L’extrême droite en Europe 11 Allemagne

vendredi 17 août 2012.
 

L’extrême droite allemande a un double problème, l’un d’ordre conjoncturel, l’autre d’ordre structurel. D’abord, dans l’état actuel des choses, il lui manque un personnage ou un organisme fédérateur ; elle se retrouve éclatée en au moins trois partis politiques relativement importants, et plusieurs dizaines de mouvances de taille plus modeste. Aucun dirigeant qui pourrait s’imposer à une bonne partie de la galaxie comme « l’homme fort » de la situation, communément accepté, n’émerge.

Puis elle doit composer avec un certain handicap, plus d’ordre structurel celui-là. C’est que dans le pays d’origine du nazisme, dont les nationaux ont conçu, planifié et mis en oeuvre l’holocauste, elle a un héritage lourd à porter. L’extrême droite, en Allemagne, doit donc

* soit se démarquer nettement du nazisme historique, ce qui l’oblige à se mettre en porte-à-faux avec certaines parties de sa base « naturelle »

* soit rester stigmatisée aux yeux de la plupart des autres courants de la société. C’est ce qu’elle risque si elle affiche une affinité plus ou moins nette avec ses prédécesseurs historiques.

Dans le deuxième cas, il lui sera très difficile, voire quasiment impossible de passer des alliances politiques même passagères avec d’autres forces. L’opinion publique internationale sera d’autant plus vigilante et alarmée si des « enfants (ou petit-enfants) d’Hitler » obtiennent des scores électoraux importants en Allemagne. Elle le sera probablement plus qu’à l’occasion du succès de l’extrême droite dans d’autres pays...

Aperçu historique

Après la Seconde guerre mondiale, l’extrême droite post-nazie trouve rapidement un terrain fertile dans les milieux des « Heimatvertriebenen » (littéralement : expulsés de leur patrie). Ce terme désigne les Allemands qui durent quitter, en général entre 1945 et 1947, les territoires actuels de la Pologne et de la République tchèque. Les raisons de leur expulsion résident, d’une part, dans les tendances pro-nazies très fortes des « Allemands ethniques entourés de peuplades slaves » et dans leur racisme envers leurs voisins slaves. En République tchèque d’aujourd’hui, jusqu’à 93 % des Allemands des Sudètes avaient soutenu le parti national-socialiste local sous Konrad Henlein, avant que cette partie de l’ancienne Tchécoslovaquie démantelée en 1939 soit rattachée au Reich. D’autre part, les nazis avaient mené une politique d’occupation très dure sur les territoires des peuples slaves qui avait pour objectif de réduire ces derniers en quasi-esclaves de la « race germanique supérieure » et d’éradiquer les couches intellectuelles. Les dégâts de l’occupation notamment en Pologne étant très importants, des parties de l’ancienne Prusse furent annexées à la Pologne après 1945 pour compenser les destructions sur le territoire polonais initial. La frontière polonaise fut ainsi repoussée vers l’Ouest.

A ces Allemands « rapatriés » sur le territoire de leur « mère-patrie » s’ajoutent, dans la seconde moitié des années 1940, ceux qui ont quitté la zone d’occupation soviétique vers les zones d’occupation des puissances alliées occidentales. Au total, 13 millions de « rapatriés » allemands se trouvent ainsi en Allemagne de l’Ouest. Parmi eux, la plupart adhèrent à une vision qui transforme les Allemands en « véritables victimes » de la Seconde guerre mondiale, privilégiant les lamentations sur leur propre destinée à toute reconnaissance du génocide et des autres actes de barbaries commis par les nazis. Les Heimatvertriebenen sont majoritairement concentrés dans le Nord de la future Allemagne fédérale, et c’est là que l’extrême droite héritière nazie pourra rapidement (re)prendre pied. D’abord, c’était le Deutsche Reichs-Partei (DRP, Parti de l’Empire allemand) qui représentait l’extrême droite dans l’immédiat après-guerre. Fin 1949, il connaît une scission sous forme du Sozialistische Reichs-Partei (SRP, Parti socialiste de l’Empire allemand). Ce parti encore plus radical se place, lui, dans une continuité assez claire avec le parti national-socialiste interdit et démantelé. En 1951, lors des élections régionales en Basse-Saxe, la région la plus grande de l’Allemagne du Nord (autour de Hanovre), le SRP rafle 11 % des voix au total. Mais en 1952, ce parti sera interdit par une décision du Tribunal constitutionnel allemand et légalement dissout. Au cours des années suivantes, l’aile droitière de la scène politique est dominée par des partis quelque peu plus modérés, représentant les intérêts spécifiques des Heimatvertriebenen. Leurs revendications se placent en partie sur le terrain de la défense des intérêts purement matériels et immédiats des « rapatriés », s’agissant de leur dédommagement et de leur intégration dans la société. Mais en partie, ils défendent aussi le nationalisme allemand et la vision « victimaire » concernant le rôle des Allemands dans la dernière guerre. Parmi ces partis se trouvent le BHE (« Bloc des expulsés de leur partie et déshérités ») et la Deutsche Partei (DP, Parti allemand, héritier d’un ancien partie régionaliste en Basse-Saxe qui avait défendu la monarchie du Hanovre).

