Fascisme et grand capital (Daniel Guérin, extrait)

lundi 30 août 2010.
 

Si le fascisme n’est pas progressif politiquement, il ne l’est pas davantage, contrairement à ce que pensent certains, économiquement. Dégagé de toutes les apparences, de toutes les contradictions qui en obscurcissent le vrai visage, de tous les aspects secondaires qui en dissimulent à tant de gens les aspects essentiels, compte tenu enfin des particularités de chaque pays, le fascisme consiste en l’instauration d’un État fort destiné à prolonger artificiellement le régime économique basé sur la propriété privée des moyens de production et sur le profit. Suivant la formule imagée de Radek, la dictature fasciste, « ce sont des cercles de fer avec lesquels la bourgeoisie essaie de consolider le tonneau défoncé du capitalisme »1.

Ici il n’est pas inutile de répéter cette précision : le « tonneau » n’a pas été défoncé, contrairement à ce qu’on croit souvent, par l’action révolutionnaire de la classe ouvrière ; le fascisme n’est pas la « réponse de la bourgeoisie à une attaque du prolétariat », mais bien plutôt « l’expression de la décadence de l’économie capitaliste »2. Le tonneau s’est défoncé lui-même.

Le fascisme est, bien sûr, une réaction défensive de la bourgeoisie, mais une défense contre la désintégration de son propre système beaucoup plus que contre toute offensive prolétarienne - malheureusement inexistante. La crise du système capitaliste lui-même est ce qui a ébranlé le capitalisme dans ses fondations par l’assèchement des sources de profit. La classe ouvrière, d’autre part, paralysée par ses organisations et ses dirigeants à l’heure de la décadence de l’économie capitaliste, ne savaient pas comment prendre le pouvoir et remplacer le capitalisme en train de mourir par le socialisme.

Capitalisme en décadence

Quant à la nature de cette crise, le fascisme lui-même n’a pas d’illusions. "La crise", admet Mussolini », a pénétré dans le système si profondément qu’il est devenu une crise systémique. Il ne s’agit plus d’une blessure, mais une maladie chronique ... »

En dépit du fait que le fascisme fait démagogiquement des promesses de réabsorption du chômage et de reprise des affaires, il sait parfaitement bien que la machine économique ne va pas de nouveau se mettre en marche. Il ne cherche pas sérieusement, soit à ramener à la vie le consommateur disparu, ni à stimuler l’investissement arrêté par la longue interruption de l’entrée de l’épargne privée dans la production. D’autres sont libres de croire aux utopies s’ils le souhaitent, mais le fascisme, lui, sait ce qu’il veut et ce qu’il peut en faire. Il essaie simplement d’enrayer, par des moyens artificiels, la chute des bénéfices du capitalisme privé, qui est devenu parasitaire. Malgré sa démagogie verbeuse, il n’a pas beaucoup de projets ni de modèles ; il vit à la petite semaine et n’aspire à rien d’autre qu’à maintenir en vie - par le biais de réductions de salaires, par des commandes et des subventions d’Etat, par la saisie de petites économies, et par l’autarcie - une poignée de monopoles et de grands propriétaires terriens. Et afin de prolonger le règne de ces derniers (mais en limitant leur liberté et sans assurance de retrouver leurs revenus d’avant la dépression), il n’hésite pas à accélérer la ruine de toutes les autres couches de la population - les salariés, les consommateurs, les épargnants, les salariés agricoles, les artisans, les petits industriels et même les consommateurs des biens.

