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Chaque fois qu’il a affronté une femme à la présidentielle, Donald Trump a gagné. Cette fois, il l’a même emporté en menant une campagne viriliste, hostile aux droits des femmes et des personnes LGBTQ+ et d’une misogynie crasse.
Trois fois, Donald Trump s’est présenté à l’élection présidentielle. Il a toujours gagné quand il a affronté une femme ; Hillary Clinton en 2016, Kamala Harris en 2024. Son seul échec a été contre un homme, Joe Biden, il y a quatre ans.
Le symbole est terrible, au terme d’une campagne dans laquelle les droits des femmes et des minorités de genre ont pris une place centrale. Il semble dire au monde : jamais une femme ne sera présidente des États-Unis d’Amérique.
Un CV long comme le bras, une respectabilité universitaire et bourgeoise, un adoubement par le Parti démocrate, la protection d’hommes puissants quoique déclinants – le mari Bill, pour la première adversaire ; le président en exercice Biden, pour la seconde –, rien n’y fait. Pour une femme, cela ne suffit jamais. Le plafond de verre est incassable.
Pire encore : le virilisme violent est un argument de campagne payant. Plus encore que lors des élections de 2016 et de 2020, Donald Trump a affiché une misogynie crasse à l’égard de son adversaire démocrate. Kamala Harris a eu droit à toute la palette du racisme et du sexisme en politique – bien connue en France également.
Son rire est trop franc, trop bruyant. Son incompétence est manifeste, elle est stupide. Kamala Harris est une « attardée mentale », une « folle ». Il ne faut surtout pas lui confier le bouton nucléaire car elle ne comprend pas le mot « nucléaire », a harangué Trump en meeting.
Le nouveau président des États-Unis a également relayé un message sous-entendant que son adversaire, ancienne procureure de Californie, devait sa réussite à des faveurs sexuelles. Il a reposté une vidéo suggérant que la démocrate avait passé une partie de sa vie à genoux, à pratiquer des fellations.
Pendant la campagne, les partisans du républicain s’en sont donné à cœur joie : Kamala Harris « et ses proxénètes détruiront [leur] pays », a lancé l’homme d’affaires Grant Cardone au Madison Square Garden de New York, le 27 octobre. Trump revenant au pouvoir serait un « père furieux mais aimant » venant donner « une vigoureuse fessée » à sa « mauvaise fille », selon l’ancien animateur de Fox News Tucker Carlson.
Plus largement, Donald Trump a de nouveau bataillé contre « le wokisme », contre les droits des femmes et des personnes LGBTQ+. Il s’est vanté d’avoir permis, voilà deux ans, la suppression du droit fédéral à l’avortement grâce à la Cour suprême. Ses électeurs – et électrices – sont obsédé·es par les transitions de genre, pétri·es d’une transphobie encouragée par les principaux chefs de file du Parti républicain.
Les proches du nouveau président ne cachent pas leur sexisme. Ils le revendiquent. Comme l’a compilé l’AFP, l’influenceur conservateur Charlie Kirk s’en est pris quant à lui aux femmes qui « sapent l’autorité de leurs maris » si elles votaient secrètement pour Kamala Harris.
Quant au colistier de Trump, favori pour la vice-présidence, J.D. Vance, il a accusé les démocrates d’être des « cat ladies » (des « femmes à chat ») dans une vidéo de 2021, récemment exhumée – un cliché misogyne pour désigner les femmes célibataires et sans enfant.
Et que dire du candidat lui-même qui, en fin de campagne, s’est présenté en « protecteur des femmes ». Avant d’ajouter, goguenard, rapportant le scepticisme de ses conseillers : « J’ai répondu : “Eh bien, je vais le faire, que ça plaise ou non aux femmes. Je vais les protéger.” »
« Que ça [leur] plaise ou non » : la phrase fait froid dans le dos. Faut-il le rappeler ? Donald Trump, en 2016, s’était vanté de « choper les femmes par la chatte ». Il a aussi été condamné au pénal pour avoir soudoyé une actrice porno Stormy Daniels. Il a été condamné au civil, en mai 2023, à 5 millions de dollars de dédommagement pour avoir sexuellement agressé puis diffamé la journaliste américaine E. Jean Carroll.
Les trumpistes l’ont assumé fièrement, et sur un ton revanchard : leur campagne était celle d’hommes forts, affichant leur virilité dominante, piétinant les minorités et les femmes revendiquant leurs droits – évidemment du côté de la faiblesse.