L’amélioration importante de la situation économique aidant, ces partis connaissent une régression au cours des années 1950. En 1959/60, le Parti Allemand vivra une scission importante : ses ministres (2) et députés rejoignent la droite classique sous forme de l’Union chrétienne-démocrate (CDU). Cette dernière avait déjà absorbé, après la guerre, une certaine partie de l’ancienne droite protestante-nationaliste d’avant la guerre, et même des anciens partisans du nazisme qui demeurent toutefois minoritaires dans sa mouvance (3). Il restera un noyau de militants plus « durs » du DP, du BHE et d’autres partis similaires qui refusent de rejoindre la droite classique. Comme leurs partis respectifs commencent à se marginaliser, un débat sur la fusion entre tous ces noyaus de militants démarre.

D’abord, en 1961, le DP et le BHE décident de fusionner sous le nouveau nom de Gesamtdeutsche Partei (GDP, « Parti de toute l’Allemagne », au sens de : partisan de la récupération des territoires perdus à l’Est). Mais le nouveau parti a peu de succès, il échoue lors des élections législatives de 1961 et se disloque rapidement. Puis, lors d’un congrès en novembre 1964 à Hanovre, une partie du Deutsche Partei reconstitué, la majeure partie du Deutsche Reichs-Partei (DRP) maintenu jusqu’ici et environ 80 formations plus petites vont fusionner en un nouveau parti commun. Il s’agit du Nationaldemokratische Partei Deutschlands (NPD, Parti national-démocratique allemand).

Le NPD sera le premier parti d’extrême droite, depuis la dissolution du SRP en 1952, qui connaîtra un véritable succès et une progression rapide. La raison en réside, au-delà de la dynamique créée dans les milieux militants et sympathisants par la fusion des forces, surtout dans le situation générale. Le NPD émerge pendant une période marquée par les premières difficultés économiques après 15 ans d’amélioration économique continue.

En novembre 1966, à peine deux ans après sa création, le NPD dépasse les 7 % des voix lors des élections qui se tiennent dans deux régions, en Hesse puis 15 jours plus tard en Bavière. Ce parti montera jusqu’à 9,8 % des voix lors des élections régionales du Bade-Wurttemberg, dans le sud-ouest de l’Allemagne, en avril 1968. Ce résultat reflète en partie aussi une réaction autoritaire aux mouvement sociaux de 1968, qui avaient démarré plus tôt en Allemagne qu’en France (où l’explosion sociale a eu lieu en mai) mais resteront plus minoritaires et surtout cantonnés à la jeunesse et aux intellectuels. Le courant dominant au sein du NPD, à cette époque, et de sa direction sous Adolf von Thadden(4) est plutôt national-conservateur et en quête de « respectabilité ». Alors même qu’il y a des courants nettement plus ouvertement pro-nazis voire violents à l’intérieur.

Mais le parti commence à décliner au début des années 1970. L’Allemagne fédérale a connu une alternance gouvernementale, pour la première fois après la guerre. Une alliance entre sociaux-démocrates et libéraux a mis la droite chrétienne dans l’opposition, à cause d’un changement d’alliance (et d’orientation) du FDP libéral. La droite chrétienne radicalise alors son discours. Elle fustige très violemment « l’abandon national » du nouveau gouvernement puisque celui-ci s’apprête à reconnaître pour la première fois les frontières d’après-guerre, avec la Pologne notamment. Ainsi elle regagne, dans une situation de polarisation entre les deux grands blocs politiques, une partie des électeurs qui étaient passés au NPD auparavant. En même temps naît un mouvement de rue droitier et nationaliste, qui se radicalise rapidement, sous le nom d’ « Aktion Widerstand » (Action résistance). Entre la droite classique et ce nouveau mouvement en bonne partie porté sur la violence de rue, il ne reste guère de place pour le NPD. En 1972, un nouveau mouvement d’extrême droite est ainsi lancé : la Deutsche Volks-Union (DVU), dont le nom signifie grossièrement « Union du peuple allemand »(5). Son chef est Gerhard Frey, qui édite alors depuis une dizaine d’années des journaux nationalistes, militaristes et pro-nazis tel que le Deutsche Soldatenzeitung (Journal des soldats allemands) devenu plus tard le Deutsche Nationalzeitung. Il vend aussi des médaillons et des souvenirs à la gloire des anciens soldats de la Seconde guerre mondiale.

