement sur la première information rencontrée pour prendre une décision. Biais sociaux et de comparaison :

Biais de représentativité : Tendance à classer quelque chose dans une catégorie en fonction de son degré de ressemblance avec un prototype de cette catégorie Effet de halo : Généralisation d’une impression positive (ou négative) d’une caractéristique d’une personne à d’autres traits de sa personnalité. Biais d’attribution : Tendance à attribuer des causes internes (qualités ou défauts) aux comportements d’autrui, et externes (circonstances) à nos propres comportements. Biais d’autocomplaisance : Tendance à s’attribuer les succès à soi-même et à imputer les échecs à des facteurs externes. Biais émotionnels :

Biais d’affect : Tendance à prendre des décisions basées sur nos émotions plutôt que sur des faits.

Biais d’optimisme : Sous-estimation de la probabilité d’expériences négatives pour soi. Biais de négativité : Donner plus de poids aux informations négatives par rapport aux positives. Effet de sur-confiance : Surestimation de ses propres capacités, connaissances ou jugements. Biais attentionnels :

Cécité au changement : Incapacité à remarquer des changements dans un environnement visuel lorsqu’ils ne sont pas attendus. Effet cocktail-party : Focalisation sur une information pertinente (comme son nom) tout en filtrant d’autres stimuli de l’environnement. Biais d’auto-évaluation :

Effet Dunning-Kruger : Tendance des personnes peu compétentes dans un domaine à surestimer leurs capacités. Illusion de contrôle : Croire que l’on a un contrôle sur des événements qui sont en réalité dus au hasard.

Remarque :

On peut parler de "biais de Pygmalion" pour décrire l’influence des attentes positives ou négatives sur les performances d’une personne. Ce biais est directement lié à l’effet Pygmalion, où les attentes élevées d’une personne (souvent une figure d’autorité comme un enseignant ou un manager) conduisent à une amélioration des performances de l’individu visé, souvent de manière inconsciente.

Dans ce contexte, le biais de Pygmalion est une forme de biais cognitif, dans lequel l’évaluation des capacités d’une personne est influencée par les attentes préexistantes plutôt que par des performances ou des compétences observées. Cela peut entraîner :

Une surévaluation des capacités : Par exemple, si un enseignant pense qu’un élève est particulièrement doué, il peut accorder plus d’attention et de soutien à cet élève, ce qui favorise indirectement sa réussite.

Un favoritisme inconscient : En pensant qu’un collaborateur est très compétent, un manager pourrait inconsciemment lui donner plus d’opportunités de développement, ce qui amplifie son succès.

L’inverse, appelé effet Golem, consiste en une sous-évaluation des capacités d’une personne, qui peut également influencer ses performances de manière négative.

* Ces biais se croisent souvent, influençant divers aspects du raisonnement et de la prise de décision, parfois de manière combinée. Connaître ces biais aide à prendre conscience de la manière dont ils influencent nos perceptions et nos comportements, et peut permettre de prendre des décisions plus éclairées et objectives.

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Exploitation des biais cognitifs par les appareils idéologiques.

Reprenons les principaux biais précédents en examinant comment ils peuvent être exploités par des appareils idéologiques pour construire une réalité fictive , mettre au point une propagande de masse.

Les biais cognitifs jouent un rôle clé dans la construction de réalités fictives, la propagande, et la manipulation de masse en influençant la perception, le jugement et le raisonnement des individus de manière systématique et prévisible. Ces biais, des raccourcis mentaux que notre cerveau utilise pour simplifier le traitement de l’information, peuvent être exploités pour orienter l’opinion publique et créer des visions du monde altérées. Voici comment certains biais cognitifs spécifiques facilitent ces processus.

