Motion de censure : les socialistes préfèrent Bayrou au Nouveau Front populaire

mardi 28 janvier 2025.
 

Après d’ultimes atermoiements, les socialistes ont finalement décidé d’offrir un sursis au gouvernement de François Bayrou. La France insoumise leur reproche d’entraîner la « fracture » de la coalition de gauche. Les Écologistes et les communistes espèrent encore pouvoir l’éviter.

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Olivier Faure sort soudain de ses gonds. Alors qu’il commence à développer les raisons pour lesquelles le groupe socialiste ne votera pas la censure du gouvernement Bayrou, discutée jeudi 16 janvier à l’Assemblée nationale, le premier secrétaire du Parti socialiste (PS) entend les premières moqueries émaner des bancs insoumis.

N’y tenant plus, il délaisse son texte pour se tourner vers la gauche de l’hémicycle et laisser éclater sa colère : « Si vous êtes gênés, prenez la parole après moi ! Si vous pensez que ce que je dis n’a aucun intérêt pour les Français, qu’ils ne sont pas heureux de voir une gauche qui propose, une gauche qui avance, une gauche qui fait céder le gouvernement, alors dites-le ! »

Ses collègues socialistes applaudissent, à commencer par l’ancien ministre macroniste Aurélien Rousseau et François Hollande. Bruno Retailleau affiche un sourire goguenard. Les Insoumis·es répliquent pendant quelques secondes avant de permettre au premier secrétaire du PS d’achever son discours.

Olivier Faure remercie François Bayrou d’avoir « ouvert la possibilité d’une alternative » en permettant d’entamer un « chantier » sur la réforme des retraites – son abrogation étant pourtant bien loin. Avec la décision des socialistes de ne pas voter la motion de censure déposée par La France insoumise (LFI) après le discours de politique générale du premier ministre, c’est surtout une brèche béante qui vient de s’ouvrir au sein du Nouveau Front populaire (NFP), qui s’était jusqu’alors montré soudé à l’Assemblée.

Dans la foulée de la prise de parole du premier secrétaire du PS, les Insoumis font savoir leur désapprobation sans ménager leurs coups. « Le PS entre de fait dans la coalition macroniste en sauvant le gouvernement Bayrou », réagit la députée Clémence Guetté, quand Jean-Luc Mélenchon écrit sur X : « Le PS fracture le NFP. Mais il capitule seul. Les trois autres groupes votent la censure. Nous continuons le combat. » Écologistes et communistes avaient en effet annoncé qu’ils rallieraient la censure. Ce qu’ils ont effectivement fait jeudi.

Le résultat est tombé en fin de journée : 131 votes pour la motion. Il en fallait 288 pour qu’elle soit adoptée. Le gouvernement de François Bayrou a gagné un sursis – il savait de toute façon pouvoir compter sur l’abstention du Rassemblement national (RN). Dans le groupe PS, huit dissident·es sur 66 membres – Paul Christophle, Pierrick Courbon, Alain David, Peio Dufau, Inaki Echaniz, Fatiha Keloua Hachi, Philippe Naillet et Claudia Rouaux – ont toutefois voté la motion de censure, preuve des dissensions qui ont tiraillé le parti.

Le dilemme du PS

Le suspense a duré jusqu’au dernier moment dans les rangs du PS, qui a vécu quarante-huit heures de crise et de multiples retournements de situation. Entre les réunions internes, les coups de fil avec les ministres Éric Lombard (économie) ou Catherine Vautrin (travail) et le suivi des déclarations erratiques du gouvernement, le parti d’Olivier Faure n’a cessé de godiller pour trouver sa ligne. « Personne n’était d’accord au parti. Ce n’était ni une question de courants, ni de générations, ni de circonscriptions. On était même tous un peu partagés à l’intérieur de nous-mêmes », raconte un cadre du groupe parlementaire.

Au lendemain de la déclaration de politique générale de François Bayrou, le patron des sénateurs PS Patrick Kanner confirmait ainsi la ligne annoncée par Olivier Faure, la veille sur France 2 : « Le compte n’y [est] pas. » Mais quelques heures plus tard, François Bayrou semblait donner quitus à la gauche sur les 4 000 suppressions de postes d’enseignant·es, rouvrant soudain la possibilité d’arracher d’autres avancées. Mercredi soir, le président du groupe socialiste à l’Assemblée, Boris Vallaud, penchait toutefois encore pour voter la censure.

En décidant de ne pas censurer le gouvernement, les socialistes ont décidé sciemment de détruire le NFP.

Aurélien Taché, député LFI

Mais jeudi matin, après une visioconférence avec les maires et une réunion de groupe où le refus de la censure a été largement majoritaire chez les député·es, le bureau national du PS a entériné la non-censure : sur ses 63 membres, seuls 10 étaient pour la motion. Les huiles du parti avaient fini par arracher à l’entourage du premier ministre la cerise sur le gâteau : une preuve écrite des concessions accordées au PS.

Dans ce courrier immédiatement diffusé par les socialistes aux médias, François Bayrou s’engage noir sur blanc à présenter au Parlement un nouveau projet de loi sur les retraites, même si les partenaires sociaux « ne parviennent pas à un accord global » à l’issue de la conférence nationale. Mais aussi à maintenir les 4 000 postes d’enseignant·es, à revenir sur le déremboursement des médicaments ou encore à consentir une très légère hausse de la taxe sur les transactions financières…

Soit peu ou prou ce que le patron du MoDem avait promis lors de la réunion de lundi soir avec les négociateurs socialistes, avant de modifier sa copie le lendemain à la tribune de l’Assemblée.

