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Gérald Gérin a été condamné mardi 21 janvier pour avoir dissimulé au fisc un trust basé aux îles Vierges britanniques. Au cœur de l’affaire : près de 2 millions d’euros sous forme de lingots d’or, que la justice soupçonnait d’être la fortune cachée du fondateur du FN. https://www.mediapart.fr/journal/fr...[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20250122-192304&M_BT=1489664863989
Deux semaines après la mort de Jean-Marie Le Pen, son homme de confiance, Gérald Gérin, a été condamné pour avoir dissimulé au fisc un trust basé aux îles Vierges britanniques entre 2008 et 2015.
En 2015, Mediapart avait révélé l’existence de cette société offshore, gérée depuis la Suisse. Le service antiblanchiment Tracfin soupçonnait que ce trust, baptisé Balerton Marketing Limited et officiellement détenu par le majordome du fondateur du Front national (FN), abrite une partie de la fortune cachée de celui-ci.
Mardi 21 janvier, Gérald Gérin a été condamné par le tribunal correctionnel de Paris à deux ans de prison avec sursis pour fraude fiscale, fraude fiscale aggravée et blanchiment de ces délits, a rapporté l’Agence France-Presse (AFP). Un jugement qui va au-delà des dix-huit mois de prison avec sursis requis par le parquet lors du procès, le 9 décembre 2024.
L’ex-assistant personnel de Jean-Marie Le Pen, âgé de 51 ans, a également été condamné à cinq ans d’inéligibilité. Il n’écope pas d’une amende, mais le tribunal a ordonné la confiscation de plus de 1,9 million d’euros – un chiffre recalculé correspondant au montant des droits éludés sur l’ensemble de la période.
Il lui était également reproché d’avoir omis de déclarer ses revenus afin de se soustraire au paiement de l’impôt sur le revenu, de l’impôt sur la fortune et de la contribution exceptionnelle sur la fortune.
Contacté par Mediapart, Gérald Gérin, qui est également mis en cause dans l’affaire des assistants parlementaires européens, n’a pour l’instant pas donné suite. « Il a reconnu sa responsabilité pénale, il ne l’a pas niée », a réagi son avocat, François Wagner, qui est aussi l’un des conseils de la famille Le Pen. Auprès de l’AFP, il a évoqué « un possible appel ».
L’ancien majordome n’a pas toujours tenu ce discours. Au moment de nos révélations, il avait contesté être l’ayant droit du trust, nous expliquant même qu’il irait « demander des explications » à Jean-Marie Le Pen et à Marc Bonnant, l’avocat qui gérait le trust depuis Genève. Puis il avait fini par reconnaître le contraire au Monde, mais en assurant que cet argent n’avait « rien à voir avec Jean-Marie Le Pen » et qu’il était « pour [ses] vieux jours ».
Depuis le début de l’affaire, le flou persiste sur l’origine des fonds qui se trouvaient sur le compte en banque lié au trust (d’abord à la HSBC Guernesey aux Bahamas, puis, à partir de 2014, à la Compagnie bancaire helvétique) : 2,2 millions d’euros, dont 1,7 million sous forme de lingots et pièces d’or. À l’origine, Balerton Marketing Limited appartenait au beau-frère de Jean-Marie Le Pen, Georges Paschos, mort en 2008. Celui-ci a légué ses avoirs à son fils, puis, en 2014, le majordome de Le Pen a pris le relais.
Tracfin s’est interrogé sur « le degré d’autonomie » de ce fidèle parmi les fidèles de Jean-Marie Le Pen, ancien barman au Carlton de Nice devenu successivement, à partir de 1994, son majordome, son assistant parlementaire et le trésorier de ses micropartis (Cotelec, Promelec). La proximité entre les deux hommes était telle que Gérin fut logé à titre gracieux dans une annexe de la villa des Le Pen à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine) et disposait d’une procuration sur les comptes bancaires du fondateur du FN.
Dans son signalement à la justice, en 2015, le service de renseignement financier soulignait la « relation étroite » qui unissait Le Pen et Gérin et estimait « possible » que celui-ci « assume pleinement son rôle d’homme de confiance, jusqu’à intervenir comme prête-nom ». L’objectif de ce montage, estimaient alors les enquêteurs, pourrait avoir été de « dissimuler un patrimoine conséquent » et de « masquer délibérément l’origine et le bénéficiaire réel des fonds ».