La nouvelle organisation se constitue comme un « mouvement politique » et non pas comme un parti. L’objectif est de permettre de ratisser plus large que le NPD, en admettant les appartenances doubles. D’un côté, des députés de la droite classique et notamment de l’Union chrétienne-sociale (CSU) en Bavière participent à la création du nouveau mouvement. De l’autre côté, la DVU s’adresse aussi au mouvement de rue incarné par l’« Aktion Widerstand ». La marge du NPD se réduit, d’autant plus qu’un contre-mouvement puissant s’est formé contre le NPD qui vient perturber ses meetings. Comme la situation économique et sociale s’améliore, le NPD tombe au niveau électoral à 0,5 % des voix.

Le « second printemps » de l’extrême droite

Pendant 15 ans, l’extrême droite restera peu présente sur la scène politique, en dehors de groupuscules qui attirent le regard parce qu’ils font du bruit et sont (potentiellement) violents (6) . Mais dans les années 1980 elle prendra un nouvel élan électoral. Cependant plusieurs forces vont se livrer concurrence.

En novembre 1983, 39 personnes réunies dans une brasserie à Munich fondent un nouveau parti politique sous le nom « Die Republikaner » (Les Républicains, abrégé REPs). A l’origine, il s’agit d’une scission à droite de l’Union chrétienne-sociale CSU, parti hégémonique en Bavière et membre de la coalition gouvernementale de la droite classique qui a été formée un an auparavant au niveau fédéral. La Realpolitik plutôt pragmatique, sur certains points, qui accompagne l’entrée de la CSU au gouvernement fédéral depuis fin 1982 avait heurté certains de ses militants les plus droitiers. Concrètement, deux députés bavarois au parlement fédéral avaient quitté la CSU en juillet 1983 parce que leur groupe parlementaire avait voté pour un crédit international accordé à la RDA (et d’ailleurs négocié par une banque publique contrôlée par la CSU). La direction de leur parti avait surtout vu l’avantage économique et la possibilité d’une prise d’influence sur la politique de la RDA, avec l’octroi de ce crédit. Mais les intégristes de l’anticommunisme dans leur parti étaient révoltés : pour eux, il était hors de question de reconnaître une quelconque légitimité à l’existence même de l’Etat est-allemand. La décision du gouvernement s’apparentait à une trahison, à leurs yeux. A côté des deux députés désormais non inscrits (Franz Handlos et Ekkehard Voigt), un ancien journaliste de la radio publique bavaroise accède à la direction du nouveau parti. Il en écartera bientôt les autres cofondateurs devenus rivaux. En 1985, il se fait élire chef du parti, dorénavant incontesté. Il s’agit de Franz Schönhuber (1923-2005), qui est connu pour avoir publié en 1981 ses mémoires sur son appartenance aux Waffen-SS sous le titre : « Ich war dabei ! » (J’y étais !) Suite à la publication de ce livre de défense d’un certain passé, il avait été écarté de sa position de cadre dirigeant dans la radio.

A partir du milieu des années 1980, un espace électoral semble s’ouvrir à l’extrême droite. Cela s’explique par plusieurs facteurs : usure ou désidéologisation relative de la droite au pouvoir, montée du chômage, peur de la perte d’un statut social répandue... A partir de 1985, les REPs disposent de leurs premiers députés au parlement d’un état-région, trois élus de la CDU dans la ville-région de Brême étant passés au nouveau parti. Aux élections régionales en Bavière, fin 1986, les REPs réalisent pour la première fois 3 % des voix. Puis les scores montent. La DVU, de son côté, dont on n’avait pas beaucoup publiquement parlé pendant quelques années, se fonde en mars 1987 une vitrine électorale pour pouvoir présenter elle aussi des listes aux élections. Jusqu’ici, la DVU n’avait été qu’une association, dorénavant elle dispose d’un parti politique enregistré. Il s’agit de la « DVU-Liste D », le « D » étant le symbole international de l’Allemagne sur les plaques des voitures. Le 13 septembre 1987, dans la ville-région de Brême, la liste présentée par la DVU réussit à entrer au parlement régional(7). Mais le prochain succès électoral de l‘extrême droite allemande sera pour les REPs. Elle aura lieu en janvier 1989 : aux élections du parlement régional de Berlin(-Ouest), leur parti gagne 7,5 % alors qu’il se présente pour la première fois à Berlin. Les analyses démontrent que les REPs ont réalisé leur plus fort pourcentage parmi les policiers. Puis aux élections européennes de juin 1989, il y aura deux listes d’extrême droite en présence : celle des REPs, et une autre de la DVU désormais soutenue par le NPD. Cela puisque les deux formations viennent de s’allier contre les tentatives hégémoniques des « Republikaner » sur l’extrême droite. Les REPs se présentent avec un profil plus « respectable », une propagande moins plate que celle de la liste concurrente, et comme un parti capable de « s’intellectualiser » selon un terme alors consacré. Les REPs raflent la mise, avec 7,1 % des voix contre 1,4 % pour leurs concurrents au sein de l’extrême droite.