Aux personnes naïves qui, vivant hors d’Allemagne et d’Italie, pourraient tomber dans le pièges de la démagogie fasciste et croire que le fascisme est une « révolution » et qu’il a « dépassé » le capitalisme, il est conseillé de lire la lettre suivante de un travailleur publié par le quotidien nazi, le Völkische Beobachter (7 Juin 1936) :

“S’il est vrai que les méthodes de financement public ont pris un caractère différent - un caractère de contrainte - les capitaux propres, ou du moins ce que l’on entend généralement par ce mot, n’ont jamais été aussi puissants et privilégiés qu’à l’heure actuelle ... L’économie accumule d’énormes bénéfices et des réserves, les travailleurs sont invités à attendre avec comme lot de consolation des le droit d’attendre et d’espérer. Les plus gros font du profit, et les plus petits reçoivent des espoirs d’avenir. » "Ce n’est pas le national-socialisme, c’est tout simplement le capitalisme", a écrit un autre correspondant à la Völkische Beobachter le 13 Juin.

Et l’organe officiel du parti nazi a cyniquement répondu que si le gouvernement a voulu diviser les travailleurs entre les deux milliards d’entre les grandes entreprises de la rentabilité, il aurait lui-même "en opposition flagrante à l’économie, et son énergie aurait été totalement paralysé dans une lutte pour maintenir sa position. "

(…) En outre, sur le plan international, le fascisme seulement aggrave la tendance de l’ensemble du système capitaliste à l’autarcie et l’isolement national. (…) Dans le même temps, le fascisme et aggrave la porte à leur plus haut degré de tension les contradictions résultant du développement inégal du système capitaliste, et donc d’accélérer l’heure d’une nouvelle division du monde par la force des armes - que l’heure de "rechute dans la barbarie "Rosa Luxembourg, qui prévoit dans le cas où le prolétariat doit être lent à remplir son devoir de classe et de réaliser le socialisme. Néanmoins, il n’est pas exact de dire que le fascisme, c’est la guerre. Bela Kun, il n’y a pas longtemps, s’est attaqué à se mensonge tendancieux : "Le slogan selon lequel le fascisme, qui est l’une des formes politiques de l’État bourgeois ... c’est la guerre, a été conçu ... à l’usage et sous la responsabilité l’un des groupes de puissances impérialistes qui masquent leurs préparatifs de guerre sous des formes démocratiques et des phrases pacifistes... Le vieux slogan marxiste de l’anti-militarisme - celui de la lutte révolutionnaire contre la guerre impérialiste - était exprimé différemment : le capitalisme, c’est la guerre".

La guerre est le produit du système capitaliste dans son ensemble

Demain, la guerre ne trouvera pas en face d’elle des démocraties s’opposant à la dictature. Demain, la guerre trouvera face à face les nations repues, qui ont depuis longtemps leur "place au soleil", et qui se sont répartis de la planète entre eux par le sang et le fer, contre les nations « prolétaires » - les nouveaux venus qui demandent également leur part dans le fête, si besoin est par le sang et le fer. Un groupe est prêt à faire la guerre à la force d’une nouvelle division du monde, l’autre est prêt à faire la guerre pour empêcher ce repartage. C’est une vérité qui ne peut jamais être répétée trop souvent en ces temps troublés où, pour de nombreuses personnes, la lutte contre le fascisme est devenue synonyme de chauvinisme. Le fascisme doit être combattu non pas de l’extérieur, par la guerre impérialiste, mais de l’intérieur par la lutte de classe prolétarienne. Il n’y a qu’un seul moyen de mettre un terme à Mussolini et Hitler : qui est d’aider les travailleurs italiens et allemands pour lutter contre à la maison. Et comment peuvent-ils être aidés ? Par l’exemple ! En combattant dans notre propre pays !

(…) Tout d’abord, le grand capital ne songe pas encore à pousser le fascisme à la conquête du pouvoir. Il ne se sert des bandes fascistes à sa solde qu’en tant que milice antiouvrière. Au lendemain de la guerre 1914-1918, le patronat a dû, pour éviter une véritable révolution sociale, faire à la classe ouvrière des concessions importantes. Décidé à reprendre un jour ces concessions, il a l’idée, résolument novatrice, de confier à des bandes armées et militarisées, spécialisées dans la lutte antiouvrière, le soin de harceler le prolétariat organisé et d’affaiblir sa résistance. Les grands propriétaires fonciers se joignent à eux. Ces derniers tiraient leurs revenus de l’exploitation illimitée du prolétariat rural : ils ont dû, eux aussi, jeter du lest et ils sont impatients de regagner le terrain perdu. (…)