Aux yeux des socialistes, cette lettre écrite fait office de preuve suffisante pour s’abstenir sur la censure, même s’ils se gardent de tout triomphalisme. « On a obtenu des avancées pour les Français, après ça ne veut pas dire que c’est un chèque en blanc pour le gouvernement. On se réserve tout à fait la possibilité de voter la censure lors du prochain 49-3 », tempère la direction du groupe socialiste. « On a décidé de considérer que la coupe était à moitié pleine plutôt qu’à moitié vide. Ce n’est pas pour autant qu’on est sur un pacte durable de non-censure », prévient aussi le député PS Arthur Delaporte.

Les Écologistes et les rouges sortent le drapeau blanc

Des explications qui n’ont pas du tout convaincu LFI. « En décidant de ne pas censurer le gouvernement, les socialistes ont décidé sciemment de détruire le NFP », fulmine Aurélien Taché, qui accuse Olivier Faure d’avoir privilégié son congrès au Nouveau Front populaire et à ses électeurs. « C’est une erreur éthique, stratégique, et tactique. Le PS ne supporte plus de risquer de ne plus apparaître comme un pur parti de gouvernement, il n’est même pas foutu de censurer un gouvernement avec Retailleau dedans ! », ajoute-t-il.

« Aujourd’hui, c’est peut-être le futur congrès du PS qui s’est joué à l’Assemblée nationale, alors qu’il n’a rien à voir avec la politique qu’on mène en tant que NFP, complète la députée LFI Anaïs Belouassa-Cherifi. Ce n’est pas une décision anodine, elle va avoir des conséquences sur l’avenir du NFP, car il y a visiblement une volonté de réorientation idéologique au sein du PS. »

Mais au sein du NFP, tout le monde ne dramatise pas autant la situation. Dès mercredi, la secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier, qui tente de jouer les traits d’union entre les différentes composantes de la coalition, a tenté de désamorcer la crise : « Il n’y a d’infamie dans le comportement de personne au sein du NFP [et] j’ai autre chose à faire que de servir de support visuel aux soirées pop-corn de mes collègues de droite et d’extrême droite », a-t-elle lancé sur BFM, tout en appelant à « arrêter de hurler à la fin du NFP trois fois par jour ».

La manière dont François Bayrou a conduit ses négociations a isolé le PS en profitant de ses dissensions. Ce que j’entends, c’est que ça ne signe pas pour autant un problème définitif pour le NFP.

Sophie Taillé-Polian, députée écologiste

La même volonté d’apaisement régnait, jeudi, au sein du groupe communiste où un député – Yannick Monnet – a renoncé à voter la censure. Le matin même, son collègue Stéphane Peu disait vouloir « écouter des deux oreilles » le moment politique : « On peut comprendre que les socialistes ne veulent pas censurer pour rester dans les négociations. Le problème, c’est qu’ils entretiennent l’illusion que ça peut marcher alors que tout est bourré de faux-semblants », expliquait-il à Mediapart.

Il faut dire que les Écologistes et les rouges goûtent peu l’idée de se retrouver en tête-à-tête avec LFI et qu’ils avaient apprécié de redevenir centraux à gauche dans l’intermède des négociations. Jeudi soir, les deux partis sont donc rapidement passés en opération casque bleu.

« Il faudra voir la suite, temporise Stéphane Peu. Soit le refus du PS de voter la censure acte un recentrage du PS dans l’espace politique, et à ce moment-là ça pose un problème pour le NFP ; soit tout cela n’a été qu’une tentative sans lendemain avec Bayrou et va très vite revenir à une place d’opposition résolue sur le budget, auquel cas ce qu’il s’est passé ces derniers jours n’est pas si grave. »

Député du groupe écologiste, son collègue Pouria Amirshahi prend lui aussi soin de rappeler quelques évidences : « Personne n’est propriétaire du NFP, sauf les électeurs », souligne-t-il, jugeant toutefois qu’« une partie du groupe socialiste s’est montrée perméable aux gens qui disent “pas de bordel”, croyant qu’il s’agit de leurs électeurs, ce qui n’est pas toujours le cas. »

« La manière dont François Bayrou a conduit ses négociations a isolé le PS en profitant de ses dissensions, regrette aussi l’écologiste Sophie Taillé-Polian. Ce que j’entends, c’est que ça ne signe pas pour autant un problème définitif pour le NFP, car si le PS n’a pas censuré ce soir, il pourra le faire plus tard. »

Il y a deux jours, le soir de la déclaration de politique générale, Jean-Luc Mélenchon, de passage à l’Assemblée nationale, était plus sceptique. Après s’être fait menaçant pour les prochaines législatives – « Ceux qui ne votent pas la censure, on a une option sur leurs circonscriptions ! » –, le triple candidat à la présidentielle confiait son désarroi : « Si le PS détruit le NFP [en ne votant pas la censure – ndlr], ça ne nous aide pas. Il faudra tout recommencer depuis le début. »

Mathieu Dejean et Pauline Graulle


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