Mais leur ascension sera freinée peu de temps après. Il leur arrive ce qui arrivera souvent à l’extrême droite allemande par la suite : de grands événements permettent aux grands partis politiques établis de s’attirer de nouveau les électeurs, qui s’étaient provisoirement ralliés à l’extrême droite. En l’occurrence, il s’agit de la réunification entre l’Allemagne fédérale et l’ancienne RDA (qui sera absorbée par la première) sur fond de vague nationaliste dans les deux pays. Cette unification est organisée par les pouvoirs publics et les grandes forces politiques, mais sera en même temps chaudement saluée comme événement historique par toutes les composantes de la droite et extrême droite nationaliste. Pour ne pas apparaître comme ceux « qui s’écartent de la communauté en ce moment historique grave », beaucoup d’électeurs d’extrême droite retourneront alors aux grands partis. Notamment à la CDU qui dirige alors le gouvernement. D’ailleurs, alors que les « Republikaner » présentent une liste aux premières élections fédérales communes en décembre 1990 (deux mois après l’absorption de l’Allemagne de l’Est), la direction de la DVU appelle à voter pour les grands partis. Concrètement elle laisse même à ses électeurs le choix entre les chrétiens- et les sociaux-démocrates. Les REPs, eux, n’obtiennent que 2 % à ces premières élections fédérales de l’après-unification.

Un paysage éclaté

Par la suite, des succès électoraux de partis d’extrême droite se répètent à intervalles plus ou moins réguliers. Mais ils ne font pas, ou pas encore, de l’extrême droite un acteur politique de premier plan. D’abord, ces succès sont partagés parmi plusieurs forces : les REPs(8), la DVU(9), le NPD(10). Deuxièmement, ils sont cantonnés au niveau régional et se produisent à un moment où le Landtag (parlement régional) d’un état-région est renouvelé en cours de la législature du parlement fédéral(11). Cependant, au moment des élections fédérales au Bundestag, l’extrême droite retombe toujours à des niveaux compris entre 2 et 3 % en moyenne. Et lors des élections fédérales, elle ne dépasse quasiment jamais les 5 % dans aucun des états-régions. Ceci alors que lors d’un scrutin régional, des partis d’extrême droite ont pu rassembler jusqu’à 14 %(12). Ce fait est un symptôme d’une assez forte stabilité du système politique établi, dans lequel les grandes forces politiques réussissent (encore) régulièrement à rattraper les électeurs qui sont allés se promener du côté de l’extrême droite lors de scrutins de « moindre importance » (inter)nationale.

D’ailleurs, la première vague de succès électoraux de l’extrême droite après la réunification a été déclenchée par les grandes forces politiques et les grands médias établis eux-mêmes. Depuis fin 1991 et pendant presque deux ans, la Asyldebatte, le débat public sur l’afflux d’immigrés à travers le droit d’asile, a largement dominé la scène politique et médiatique. Elle a d’ailleurs été accompagnée d’une vague de violence raciste sans précédent puisque pendant les années 1992/93, les incendies criminels frappant les foyers d’immigrés (demandeurs d’asile ou immigrés du travail turcs) étaient littéralement quotidiens à travers le pays. Les vannes de ce débat avaient été ouvertes par l’establishment politique parce que c’était un moyen de gérer la crise sociale grave de l’après-réunification, de canaliser le mécontentement grandissant.

