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D’accord avec vous, Guillaume, mais la foi que ces deux hommes ont eue ou ont en leur supériorité personnelle, leur haine de la démocratie, de la négociation, est le propre de quasiment tous les membres de leur classe sociale, partout dans le monde. Avant la 2nde Guerre mondiale, les grands patrons, les banquiers regardaient Hitler avec les yeux de Chimène. En France, le patronat préférait Hitler au Front populaire.
En revanche, je ne suis pas d’accord avec la conclusion de votre article. Ce ne sont pas seulement « les grands industriels charismatiques » qui sont si souvent fascistes. Même ceux n’ayant aucun charisme le sont. Et cela n’a pas à voir qu’avec leurs traits de caractère. Cela a aussi à voir avec ce qu’ils croient être les intérêts de leur classe. Peu leur importe, si, à la fin des fins, le fascisme ruine leurs intérêts. Ils parient toujours qu’ils vont gagner et que, même s’ils perdent, ils vont se refaire. Pour eux, le monde est un casino permanent. Peu leur importe de mettre en danger l’humanité entière. La défense de la nature et des autres espèces animales est le cadet de leurs soucis. Les plus fortunés font le pari d’aller vivre sur Mars.
Par définition, les capitalistes n’ont qu’un seul principe : gagner beaucoup beaucoup d’argent, comme disait Tapie. Peu importe par quel moyen. S’ils le peuvent dans le cadre de la démocratie, va pour la démocratie. Si la démocratie les entrave, va pour la dictature. Si la simple dictature ne suffit pas, va pour la dictature fasciste. Si le fascisme ne suffit pas, va pour le nazisme, va pour l’apartheid, va pour le colonialisme, va pour le grand remplacement des populations autochtones, comme aux USA ou en Océanie, va, va, va…...
En combinant la standardisation des pièces et la chaîne d’assemblage, Henry Ford avait révolutionné les Etats Unis puis le monde au début du 20ème siècle en permettant d’abaisser radicalement le prix des automobiles. Il n’avait cependant rien inventé ni l’automobile qui existait déjà depuis 50 ans ni la chaîne qui était déjà en usage notamment dans les abattoirs de Chicago. Son innovation de rupture a consisté à combiner de façon originale ces éléments existants.
Henry Ford avait fait le choix de payer ses salariés mieux que la moyenne pour qu’ils restent chez lui durablement et deviennent ainsi plus productifs grâce à l’expérience acquise. Cette combinaison de produits pas chers et de relativement hauts salaires fera que le système productif qui est devenu dominant après la seconde guerre mondiale a souvent été qualifié de "fordisme". Cette désignation était cependant largement trompeuse parce que Ford a toujours été un adversaire acharné du syndicalisme et de la négociation collective qui ont été au coeur du succès du fordisme. C’était un autocrate intégral et endurci.
Il était aussi un antisémite obsessionnel et un admirateur inconditionnel d’Hitler qu’il a soutenu très activement tant en Allemagne (où Ford avait des usines) qu’aux États-Unis où un parti pro nazi a été très puissant avant guerre. Ford, devenu très populaire grâce à ses voitures peu chères, avait même failli être candidat républicain aux elections présidentielles américaines de 1924 pour représenter cette sensibilité raciste et antisémite très présente aux États-Unis à l’époque.
Elon Musk n’a pas un profil très différent. Il a été élevé et socialisé dans une famille de la bourgeoisie blanche de l’Afrique du Sud de l’apartheid avant de commencer à faire du business aux États-Unis comme immigrant illégal (il n’avait alors qu’un visa étudiant).
Il n’a rien inventé non plus. Ni pour Paypal, ni pour SpaceX, ni pour Tesla et encore moins pour Twitter. Mais il a réussi à faire prospérer ces différentes affaires avec un management très autoritaire (et tout aussi antisyndical que celui de Ford) et un volontarisme de fer combiné à une forte exposition dans le débat public, bousculant des marchés qui semblaient jusque-là relativement figés que ce soit dans la finance, l’espace, l’automobile ou l’information.
Devenu l’homme le plus riche du monde, il a soutenu très activement Donald Trump, le représentant moderne des idées les plus autoritaires et réactionnaires aux États-Unis, à défaut de pouvoir être lui-même candidat à la présidence (il faut être né aux États-Unis).
Pourquoi les industriels innovants et charismatiques comme Ford et Musk sont-ils si souvent tentés par le fascisme ?
On met en avant bien souvent leur intérêt financier. Ils ont évidemment gagnants à court terme à des baisses d’impôts et de "charges". Mais le libéralisme économique autoritaire n’est pas véritablement dans leur intérêt à moyen terme sur le plan strictement économique parce qu’il détruit la demande en apauvrissant les peuples et en démolissant les infrastructures collectives indispensables (éducation de qualité, système de santé efficace, système judiciaire fiable, environnement sain...) au succès durable de leur business.
Le fascisme et le nazisme ont détruit les économies allemande et italienne et le succès de ce qu’on appelle très improprement le "fordisme" après la seconde guerre mondiale au cours des 30 glorieuses s’est fait en réalité en opposition totale avec les idées de Ford avec des dépenses publiques en forte hausse et de la négociation collective généralisée...
Si ces industriels de premier plan sont si souvent spontanément fascistes c’est plutôt surtout parce qu’ils sont fondamentalement opposés à toute forme de démocratie. Ils sont convaincus d’avoir eu raison tous seuls dans leur propre entreprise pour la conduire au succès et que la même chose doit se passer dans la société : un homme fort (et blanc) doit décider seul pour le bien du pays.
Ils ne croient pas un instant non plus qu’il puisse exister quelque chose comme une égalité entre les humains. Ils se pensent eux-mêmes comme très supérieurs aux autres et considèrent que seuls des êtres de leur trempe sont aptes à gouverner les sociétés comme les entreprises. Et quand en plus ils ont été socialisés dans des environnements profondément racistes comme Ford et Musk, cette haine de l’égalité prend aisément les formes les plus détestables. Quant à la fraternité, cette notion leur est évidemment totalement étrangère. Ils ont toujours appréhendé le monde uniquement comme une jungle hostile où seule compte la lutte de tous contre tous.
Bref, si les grands industriels charismatiques sont si souvent fascistes, ce n’est pas tant du fait de leurs intérêts, que le fascisme ruine en réalité le plus souvent, que des traits de caractère qui les ont amenés à la tête de leurs entreprises.
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