En Allemagne, on assiste, au lendemain de la première guerre mondiale, à un essor révolutionnaire des masses ouvrières et paysannes. Lorsqu’en novembre 1918 s’effondre le militarisme prussien, en quelques heures surgit spontanément un nouvel ordre des choses : les conseils d’ouvriers et de soldats, transposition allemande des soviets russes. Pendant quelques jours, les « conseils » sont la seule autorité légale existant dans le Reich. Dans chaque ville, l’assemblée des « conseils » d’ouvriers et de soldats délègue ses pouvoirs à un conseil exécutif. A Berlin, le gouvernement central des « commissaires du peuple » n’est que l’émanation du comité exécutif des « conseils » berlinois.

La trahison de la social-démocratie d’une part, le manque d’éducation et de trahison révolutionnaire des masses d’autre part, abrègent l’expérience ; et, rapidement, la république des « conseils » doit céder le pas à une république bourgeoise démocratique. Mais au sein de cette république, les ouvriers et les paysans conquièrent des avantages politiques et économiques importants : extension du suffrage universel aux deux sexes, journée de huit heures, généralisation des contrats collectifs, assurance-chômage, « conseils d’entreprise » élus, etc. (…) Pendant quelques jours, les magnats de l’industrie lourde ont senti passer le frisson de l’expropriation. Mais ils se ressaisissent vite et la peur éprouvée ne fait que décupler leur volonté de revanche. Les concessions qu’ils ont dû faire à la classe ouvrière, pour éviter une véritable révolution sociale, ils sont bien décidés à les reprendre un jour. (…) Fritz Thyssen déclare en 1924 : « La démocratie chez nous, cela ne représente rien. » (…) Une autre raison pousse, au lendemain de la première guerre mondiale, les magnats allemands à subventionner des bandes armées. L’impérialisme allemand, venu trop tard, a échoué dans sa tentative de provoquer par les armes un nouveau partage du monde. Le traité de Versailles l’a privé de sources de matières premières et d’importantes régions industrielles (Lorraine, Haute-Silésie, Sarre, etc.), ainsi que de son domaine colonial.

L’Allemagne est contrainte de désarmer et condamnée à payer aux vainqueurs, à titre de « réparations » la somme astronomique de 132 milliards de marks-or. Les magnats de l’industrie lourde, à la fois pour reconquérir les débouchés perdus, tourner l’obligation du désarmement qui les prive d’une source énorme de profits, se débarrasser du fardeau des réparations qui pèse sur leurs prix de revient, engagent l’Allemagne dans une politique extérieure agressive et nationaliste. Agissant par-dessus la tête du gouvernement du Reich, ils subventionnent des bandes armées, composées de démobilisés et d’aventuriers. (…) Le 25 septembre 1923, toutes ces « ligues de combat » sont fusionnées en une organisation unique, à la tête de laquelle est placé Adolf Hitler. (…)

De 1924 à 1929, les magnats de l’industrie lourde subventionnent juste assez les bandes fascistes pour qu’elles ne disparaissent pas. Ils n’en ont plus, en effet, un besoin immédiat et tiennent seulement à les conserver en réserve. C’est que, pendant ces années, ils s’engagent dans une gigantesque entreprise de réorganisation industrielle avec l’aide de capitaux étrangers. Cette entreprise exige – provisoirement – une politique de collaboration : collaboration à l’extérieur avec l’Entente, avec la finance anglo-saxonne ; collaboration à l’intérieur avec les organisations ouvrières. Quand le mark est définitivement stabilisé et que le plan Dawes entre en vigueur, les capitaux américains commencent à affluer en Allemagne. Jusqu’en 1931, le « plus énorme investissement de l’histoire financière » se poursuit. Il atteindra le chiffre de 30 milliards de marks-or.