A l’apogée de ce débat, l’extrême droite obtiendra 14 % dans la région du Bade-Wurttemberg en avril 1992(13). Mais en 1993, après avoir très radicalement restreint le droit d’asile par un vote du parlement fédéral du 26 mai de l’année, les pouvoirs publics vont sonner la fin de la partie pour les forces d’extrême droite, qui avaient pu allègrement surfer sur le climat général pendant plusieurs mois. Des interdictions frappent les mouvances les plus violentes, des groupuscules ultraradicaux comme la Nationale Offensive (NO) et la Nationalistische Front (NF) sont légalement dissous et des armes qu’ils avaient stockées sont saisies. La grande presse et les rapports des « offices de protection de la constitution »(14) déclenchent une campagne, y compris contre les Republikaner taxés d’irresponsabilité. Ce dernier parti tombera, lors des élections européennes de juin 1994, à 3,4 % (contre 7,1 % cinq ans plus tôt). Il doit quitter le Parlement européen où il avait formé un groupe commun avec le Front national de Jean-Marie Le Pen. Puis, en décembre 1994, le parti organisera un congrès où il renversa sa direction (Franz Schönhuber ), accusée de « radicalisme irresponsable ». Elle sera remplacée par un nouveau directoire présidé par Rolf Schlierer, plus enclin à chercher des compromis avec la droite classique et à s’institutionnaliser. Cependant les contradictions internes qui s’ouvrent dans le parti finiront par le déchirer. Les REPs ne se relèveront jamais de cet épisode de leur histoire. D’environ 20.000 membres décomptés en 1992, ils tomberont à 6.500 (en 2005). Electoralement, ils seront marginalisés à long terme par le NPD et la DVU qui gagneront aussi des anciens membres des « Republikaner ».

Les trois partis qui se livrent concurrence poursuivent aussi des logiques politiques différentes. Pour schématiser, on pourra les caractériser ainsi :

Les « Republikaner » étaient déchirés, dans les années 1990, entre deux logiques. Alors que l’ancienne direction sous Franz Schönhube (président du parti destitué en décembre 1994) chercha à s’inspirer de Jean-Marie Le Pen et de créer un courant protestataire et « social », la nouvelle majorité sous Rolf Schlierer adopte depuis une orientation différente. Elle cherche à s’appuyer surtout sur les couches moyennes et à se rapprocher des partis de la droite classique, dans les institutions. En France, elle serait plutôt « villiériste » que « lepéniste ». Mais le parti est aujourd’hui très affaibli, une partie de sa base est sous la pression des autres forces d’extrême droite ou a carrément pris les valises pour rejoindre le NPD. La droite classique n’a ainsi aucun intérêt vis-à-vis des REPs en raison de leur faiblesse. Alors que des dirigeants chrétiens-démocrates régionaux (comme le ministre-président du Palatinat de l’époque, Carl-Ludwig Wagner) avaient presqu’ouvertement prôné une alliance avec ce parti en 1989.

La DVU a un profil plus protestaire au niveau de sa propagande électorale. Mais en tant que parti, elle forme une coquille totalement vide. En réalité, la DVU est gérée comme son patrimoine privée par son président-fondateur (en place depuis sa création en 1972) Gerhard Frey. Celui-ci gère son parti comme une entreprise. Les adhérents sont fortement exhortés à s’abonner aux différents journaux hebdomadaires (à tendance nostalgique des victoires passées de l’armée allemande, y compris à l’époque nazie, et d’un niveau très primaire) édités par le chef, à acheter les produits qu’il propose... et à ne surtout développer aucune activité propre non contrôlée d’en haut. La DVU n’a ainsi aucune force militante réelle. Lors de ses entrées répétées dans des parlements régionaux depuis 1987, elle a ainsi révélé un manque cruel de personnel un minimum qualifié. Souvent ses groupes parlementaires étaient composés de néophytes en politique qui ne comprenaient absolument rien à rien. Les directives concernant la ligne à adopter dans l’enceinte de l’assemblée arrivaient directement du chef, par fax. Aussi souvent, ses groupes parlementaires se disloquaient au bout d’un an ou deux, les « dissidents » partant vers d’autres horizons ou se perdant tout simplement dans la nature.

Le NPD, lui, est par contre un vrai parti de militants. Il en compte environ 6.000 à l’heure actuelle. Ses adhérents sont souvent jeunes et masculins, prêts à en découdre d’une façon ou d’une autre. Mais dans les zones où il a gagné une vraie implantation sociale, majoritairement situées en Allemagne de l’Est pour l’instant, le NPD tente aussi de soigner une image de « proximité » pragmatique. Il y met au premier rang des cadres locaux dotés d’un fort ancrage social comme, en Saxe, le député propriétaire d’une auto-école Uwe Leichsenring (tué dans un accident de voiture en septembre 2006). Mais là où cet ancrage local est moins fort, le NPD montre plutôt un visage de violence nue. Sa tête de liste au Schleswig-Holstein en 2005, Ingo Stawitz, avait été accusé de coups et blessures (et condamné plus tard, en mai 2006)... ce qui ne renforça pas vraiment la respectabilité du parti dans cette région.

