Informations financières dissimulées, budget d’austérité préétabli, nomination du futur gouvernement retardée… : le gouvernement démissionnaire fait tout pour imposer ses vues sur le futur budget 2025. Quand bien même il devrait, en théorie, ne plus être aux manettes.
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Maintenir au maximum l’opacité pour in fine mettre l’Assemblée nationale devant le fait accompli. Telle est la stratégie du gouvernement démissionnaire pour que le budget 2025 soit conforme à sa vision de la politique économique, alors même qu’il a été défait aux élections législatives début juillet.
Ainsi, le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire et le ministre délégué aux comptes publics Thomas Cazenave se sont bien gardés ces dernières semaines de divulguer des informations sur l’état des finances publiques aux représentants et représentantes du peuple nouvellement élues.
Ce manque de transparence, combiné au recul de la nomination du nouveau gouvernement qui risque de retarder la présentation du projet de loi de finances 2025 – la date butoir est la mi-octobre –, est « une manière de rendre irréversible » le vote dans l’urgence d’un budget austéritaire que l’exécutif appelle de ses vœux, a déploré le président de la commission des finances Éric Coquerel (La France insoumise – LFI), lors d’un petit-déjeuner organisé le 3 septembre par l’association des journalistes économiques et financiers (Ajef).
Il a en fait fallu qu’Éric Coquerel et le rapporteur du budget Charles de Courson (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires – Liot) menacent de se rendre dans les locaux du ministère de l’économie et des finances à Bercy pour « faire un contrôle sur pièces et sur place » pour que l’exécutif daigne enfin sortir du bois et communiquer de précieuses informations, à quelques semaines de l’ouverture des débats parlementaires.
Le 2 septembre, les ministres de Bercy ont fait livrer un carton plein de documents financiers rédigés par leurs services aux deux députés de la commission des finances. Et l’on a ainsi appris que le gouvernement démissionnaire avait préparé un budget 2025 « réversible » pour son successeur.
Problème : la base proposée par le gouvernement démissionnaire est des plus austères. Ce projet de budget « constitue une baisse de 15 milliards d’euros des dépenses de l’État par rapport à la loi de finances adoptée en 2024 », note le président de la commission des finances. Ce à quoi il faudra ajouter 5 milliards d’économies dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), soit 20 milliards au total, a-t-il précisé.
Dans le détail, selon le projet de l’exécutif, « seuls les budgets dédiés à la défense et à la sécurité augmenteront plus vite que l’inflation » l’an prochain, déplore Éric Coquerel. À l’inverse, « les politiques les plus touchées devraient être l’aide publique au développement (− 18 %, sans tenir compte de l’inflation), le sport (− 11 %), l’agriculture (− 6 %), l’outre-mer (− 4 %), l’écologie (− 1 %) et la santé (− 0,8 %) ». Le travail (+ 1 %) et l’Éducation nationale (+ 0,5 %) « seront également concernés par une baisse de moyens », la hausse des crédits prévus étant inférieure à l’inflation.
Les ministres de Bercy ont aussi joint aux documents financiers une lettre qu’ils ont fait fuiter dans la presse afin d’occuper le terrain médiatique. C’est dans cette lettre que Bruno Le Maire et Thomas Cazenave ont avoué qu’un nouveau dérapage des finances publiques, après celui déjà intervenu fin mars, était à prévoir.
Mais comme d’habitude, ils n’y sont pour rien : le dérapage du déficit viendrait désormais des collectivités locales, assurent les deux ministres. « Le risque principal est lié à une augmentation extrêmement rapide des dépenses des collectivités territoriales, qui n’a pu être confirmée que fin juillet et pourrait à elle seule dégrader les comptes 2024 de 16 milliards d’euros par rapport au programme de stabilité 2024-2027 », est-il écrit dans la lettre que Mediapart a pu consulter.