Mais cette audacieuse opération aboutit à une catastrophe économique, également sans précédent. Avec les dollars empruntés à des taux très élevés, l’industrie allemande a accru son potentiel de production d’un tiers. Elle s’est équipée pour pourvoir aux besoins du monde entier. Mais il ne lui manque qu’une seule chose : le consommateur. (…) Et brutalement, au moment où la mise en œuvre des moyens de production nouveaux est achevée, où les produits finis commencent à s’entasser dans les usines, l’acheteur étranger se dérobe ; la crise commence. (…) Les magnats de l’industrie lourde sont particulièrement frappés par ce désastre (…) Ils en sont arrivés au point où seul le secours de l’Etat peut ressusciter artificiellement leurs profits : à l’Etat de les aider à réduire les salaires ouvriers, relevés au temps de la prospérité apparente de la « rationalisation » ; mais, pour diminuer les salaires, il faut d’abord briser le système des contrats collectifs, lesquels s’appliquent en 1931 à 10 millions d’ouvriers et à peu près deux millions d’employés ; il faut réduire à l’impuissance, non seulement l’organisation syndicale mais son prolongement au sein de l’usine, le conseil d’entreprise. (…) Reste une solution : que les magnats de l’industrie lourde (…) remettent la direction de l’Etat à des hommes à poigne. C’est pourquoi ils tirent le national-socialisme de l’obscurité dans laquelle il avait végété depuis si longtemps, ils le lancent à la conquête du pouvoir. Fritz Thyssen, qui n’a jamais cessé d’appuyer son ami Hitler, le vieil Emil Kirdorf, maître du puissant consortium métallurgique Gelsenkirchen qui a été l’ « admirateur » de Hitler depuis 1927, d’autres encore élèvent le chiffre de leurs subventions. (…) A partir de l’été 1930, la plupart des magnats de l’industrie lourde – et des banquiers qui lui sont liés – subventionnent le parti national-socialiste. Ils lui fournissent les moyens matériels imposants qui lui permettent de remporter la victoire électorale de septembre 1930 et de conquérir 107 sièges au Reichstag. Beaucoup plus tard, évoquant dans un discours le souvenir de cette « étonnante campagne », Hitler invitera ses auditeurs à songer à « ce que cela signifie lorsque mille orateurs ont chacun une voiture automobile à leur disposition et peuvent tenir en une année cent mille réunions publiques ». En 1931 et en 1932, les subventions continuent de pleuvoir, toujours plus abondantes dans les caisses du « NSDAP ». (voir Heiden Konrad, Histoire du national-socialisme). (…)

Le 4 janvier 1933, l’accession de Hitler au pouvoir est décidée au cours d’une entrevue entre Papen et Hitler, dans la maison d’un gros banquier de Cologne, von Schroeder, qui a des attaches avec l’industrie lourde rhéno-westphalienne. (rapporté par Benoist-Méchin dans son Histoire de l’armée allemande). Le 30 janvier, le chancelier Schleicher passe la main et c’est l’ensemble du capitalisme allemand qui tient sur les fonds baptismaux le Troisième Reich.

(…) Tout l’art du fascisme consiste à se dire anticapitaliste sans s’attaquer sérieusement au capitalisme. Il s’emploie d’abord à transmuer l’anticapitalisme des masses en nationalisme. De temps à temps, l’hostilité des classes moyennes à l’égard du grand capitalisme va de pair avec un attachement tenace à l’idée de nation. (…) Le fascisme préserve ses bailleurs de fonds de la colère populaire en détournant l’anticapitalisme des masses vers la « ploutocratie internationale ». (…) L’antisémitisme trouve en Allemagne un terrain favorable. Numériquement les juifs ne constituent pas plus de un pour cent de la population. Mais, au lendemain de la première guerre mondiale, un afflux soudain de plus de cent mille immigrés juifs venant de Pologne, d’Ukraine, de Lituanie a réveillé la question juive. (…) A la tête des banques, il y a assez de juifs pour que l’identification entre la haute finance et le judaïsme soit facilement acceptée par les masses. A la tête des grands magasins et magasins à prix uniques, il y a assez de juifs pour que la colère des petits boutiquiers se porte contre la « race ». A la tête de la finance anglo-saxonne, il y a assez d’israélites pour que l’Allemagne, sa débitrice, apparaisse comme l’esclave de la « juiverie mondiale ». Parmi les spéculateurs qui réalisent des coups fructueux à la Bourse, il y assez de juifs pour que les petits épargnants les rende responsables de leur ruine. Les partis « marxistes » ont à leur tête assez de leaders juifs, remuants et brillants, pour que l’on invente une prétendue collusion du capitalisme et du marxisme… « Le socialisme ne peut être accompli que contre les juifs » écrit Goebbels. (…)