Une anecdote de campagne le démontre jusque dans l’exaltation du sexe masculin. Lors d’un meeting à Latrobe, en Pennsylvanie, Trump, 78 ans, a rendu hommage à Arnold Palmer, légende américaine du golf décédée en 2016, parlant de son appareil génital : « Quand il prenait une douche avec les autres pros, ceux-ci s’exclamaient : “Oh, mon Dieu, c’est incroyable.” »
Déjà, en 2020, Donald Trump avait juré, en réponse à son ami Elon Musk, qu’il avait « pris » la « pilule rouge » : il s’agit d’un signe de reconnaissance des masculinistes inspiré du film Matrix. Dans ce cadre, ingérer la red pill est censé révéler à celui qui l’ingère qu’il vit dans une société dominée par les femmes.
« Si vous êtes un homme dans ce pays et que vous ne votez pas pour Donald Trump, vous n’êtes pas un homme », a aussi affirmé l’influenceur Charlie Kirk. Quelques heures avant le résultat, Elon Musk, l’un des artisans de la victoire du républicain, écrivait sur son réseau social X : « La cavalerie est arrivée. Les hommes votent en nombre record. Ils réalisent désormais que tout est en jeu. »
« Cette idée d’une masculinité blanche persécutée et dédaignée est très étroitement liée à celle de la grandeur américaine, considérée comme en état de siège », décrypte très justement Kristin Kobes Du Mez, professeure d’histoire et d’études de genre à l’université Calvin, dans le Michigan.
En face, Kamala Harris a peu à peu réduit son discours à deux messages : moi ou le fascisme ; moi ou le recul pour les femmes, notamment sur l’avortement. Les démocrates ont multiplié les clips de campagne appelant les femmes républicaines à voter en cachette de leurs époux. Ils ont tout misé sur le « gender gap », le fossé entre le vote des femmes et des hommes, et sur la défense du droit à l’avortement.
Mercredi 6 novembre, leur défaite est totale. Les trumpistes ont gagné la bataille du genre.
Les sondages à la sortie des urnes sont unanimes : il y a un biais de genre dans le résultat de cette élection présidentielle. D’après l’étude réalisée par l’institut Edison Research, 54 % des hommes ont voté Trump, et 54 % des femmes ont voté Harris.
Mais cet écart est en partie illusoire. D’abord parce que d’après les données de CNN, il est inférieur à celui qui avait bénéficié à Joe Biden en 2020 et à Hillary Clinton en 2016.
Ensuite parce que la frontière sociale, aussi, est manifeste : toujours d’après les sondages à la sortie des urnes, Harris a obtenu de très bons résultats auprès des femmes blanches diplômées de l’enseignement supérieur (près de 60 %). Mais les femmes blanches sans diplôme universitaire ont très majoritairement voté Trump (62 %). C’est un peu moins que les hommes (68 %), mais très insuffisant pour Kamala Harris.
Enfin, si les femmes ont majoritairement voté pour Harris, les femmes blanches ont légèrement préféré Trump (52 %), contre 59 % pour les hommes blancs. Ce sont les femmes noires qui restent le principal soutien de Harris (plus de 90 %) et, dans une moindre mesure, les femmes hispaniques (61 %). Une proportion moindre que pour Joe Biden en 2020. Au passage, les hommes noirs sont les seuls à avoir majoritairement voté démocrate…
La stratégie des démocrates a lamentablement échoué. Miser sur le vote des femmes ne peut pas suffire. Surtout quand le message ne s’accompagne pas d’un discours social convaincant à destination des plus modestes – dont les femmes font largement partie. Surtout quand d’autres votes, à l’échelle des États, permettaient de défendre l’avortement.
Des référendums pour protéger le droit à l’avortement et les droits reproductifs étaient ainsi organisés dans dix États. Dans sept d’entre deux (le Maryland, le Colorado, le Missouri, l’État de New York, le Montana, le Nevada et en Arizona) le « oui » l’a emporté, y compris des États qui ont porté Trump largement en tête dont le très conservateur Missouri. En Floride aussi, bastion républicain, les partisans de l’IVG étaient majoritaires, mais ils n’ont pas passé la barre indispensable de 60 % pour les consultations citoyennes.
Même si le « non » l’a emporté dans le Nebraska et le Dakota du Sud, le droit à l’avortement a donc progressé dans les urnes. Mais sans Kamala Harris. Et avec le masculiniste en chef, Donald Trump, à la Maison-Blanche pour quatre ans.
Lénaïg Bredoux
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