Rémi Fraisse : 10 ans déjà. Comment je suis devenu un engagé.

mercredi 30 octobre 2024.
 

Il y a dix ans, la mort de Rémi Fraisse à Sivens a bouleversé les luttes écologiques en France. Cet événement a été un moment charnière de ma vie. J’ai rapidement abandonné mes études pour me lancer dans la photographie des luttes. Dix ans plus tard, à Politis, je continue de couvrir les manifestations et le sujet des violences policières.

Je m’en souviens encore si c’était hier et pourtant, c’était il y a dix ans. J’avais 23 ans. Début novembre 2014, je me promène un samedi après-midi avec un ami dans le centre-ville de Toulouse. Dans la rue, on entend du bruit et des cris. Je ne comprends pas ce qu’il se passe. Curieux, nous nous approchons pour tomber sur des dizaines de cars de force de l’ordre. Nous sommes juste deux passants intrigués. Rémi Fraisse était mort quelques jours plus tôt, à moins de cinquante kilomètres.

Un électrochoc Qui sont ces gens ? Qu’est-ce qu’il se passe ?

D’un coup, de la lacrymogène est tirée. Je n’en avais jamais vu. Au milieu de ce chaos que j’observais comme un nouveau-né découvre le monde, une jeune femme se fait traîner au sol, par les cheveux. J’observe pour la première fois une violence policière. Un homme s’élance pour aller l’aider, et reçoit un coup de gazeuse au visage. Il termine au sol. Je vais l’aider sans réellement comprendre. Qui sont ces gens ? Qu’est-ce qu’il se passe ? L’homme tient dans sa main un petit appareil photo Sony. J’avais exactement le même modèle sauf que, contrairement à cet inconnu, je n’utilisais le mien que pour faire des photos de mes amis en soirée. En un instant, tout cela a résonné en moi avec une force que je n’ai réalisée que bien plus tard.

Je ne connaissais rien de Sivens ni de Rémi Fraisse

À partir de là, tout s’est enchaîné naturellement. Ce moment était pour moi propice au changement. Étudiant dans une école privée d’informatique, je ne trouvais plus de sens à grand-chose. En cette fin d’année 2014, voir ces gens se battre dans la rue fut un électrochoc. Je ne connaissais rien de Sivens ni de Rémi Fraisse, je vivais dans une bulle. Voir cette masse vibrer et hurler « Ni oubli ! Ni pardon ! » tout en encaissant les coups m’a époustouflé, dans un moment de ma vie où je me relevais à peine. La cohésion, la détermination et le courage de ces manifestants m’ont impressionné, m’ont enveloppé. Alors, sans savoir pourquoi, ni vraiment ce que je faisais, je suis allé à la manifestation d’après, celle du 22 novembre 2014, avec mon appareil photo.

L’entrée dans les luttes

Des barricades, du feu, des vitres brisées, le vrombissement de l’hélicoptère, les charges et les grenades : je cours et je photographie. Au milieu de ce chaos, je discute avec des gens, j’essaie de comprendre. Je me souviens de chaque photo : ce clown qui imite les forces de l’ordre, cette jeune femme avec une pancarte « Ne me tuez pas, merci », ou ce trio qui se déshabille complètement pour sortir d’une nasse. En fin de journée, je me rappelle marcher pour rentrer chez moi. Je boite et sens fortement la lacrymogène, mais étrangement je suis léger. Comme si soudain tout prenait enfin un sens.

Octobre 2015. Rémi a été tué il y a un an. Je décide d’aller à Sivens pour la première fois. Sur place, la nature reprend déjà ses droits. À l’emplacement de la mort de Rémi, se trouve une sculpture qui disparaîtra deux jours plus tard. Dans un moment intime, les gens se recueillent en cercle alors qu’un hélicoptère de la gendarmerie brise le silence. Je fais quelques photos, difficilement. Je me sens de trop. Je ne connaissais pas Rémi ni la lutte de Sivens quand tout cela est arrivé. Alors, je m’assois, j’observe et à ma façon, je participe à ce recueillement.

De l’amour dans la violence

2016 : encore une fois, l’actualité va se mettre sur ma route avec la loi Travail. Je suis de toutes les manifs toulousaines, je gagne en expérience. Je ne vis plus que pour la manifestation de la semaine. Une sensation que je retrouve en 2023 avec le mouvement contre la réforme des retraites. J’y suis chez moi. Ce qui ne semble être qu’une simple manifestation prend pour moi un sens bien plus profond. Tout y est décuplé. La peur et la pression rendent tout plus intense. Une simple accolade d’un ami au milieu d’une charge dans la lacrymogène devient un instant hors du temps. La camaraderie fait foi. À l’unisson, tout le monde s’entraide. Il y a beaucoup d’amour au milieu de la violence, et je m’y retrouve. Dans ces manifestations, se trouvent certains de mes pires souvenirs, mais aussi les meilleurs. Un mélange malsain qui peut devenir addictif.

Mémoire et engagement

Je me suis découvert dans la lutte, je m’y suis reconstruit.

Aujourd’hui, alors que les 10 ans de la mort de Rémi Fraisse approchent, j’ai pu faire avec ma collègue Vanina un dossier sur le sujet. Je pense évidemment à l’entretien exclusif avec la maman de Rémi. Alors que tout a commencé pour moi suite à ce terrible drame, pouvoir réaliser cet entretien a été si important. Ça m’a bouleversé. Sa force m’a impressionné. Je ne peux oublier comment je suis arrivé là. Et alors que j’écris ces dernières lignes, la mère de Rémi vient de nous envoyer un mail pour nous remercier. Ses mots me touchent tellement. Aujourd’hui, j’arpente toujours les luttes pour documenter et informer sur les armes et les violences policières. C’est un accomplissement et après tout ce temps, je suis fier d’être là aujourd’hui. Je me suis découvert dans la lutte, je m’y suis reconstruit. Dix ans déjà.

Pour Rémi et pour toustes mes camarades.

Sur le même sujet : Véronique, mère de Rémi Fraisse


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