Le fascisme, pourtant, ne peut éviter, sous peine de se démasquer, de mettre en cause le capitalisme industriel lui-même. Mais, ici encore, son anticapitalisme reste bien en deçà du socialisme prolétarien. (…) A l’origine, les bandes fascistes ont le caractère de milices antiouvrières, auxquelles les magnats capitalistes et les hobereaux confient le soin de harceler le prolétariat organisé, de réduire sa capacité de résistance. (…)

On assiste, immédiatement au lendemain de la première guerre mondiale, à une floraison de ligues antiouvrières composées d’anciens officiers démobilisés, d’aventuriers et d’hommes de main. Ce sont ces « corps francs » qui contribuent à l’écrasement de la Commune de Berlin (janvier 1919), de la Commune de Munich (avri 1919), qui terrorisent les ouvriers agricoles de Poméranie (été 1919), les ouvriers de la Ruhr (printemps 1921). Ce sont eux qui, de 1919 à 1923, exécutent tous les assassinats dont sont victimes des hommes politiques de gauche.

Le parti national-socialiste qui n’était à l’origine qu’une de ces nombreuses « ligues de combat » finit, comme en Italie, par absorber toutes les autres. (…) Hitler se crée une petite troupe à laquelle il donne le nom de « service d’ordre » et qu’il dresse à porter la perturbation dans les réunions publiques de ses adversaires (été 1920). Le 4 janvier 1921, il déclare devant la foule assemblée dans la brasserie Kindl « que le mouvement national-socialiste empêchera à l’avenir, au besoin par la force, toutes réunions ou conférences propres à exercer une influence déprimante. »

Sa tactique, comme celle des « chemises noires » (de Mussolini), est essentiellement offensive : une poignée d’hommes audacieux et prêts à tout font irruption au sein de la foule ouvrière et grâce à leur cohésion, à leur action foudroyante et brutale, restent maîtres du terrain. (…) A la réunion de la Hofbraühaus, le 4 novembre 1921, le « service d’ordre »se surpasse. (…) Sept à huit cent socialistes ont été roués de coups et jetés dehors de la salle par une cinquante de nazis. (…) Depuis la bataille de la Hofbraühaus, le « service d’ordre » a reçu le titre, plus significatif, de « section d’assaut » (Sturm-Abtelung) que l’on désigne bientôt par les seules initiales S.A. Plus tard, en août 1923, Hitler se constitue une garde personnelle : les « troupes de choc de Hitler » ; c’est le noyau d’où sortirontles « colonnes de protection » (Schultz-Staffel) ou, en abrégé : S.S.

(…) A partir de 1930, la lutte se transporte dans la rue : les miliciens bruns provoquent et assassinent sur la voie publique leurs adversaires ouvriers. Il ne se passe pas de dimanche sans bagarre sanglante. Les forces répressives de l’Etat appuient et arment les bandes fascistes. A la fin de 1930, le général von Schleicher a une entrevue très amicale avec le capitaine Roehm, chef des S.A. : il se déclare tout à fait favorable aux sections d’assaut, à la seule condition qu’elles n’empiètent pas sur les attributions de la Reichswehr. L’Etat-Major autorise les jeunes miliciens à s’entraîner sur les terrains militaires, charge des instructeurs militaires de les instruire. (…)