1. Biais de confirmation Définition : Le biais de confirmation consiste à privilégier les informations qui confirment nos croyances et à ignorer ou minimiser celles qui les contredisent. Impact : Dans le cadre de la propagande ou de la manipulation, ce biais est exploité pour renforcer des opinions préexistantes. Les propagandistes inondent leur public de messages cohérents avec leurs croyances pour consolider une vision du monde précise. Par exemple, en partageant uniquement des informations qui renforcent une vision idéologique, il devient difficile pour les individus de remettre en question la version de la réalité qui leur est présentée. 2. Biais de cadrage (framing) Définition : Le biais de cadrage est l’influence qu’a la présentation d’une information sur la façon dont elle est perçue. Le même fait peut être perçu différemment selon qu’il est présenté sous un angle positif ou négatif. Impact : En manipulant le cadrage, les communicants peuvent orienter les perceptions et les décisions du public. Par exemple, un politicien peut présenter une réforme comme une “protection des droits” pour susciter des réactions positives, alors que l’opposition pourrait la qualifier de “restriction de liberté” pour susciter de la méfiance. Ce biais contribue à bâtir une réalité où les faits sont perçus à travers un prisme intentionnellement orienté. 3. Biais d’ancrage Définition : Le biais d’ancrage désigne la tendance à se fier fortement à la première information reçue (l’ancre) pour évaluer des informations ultérieures. Impact : Ce biais est souvent exploité dans la propagande pour poser un “cadre de référence” qui influence les interprétations suivantes. Par exemple, si une première information affirme qu’un groupe est dangereux, les informations suivantes risquent d’être interprétées à travers ce prisme. Cela crée un effet d’ancrage qui rend difficile de voir la réalité autrement, même face à des preuves contraires. 4. Biais de simple exposition Définition : Plus une personne est exposée à une information, plus elle est susceptible de la considérer comme vraie ou importante. Impact : En répétant fréquemment certains messages ou idées, les propagandistes créent un sentiment de familiarité qui favorise leur acceptation. Par exemple, une fausse nouvelle, si elle est répétée suffisamment, peut finir par être perçue comme véridique par le public. Cette méthode est largement utilisée dans la désinformation en ligne, où des récits simplifiés et répétitifs sont partagés massivement pour ancrer des perceptions altérées de la réalité. 5. Biais de disponibilité Définition : Ce biais correspond à la tendance à évaluer la probabilité d’un événement en fonction de la facilité avec laquelle on peut se remémorer des exemples similaires. Impact : Les médias et les propagandistes peuvent manipuler ce biais en diffusant en boucle des exemples de comportements ou d’événements extrêmes. Par exemple, montrer régulièrement des images d’actes violents d’un groupe spécifique peut donner l’impression que ces actes sont plus fréquents qu’ils ne le sont en réalité, ce qui crée une réalité fictive où ce groupe est perçu comme une menace omniprésente. 6. Effet de groupe et biais de conformisme Définition : Les individus tendent à ajuster leurs opinions et comportements pour se conformer à ceux du groupe auquel ils s’identifient. Impact : Les propagandistes et les faiseurs d’opinion utilisent cet effet pour créer un consensus apparent, renforçant l’idée que “tout le monde pense pareil”. Ce sentiment d’appartenance peut être exploité pour solidifier des croyances erronées et dissuader l’individu de remettre en question le récit dominant, au risque de se voir exclu du groupe. 7. Biais de l’effet halo Définition : L’effet halo est la tendance à percevoir des caractéristiques d’une personne, d’un groupe ou d’une idée comme globalement positives ou négatives, en se basant sur une impression générale. Impact : En associant un individu ou un groupe à des traits valorisants ou dévalorisants, les manipulateurs influencent la perception de toutes les informations qui s’y rattachent. Par exemple, en attribuant à un leader des qualités de “héro” ou en associant un groupe ethnique ou politique à des stéréotypes négatifs, cela renforce une perception binaire de la réalité, souvent sans fondement objectif. Synthèse Ces biais créent une "réalité" où les individus, sans en avoir conscience, sélectionnent, interprètent et retiennent des informations dans le sens du récit que d’autres veulent leur imposer. En tirant parti de ces processus cognitifs, les propagandistes et manipulateurs de masse façonnent des récits fictifs qui paraissent logiques et cohérents, rendant les contre-discours ou les faits objectifs moins accessibles et crédibles. C’est cette structure biaisée qui forme les bases d’une réalité alternative que le public peut percevoir comme authentique, souvent au mépris de la réalité objective.

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Hervé Debonrivage


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