Le NPD est aujourd’hui composé de plusieurs courants radicaux, peu enclins à composer avec la droite classique chrétienne ou libérale. Une minorité est d’inspiration national-classique "orthodoxe" (hitlérienne) alors que la majorité puise ses références historiques plutôt dans le courant « strasserien », marginalisé par Hitler en 1932. Il s’agit de cette aile du parti national-socialiste qui croyait réellement en la démagogie sociale et « anticapitaliste » de leur parti, alors que Hitler était déjà soutenu par quelques unes des plus grandes entreprises.

Le NPD met fortement en avant l’agitation protestataire et « sociale ». Ses militants ont ainsi participé, ou tenté de participer avant d’être délogés par des militants de gauche ou syndicalistes, aux manifestations contre la « réforme » des droits au chômage en 2004. Dans certaines campagnes électorales, le NPD n’hésite pas à créer une certaine confusion en mettant en avant sa dimension « sociale », anti-establishment. En 2004, l’un de ses slogans de campagne était ainsi « Marx statt Hartz » (« Plutôt Marx que Hartz », ce dernier étant le conseiller du gouvernement qui avait inspiré les coupes apportées aux droits des chômeurs). Certains n’en croyaient pas leurs yeux. Or, le slogan ne faisait pas allusion à Karl Marx, mais à Peter Marx, le coordinateur de la campagne « sociale » du NPD... Pour le reste, le NPD tente de récupérer tous les slogans « anti-système » et anti-mondialisation. Dans ses manifestations, il arbore des slogans tels que « Des emplois pour les allemands au lieu de la folie mondialiste ». Son caractère raciste ne fait aucun doute. Ainsi en 2004 il colla des affiches montrant une famille d’immigrés d’origine turque avec pour seul slogan : « Bon voyage ! » Depuis 2004, c’est clairement le NPD qui domine le paysage à l’extrême droite. La DVU s’est tactiquement rallié à lui, lors d’un congrès tenu en novembre 2004, en même temps que les « camaraderies autonomes » (Freie Kameradschaften), groupuscules adeptes de la violence de rue mais dont beaucoup de membres ont intégré le NPD. Cependant l’alliance commence désormais à se disloquer. Les membres du NPD se demandent à quoi le soutien (totalement passif) de la DVU est bon, alors que les militants des « camaraderies autonomes » ont l’impression de perdre leur temps puisque les succès du NPD ne sont pas aussi fulgurants et constants qu’attendus par certains impatients.

(1) Il faut savoir que les électeurs allemands disposent toujours de deux voix, l’une pour voter en faveur de la liste d’un parti et l’autre pour choisir un candidat local, pas nécessairement du même parti. Or, le parti d’extrême droite (la DVU) présent à ces élections-là n’avait pas proposé de candidats locaux, et uniquement une liste centrale au niveau de l’état-région. Ceci obligeait ses électeurs à choisir parmi les candidats locaux des autres forces.

(2) Le Deutsche Partei ainsi que le BHE appartiennent alors à une gouvernement dominé par l’Union chrétienne-démocrate (CDU) et le Parti libéral (FDP), formé en 1957. A moyen terme, la droite classique absorbera une bonne partie de ces forces.