Comment le mouvement ouvrier se défend-il, au cours de cette première phase, contre les bandes fascistes ? Dans les débuts, la tactique audacieuse, militaire des « chemises brunes » le surprend et sa riposte est faible. Mais, très vite, il se serait adapté, spontanément, à la tactique de l’adversaire, si ses chefs – par crainte de l’action directe – ne s’étaient employés à freiner systématiquement sa volonté de lutte. Gardons-nous de répondre aux violences fascistes ! larmoient les chefs réformistes, nous dresserions l’ « opinion publique » contre nous. Evitons surtout de constituer des groupes de combat, des formations paramilitaires, car nous risquerions de nous aliéner les pouvoirs publics, ces pouvoirs publics auxquels nous faisons confiance pour dissoudre les formations paramilitaires du fascisme ! N’empruntons pas au fascisme ses propres armes, car sur ce terrain nous sommes battus d’avance !

Cette tactique légaliste et défaitiste a pour résultat de démoraliser la classe ouvrière, en même temps qu’elle accroît chez l’adversaire l’audace, la confiance en soi, le sentiment de son invincibilité. Si, dès leurs premiers exploits, les bandes fascistes s’étaient heurtées à une résistance prolétarienne organisée, avaient subi de dures représailles, elles y auraient regardé à deux fois avant d’entreprendre des « expéditions punitives » ou des descentes dans les meetings prolétariens. Elles auraient moins facilement recruté. Et, par contre, les succès remportés par le prolétariat dans la lutte antifasciste lui auraient rendu ce dynamisme qui, précisément, lui a manqué. (…)

Hitler avouera, rétrospectivement : « Un seul danger pouvait briser notre développement : si l’adversaire en avait compris le principe et si, dès le premier jour, avec la plus extrême brutalité, il avait brisé le noyau de notre nouveau mouvement. » (discours au congrès de Nuremberg, le 3 septembre 1933) et Goebbels : « Si l’adversaire avait su combien nous étions faibles, il nous aurait probablement réduits en bouillie. (…) Il aurait écrasé dans le sang les premiers débuts de notre travail. » (dans « Combat pour Berlin »)

Mais le national-socialisme n’a pas été écrasé dans l’œuf. Il est devenu une force. Et pour résister à cette force, les socialistes allemands ne conçoivent qu’une seule tactique : faire confiance à l’Etat bourgeois, demander aide et protection à l’Etat bourgeois. Leur leitmotiv est : Etat, interviens ! Ils comptent non sur eux-mêmes, sur la combativité des masses, mais sur la police prussienne – qu’ils croient contrôler puisque en Prusse un cabinet socialiste est au pouvoir -, sur la Reichswehr (l’armée), sur le président Hindenburg ; ils attendent des pouvoirs publics la dissolution des sections d’assaut. En avril 1932, le général Groener, ministre de Brüning, leur donne une satisfaction éphémère : il interdit les S.A. (…) Le 30 mai, le nouveau chancelier, von Papen, s’empresse d’autoriser à nouveau les sections d’assaut, de destituer le gouvernement socialiste de Prusse, c’est-à-dire d’enlever à celui-ci le contrôle de la police.

Sans doute, les socialistes possèdent-ils, depuis 1924, une milice antifasciste, le Reichsbanner, aux effectifs très importants. Cette milice, ils la font défiler au cours de parades impressionnantes, mais ils se refusent systématiquement à l’engagement dans l’action. A chaque occasion où elle pourrait se mesurer avec les bandes fascistes, ils la retirent du théâtre des opérations : c’est ainsi que le 22 janvier 1933, lorsque les nazis défilent devant la Maison Karl-Liebnecht, siège du parti communiste, les sections du Reichsbanner sont appelées, comme par hasard, à faire une longue marche d’entraînement hors de Berlin. Non seulement les chefs du Reichsbanner fuient la bataille, mais ils se laissent désarmer comme des moutons par la police de von Papen. (…)