Si Gérald Gérin semblait ne s’être pas rendu en Suisse, le couple Le Pen s’était beaucoup promené à Genève à des moments – hasard ou non – où des mouvements de fonds importants étaient enregistrés sur les comptes de la société offshore Balertone, avait relevé Tracfin.
Le procès de Gérald Gérin était l’un des volets de l’enquête judiciaire titanesque menée depuis 2013 sur le patrimoine de Jean-Marie Le Pen et de son épouse, Jany Paschos Le Pen. Les faits susceptibles d’être reprochés au couple Le Pen avaient quant à eux été disjoints, comme Mediapart l’avait révélé. Leur cas était suspendu à l’issue du contentieux avec l’administration fiscale et d’une possible transaction entre la Direction générale des finances publiques et les Le Pen – sachant qu’en cas de décharge de l’impôt, la justice ne pouvait pas envisager de poursuites.
Cette procédure judiciaire avait été déclenchée par un signalement de la Commission pour la transparence financière de la vie politique – ancêtre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Cet organisme, chargé de scruter les déclarations de patrimoine des parlementaires, avait tiqué sur un enrichissement suspect d’environ 1,1 million d’euros de Jean-Marie Le Pen entre le début et la fin de son mandat européen (2004-2009).
À l’époque, Jean-Marie Le Pen s’était montré serein : « Mon patrimoine est parfaitement transparent », « rien d’anormal n’est à signaler, comme à chaque fois ». Le fondateur du FN s’était crispé au moment de nos révélations sur le trust Balerton, en 2015, rétorquant qu’il n’était pas tenu de s’expliquer auprès d’« organes para-policiers chargés de semer la perturbation dans la classe politique ».
Au même moment, Mediapart avait dévoilé que son épouse, Jany Le Pen, avait elle aussi détenu des avoirs au Crédit suisse, à travers une petite société de gestion de fortune basée à Genève – le compte avait été fermé en 2008, et 200 000 euros rapatriés sur son compte bancaire français.
Parallèlement à l’enquête judiciaire sur des soupçons de « blanchiment de fraude fiscale », le fondateur du FN, sa femme et son majordome avaient fait l’objet d’une plainte du fisc pour « fraude fiscale aggravée ».
Lors des perquisitions menées au domicile et dans les bureaux de Jean-Marie Le Pen, les policiers avaient forcé six coffres-forts et découvert des prêts suspects et des pièces d’or, provocant sa colère : « C’est comme si j’étais la French Connection ou Bygmalion ! [...] Je ne sais pas de quelle fraude fiscale il s’agit. Je n’ai pas de compte bancaire en Suisse ! »
Cette affaire a relancé les interrogations sur la fortune réelle de Jean-Marie Le Pen, qui, depuis l’héritage du cimentier Hubert Lambert en 1976, a fait l’objet de nombreuses polémiques, sans que les énigmes soient percées.
Au moment de leur divorce houleux, en 1987, la première épouse de Jean-Marie Le Pen, Pierrette Lalanne, avait affirmé avec de nombreux détails que l’héritage Lambert comptait « une autre partie », « près de 40 millions de francs » (soit environ 6 millions d’euros), non déclarée, en Suisse. Une « légende », des « calomnies », a toujours rétorqué le fondateur du FN, assurant que « Mme Le Pen », de retour dans le manoir familial à Montretout depuis une quinzaine d’années, avait « démenti tout cela depuis longtemps ».
En 2015, Tracfin avait fait une découverte importante en se plongeant dans les premières années du trust Balerton. En 2004, c’est la banque suisse Lombard Odier Darier Hentsch & Cie qui alimente le compte de Balerton, à hauteur de 506 000 euros. Celle-là même qui aurait, selon les déclarations passées de Pierrette Lalanne, réceptionné les fonds suisses de l’héritage Lambert dans les années 1980.
Joint par Mediapart en 2022 et 2024, l’avocat de l’ancien président du FN, Frédéric Joachim, avait dénoncé une « manipulation totale » et accusait le Parquet national financier de « faire traîner » depuis plus de dix ans une enquête « vide », attendant « qu’elle s’éteigne par la mort de Jean-Marie Le Pen ». Le 7 janvier, celui-ci a disparu à 96 ans, emportant ses secrets dans sa tombe.
Marine Turchi
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