(3) Une partie de la CDU fondée en 1945 venait de l’ancien Parti centriste (Zentrumspartei) d’avant la guerre. Ce parti catholique avait été opposé à l‘origine, depuis la fondation du Reich de Bismarck en 1871, à l’Etat central dominé par la Prusse (protestante), pour des raisons confessionnelles. Sous la monarchie (1871-1918), il était d’ailleurs accusé de privilégier « Rome sur Berlin ». Sous la République de Weimar (1919-1933), le Parti centriste était l’un des membres des coalitions gouvernementales successives. Il était opposé à la montée du nazisme et à sa prise du pouvoir, même si ses membres restaient plutôt passifs pendant la dictature nazie et alors que peu d’entre eux choisirent la voie de la résistance explicite. Mais en 1945, cette ancienne mouvance centriste et catholique, surtout représentée en Allemagne du sud et en Rhénanie, allait fusionner avec des mouvances protestantes de l’Allemagne du Nord pour former la nouvelle Union chrétienne-démocrate. Le protestantisme ayant été la quasi-religion d’Etat sous la monarchie prussienne, une bonne partie des ces mouvances avaient été plutôt monarchistes et anti-républicaines sous la République de Weimar, puis s’étaient alliées au nazisme. La mouvance ‘deutschnational’ (nationale-germanique, anti-républicaine) s’était même allié au parti nazi pour former le premier gouvernement de Hitler, et était en partie représentée dans les institutions de la dictature jusqu’à la rupture en 1944. Une partie de ce courant se trouvait après 1945 dans la nouvelle CDU. En Bavière cependant, la CDU n’était (et n’est toujours pas) représentée, mais a laissé la place à l‘Union chrétienne-sociale (CSU) avec laquelle elle forme une sorte de fédération. La CSU a toujours été plus droitière, et englobait surtout au début un nombre assez important d’anciens monarchistes et d’anciens partisans du nazisme. Quant à lui, le Parti libéral FDP avait absorbé, après la guerre, un certain nombre d’anciens pro-nazis qui venaient des couches moyennes. En 1953 éclata un scandale alors qu’un courant ouvertement pro-nazi s’était formé autour de Werner Naumann, mais le noyau de militants regroupé autour de lui finit par être exclu du parti. Jusqu’à la fin des années 1960, la plupart des membres plus ou moins proches du nazisme avaient quitté le FDP ou en étaient exclus.

(4) Ancien chef du DRP depus 1961 et jusqu’à la création du NP.

(5) Le terme allemand de « Volk » et celui, français, de peuple n’ont pas réellement la même signification. La raison principale en réside dans l’histoire sociale différente des deux pays. Alors que peuple a une signification plutôt sociale (couches populaires), le terme de Volk peut aussi désigner « ceux d’en bas et non ceux d’en haut » , mais il peut en même temps revêtir une signification ethnico-raciste. Dans l’histoire du début du 20e siècle, le mouvement ‘völkisch’ (adepte du Volk) n’était rien d’autre qu’une mouvance de défense de la pureté du sang. A cause de la période national-socialiste, les deux sens du termes ont souvent été confondus dans l’histoire. Aujourd’hui, le terme sert surtout à désigner un peuple déterminé (au sens de : le peuple allemand, le peuple français, le peuple tibétain...). Mais il n’est alors pas tout à fait exempt de ses dérives ethnicistes passées, la vision allemande dominante de la nation continuant à intégrer une dimension de « droit du sang ».

(6) Il existe une mouvance terroriste d’extrême droite, même si elle est numériquement faible. Le plus connu de ces groupes sera le Wehrsportgruppe Hoffmann, un groupe paramilitaire sous Karl-Heinz Hoffmann qui pratique des exercices de sport de combat (d’où son nom : Groupe de sport de défense) dans la forêt et sur un château bavarois. Ce groupe entretient des contacts réguliers avec les mouvances d’extrême droite plus importantes : en 1976, le chef de la DVU, Gerhard Frey, avait réglé des frais de justice (à hauteur de 8.000 Deutschmark de l’époque) pour Hoffmann. En septembre 1980, un de ses membres se tue lui-même avec la bombe que le groupe fait exploser à la fête de la bière, à Munich. L’attentat tue 13 personnes au total. Il était destiné à créer une atmosphère de chaos, à le mettre sur le dos de l’extrême gauche et probablement aussi à faire gagner la droite menée par Franz-Josef Strauss (chef de l’Union chrétienne-sociale, partisan d’une ligne « dure ») aux élections fédérales d’octobre 1980. C’était en effet la première fois que la droite classique était regroupée derrière un membre de son aile « dure », d’ailleurs un ancien officier de propagande idéologique à l’époque nazi. Mais le plan des terroristes échoua, à cause de l’identification rapide de celui qui avait sauté avec la bombe qu’il tenait dans la main.

(7) Brême a été choisie parce qu’il s’agit de la plus petite région d’Allemagne, dotée d’un droit électoral spécifique : elle est composée de deux villes de taille inégale, Brême et Bremerhaven (son port distant d’une cinquantaine de kilomètres). Il suffit pour un parti d’avoir dépassé la barre des 5 % des voix requis dans une seule des deux circonscriptions pour pouvoir entrer au parlement régional, règle qui n’existe nulle part ailleurs. Ainsi la « DVU-Liste D » ne parvient certes pas à réunir 5 % des voix à l’échelle de la région, au premier coup. Mais avec 3,4 % au total et un peu plus de 5 % au niveau de Bremerhaven, ville nettement plus petite que Brême elle-même, la liste d’extrême droite aura des élus... et l’effet médiatique recherché. Comme la région est relativement petite, la chef de la DVU, Gerhard Frey qui est plusieurs fois millionnaire, avait lourdement investi dans la propagande et mené une campagne avec forte injection de matériels. Elle aura été payante.