Les communistes, également, possèdent une milice antifasciste : la « Ligue des combattants du Front Rouge ». De 1929 à 1931, leur mot d’ordre a été : « Frappez les fascistes partout où vous les trouvez. » Et, avec courage, les « combattants du Front Rouge » ont riposté aux milicians bruns ; ils ont même, à maintes reprises, attaqué leurs locaux, leurs casernements. Mais, à partir de 1931, le parti renonce brusquement à la lutte physique contre les bandes fascistes. Le formule « Frappez les fascistes » fut condamnée. La lutte physique fut abandonnée pour la « lutte idéologique ». (…) Lorsque les sections d’assaut annoncent leur intention de défiler, le 22 janvier 1933, devant la Maison Karl-Liebnecht, les chefs du parti supplient le ministère de l’intérieur d’interdire la démonstration nazie. (…) Par contre, les groupes de combat, qui étaient prêts à la riposte, reçoivent l’ordre formel de ne pas intervenir et doivent obéir, la rage au cœur. Non seulement cette tactique laisse les ouvriers désarmés devant les bandes armées du fascisme, mais elle les démoralise. N’ayant pas la permission de se battre, les « combattants du Front Rouge, qui ne sont pas tous des militants conscients, passent en grand nombre, par besoin d’action, dans les sections d’assaut. D’autres communistes croient habile de revêtir la chemise brune avec le propos de « noyauter » les S.A.

A un moment donné, les magnats capitalistes ne se servent plus seulement des « chemises noires » ou des « chemises brunes » comme des milices antiouvrières ; ils lancent le fascisme à la tête de l’Etat. (…) Le fascisme, à partir du moment où il se lance à la conquête du pouvoir, a déjà l’assentiment de la fraction la plus puissante de la bourgeoisie capitaliste. Il est assuré, en outre, de la complicité des chefs de l’armée et de la police, dont les liens avec ses bailleurs de fonds sont étroits. (…) Le fascisme sait donc qu’en réalité la conquête du pouvoir n’est pas pour lui une question de force. (…) Il lui faut s’armer de patience (…) donner l’impression qu’il est porté au pouvoir par un vaste mouvement populaire et non pas simplement parce que ses bailleurs de fonds, parce que les chefs de l’armée et de la police sont prêts à lui livrer l’Etat. (…) Mais, d’un autre côté, le fascisme doit donner l’illusion à ses troupes de choc, à ses miliciens, qu’il est un mouvement « révolutionnaire », que, tout comme le socialisme, il se lance à l’assaut de l’Etat ; que seuls la vaillance, l’esprit de sacrifice de ses « chemises noires » ou de ses « chemises brunes », lui assureront la victoire. (…) Mais le jour où sa tactique légaliste lui a permis de rassembler autour de lui les larges masses indispensables, où toutes les conditions psychologiques sont remplies, alors, sans coup férir, le plus légalement du monde, il s’installe dans l’Etat : le tour est joué. (…)

Les socialistes et les communistes allemands se refusent à croire au triomphe du national-socialisme. Mieux : ils en annoncent périodiquement la déconfiture. Les socialistes poussent à tout propos des cris de triomphe : en août 1932, parce que le président Hindenburg a repoussé les exigences de Hitler ; au lendemain des élections du 6 novembre, parce que les suffrages remportés par les nazis marquent un recul ; à cette date, le Vorwärts écrit : « Voilà dix ans que nous avons prévu la faillite du national-socialisme ; noir sur blanc, nous l’avons écrit dans notre journal ! » Et, à la veille de l’accession de Hitler au pouvoir, un de ses leaders, Schiffrin, écrit : « Nous ne percevons plus que l’odeur de cadavre pourri : le fascisme est définitivement abattu ; il ne se relèvera plus. »