Des mots qui ont eu le don d’irriter les élus locaux. L’Association des petites villes de France (APVF), notamment, déplore dans un communiqué « les accusations injustes formulées à l’encontre des collectivités territoriales. Elles ne sont en aucun cas responsables de la dégradation de la situation financière de la France ».
Les deux ministres ont aussi ajouté pour se défausser que « pour mémoire, l’État ne dispose d’aucun levier activable en cours d’année pour faire participer les collectivités à l’effort de redressement des comptes publics ».
Certes, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave concèdent tout de même que « les recettes de TVA, de l’impôt sur le revenu (IR) et de l’impôt sur les sociétés pourraient être moins élevées que prévu dans le programme de stabilité 2024-2027, compte tenu de l’évolution de la composition de la croissance, moins favorable aux recettes fiscales ».
Selon L’Opinion, à ce stade, le manque à gagner sur l’IR serait de 1,1 milliard d’euros par rapport à la loi de finances initiale, celui de la TVA de 2,7 milliards, et celui de l’IS de 3,2 milliards. Mais ces chiffres pourraient encore gonfler dans les prochaines semaines.
Dans le paquet de documents communiqués aux deux députés de la commission des finances, les ministres ont aussi intégré une note de la Direction générale du Trésor (DGT) datée du 17 juillet sur la trajectoire des déficits publics. Une note explosive.
Il y est en effet écrit que le déficit public devrait atteindre 5,6 % du PIB en 2024, au lieu des 5,1 % prévus. Et qu’il se creuserait à 6,2 % du PIB en 2025 – au lieu des 4,1 % prévus initialement – sans nouvelle mesure dans le prochain PLF.
Pour atteindre 4,1 % de déficit en 2025, il faudrait même économiser... 60 milliards d’euros, selon la DGT, citée par Éric Coquerel ; et 30 milliards d’euros pour atteindre un déficit de 5,2 % du PIB, un niveau que la Direction générale du Trésor pense pouvoir faire accepter à la Commission européenne, analyse le président de la commission des finances. Un point pas anodin : rappelons que Bruxelles a mis la France sous procédure de déficit excessif le 16 juillet.
La divulgation ultra-tardive de ces difficultés budgétaires a provoqué l’indignation générale. Le rapporteur de la commission des finances du Sénat Jean-François Husson (ex-Les Républicains) a fustigé notamment la « rétention d’informations » du gouvernement démissionnaire. « La situation est calamiteuse. On est au bord du précipice, les comptes publics sont dans le rouge violet », s’est-il indigné.
« Ne pas avoir transmis [la note de la DGT], c’est proprement méprisant. C’est très grave. L’exécutif se livre à des pratiques qui datent. Tout cela va finir par ressembler à un très grand mensonge d’État sur la réalité de la situation budgétaire de notre pays. La démocratie, ce n’est pas confisquer le débat », fulminait-il.
Informations dissimulées, budget d’austérité préétabli, nomination du futur gouvernement retardée... L’exécutif aura donc mis tout en place pour que son successeur soit contraint d’agir dans l’urgence et ne puisse pas remettre en cause en profondeur sa politique économique dans ce budget 2025. Le rejet catégorique d’Emmanuel Macron de nommer un gouvernement de gauche dès l’été peut aussi être lu à cette aune.
Mais même s’ils seront brefs, les débats budgétaires promettent d’être animés. Avec ses collègues du Nouveau Front populaire (NFP) à l’Assemblée nationale, Éric Coquerel préconisera à l’inverse de l’exécutif actuel d’accroître l’effort budgétaire, notamment dans la transition écologique, pour stimuler l’économie, tout réduisant les cadeaux fiscaux aux plus riches, quitte à faire dans un premier temps des déficits – « ce ne serait pas dramatique si cela permet de développer l’économie ».
Reste à savoir quelle sera l’obédience politique du gouvernement et la nature du texte budgétaire qu’il présentera. Mais une chose est sûre : tout devra se décider dans un temps extrêmement court.
Mathias Thépot
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