(8) Les plus forts scores des Republikaner après la réunification allemande de 1989/90 sont les suivants : 4,9 % en octobre 1990 en Bavière, 10,9 % au Bade-Wurttemberg en avril 1992, 3,4 % aux élections européennes en juin 1994, 9,1 % au Bade-Wurttemberg en mars 1996. Ce parti a été représenté dans le parlement régional du Bade-Wurttemberg de 1992 jusqu’en 2001. Depuis, ses scores deviennent de plus en plus maigres partout et ce parti n’a plus aucune représentation parlamentaire à l’heure actuelle.

(9) Parmi les plus forts scores de la DVU après la réunification de 1980/90 : 6,2 % à Brême en septembre 1991 où la DVU entrera pour la deuxième fois consécutive au parlement régionale (mais retombera à 2,5 % quatre ans plus tard) ; 6,3 % au Schleswig-Holstein en avril 1992 (mais où elle perdra 2 % en 1996 l‘obligeant à quittera le parlement, et ne se représentera pas postérieurement) ; 12,9 % en Saxe-Anhalt en avril 1998 (mais où elle ne se représente pas en 2002, et retombe à 3 % en 2006), 5,3 % au Brandenbourg en 1999 suivis de 6,1 % en 2004. En général, on voit qu’une bonne partie d’instabilité et d’incapacité de s’inscire sur la durée demeure inhérente aux succès électoraux de la DVU.

(10) Le NPD a longtemps obtenu, après sa chute sur le plan électoral qui date des années 1970, des résultats électoraux totalement marginaux. Il apparaissait à la fois comme moins crédible sur le plan électoral, et comme plus extrémiste que ses concurrents des REPs et la DVU. Aux élections législatives fédérales de décembre 1990, p.ex., le NPD doit se contenter de 0,3 % en moyenne. Mais la crise des « Republikaner » et l’incapacité de la DVU de gagner un ancrage durable ont ouvert, depuis peu, la porte à une présence électorale plus importante du NPD. - Très récemment, le NPD a réalisé des scores assez élevés dans certains états-régions de l’Allemagne de l’Est. Ses pics ont été atteint en septembre 2004 en Saxe (9,2 % pour le NPD) et en septembre 2006 en Mecklenbourg-Pomméranie antérieure (7,3 %). Dans les régions de l’Allemagne de l’Ouest, le NPD ne dépasse pas encore le niveau des 2 % comme en Sarre (septembre 2004) et au Schleswig-Holstein (février 2005) malgré des pics locaux plus élevés.

(11) A la différence de la situation française, les élections régionales, en Allemagne, n’ont pas toutes lieu au même jour. Chaque Land (état-région) a ses propres dates d’élection. D’ailleurs, le mandat des parlementaires est de 4 ans dans certains Länder alors qu’il dure 5 ans dans d’autres.

(12) Ce score, le plus fort jusqu’ici réuni par l’extrême droite au niveau d’un état-région, a été celui de plusieurs partis réunis lors des élections régionales du 05 avril 1992 au Bade-Wurttemberg (sud-ouest de l’Allemagne). Avec presque 11 %, les REPs en formaient la force la plus importante, suivis du NPD à presque 1 % des voix et d’autres mouvances plus petites.

(13) Voir note précédente.

(14) Il s’agit d’une sorte d’office de renseignements politiques qui observe les forces politiques « non compatibles avec l’ordre constitutionnel ». Ses rapports annuels sont publics et p.ex. accessibles dans les bibliothèques. Ils ont un fort pouvoir de stigmatisation politique, d’autant plus que les membres des forces politiques faisant l’objet de l’observation de cet organisme peuvent perdre leur emploi dans la fonction publique en raison d’un Berufsverbot (« interdiction d’exercer leur profession », dans les services de l’Etat). Si, dans le passé, cette menace de radiation de la fonction publique était surtout considérée comme une arme contre les communistes, en 1993/94, elle était aussi pour la première fois massivement employée contre l’extrême droite. Des membres des Repulikaner se voyaient menacer d’être radiés de la fonction publique (alors que très peu de licenciements ont réellement eu lieu). Cela mettait d’autant plus de pression sur le parti, que bon nombre de ses militants étaient et sont des fonctionnaires de police...


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