Les communistes ne sont guère plus perspicaces. Au lendemain de l’élection du 14 septembre, le Rote Fahne écrit : « Le 14 septembre fut le point culminant du mouvement national-socialiste en Allemagne. Ce qui viendra après ne peut être qu’affaiblissement et déclin. » En 1932, Thälmann s’élève contre « une surestimation opportuniste du fascisme hitlérien » (…) Au lendemain des élections du 6 novembre, on lit dans le Rote Fahne : « Partout, il y a des S.A. qui désertent les rangs de l’hitlérisme et se mettent sous le drapeau communiste. » (…)

Mais quelle tactique le prolétariat organisé pouvait-il opposer au fascisme en marche vers le pouvoir ? N’oublions pas que le fascisme conquiert le pouvoir légalement. Des milices ouvrières, indispensables pour battre les bandes fascistes lorsque celles-ci ne jouaient que le rôle de « milices antiouvrières » ne suffisent plus à empêcher le fascisme de gagner des sièges au Parlement, de conquérir l’opinion, de s’introduire dans l’Etat par voie légale. Une simple « grève générale de protestation », même déclenchée sur toute l’étendue du territoire, ne peut davantage barrer la route du pouvoir au fascisme – à moins qu’elle ne soit le point de départ d’une offensive révolutionnaire. (…) Alors, que pouvait le prolétariat organisé ? A partir du moment où le fascisme marche vers le pouvoir, le mouvement ouvrier ne dispose plus que d’une seule ressource : gagner le fascisme de vitesse, s’emparer avant lui du pouvoir. (…) Les partis prolétariens ne se montrent nullement révolutionnaires. (…) Quant à l’ADGB allemande (centrale syndicale), elle a empêché ses adhérents de combattre les décrets-lois de Brüning, sous le prétexte qu’en défendant leur pain quotidien ils mettraient en danger le gouvernement Brüning et que Brüning valait mieux que Hitler. Cette tactique du « moindre mal » a démoralisé profondément les travailleurs.

Aussi quand le fascisme entreprend la conquête du pouvoir, le mouvement ouvrier se montre-t-il comme paralysé, incapable de le gagner de vitesse. (…)

En Allemagne, les chefs réformistes adjurent Hindenburg et la Reichswehr de « faire leur devoir », de ne pas livrer le pouvoir à Hitler. (…) Dix jours avant l’accession de Hitler au pouvoir, le bureau de l’ADGB rend visite au président Hindenburg. Les chefs syndicaux « se cramponnent aux instances de l’Etat. Ils espèrent toujours l’aide du président du Reich. » (…) Quant aux communistes, malgré leur verbiage révolutionnaire, ils s’abritent derrière l’excuse que les réformistes ne veulent rien faire et ne font rien non plus. (…)

Hitler, lorsqu’il est nommé par le président Hindenburg chancelier du Reich, comprend également qu’il serait malavisé de brûler les étapes. Les forces des partis ouvriers, de l’ADGB, sont intactes. L’avènement brusqué d’une dictature pourrait pousser le prolétariat à la grève générale, à l’insurrection armée. Mieux vaut endormir l’adversaire en faisant semblant de respecter la constitution. (…) Mais tandis que Hitler joue le rôle du loup déguisé en agneau, son ami Goering prépare fébrilement le coup de force. (…) Maître de la police prussienne, il commence à l’épurer. Tous les éléments « républicains » depuis le préfet de police de Berlin jusqu’au plus petit inspecteur de police criminelle sont congédiés, remplacés par des nazis éprouvés. Un décret-loi du 4 février donne pratiquement à la police le moyen d’interdire tout journal ou toute réunion publique adverse. Goering promet de couvrir personnellement tous les agents de police qui feraient usage de leurs armes contre les « rouges ». Par un autre arrêté, il adjoint à la « Schupo » une « police auxiliaire » de 50.000 hommes recrutés parmi les S.A. et les S.S.

Et, en même temps, il encourage, en sous-main, ses bandes à continuer la lutte sanglante contre le prolétariat : partout les nazis s’attaquent à leurs adversaires, envahissent leurs locaux, sabotent leurs réunions publiques. A Berlin, ils guettent la nuit les ouvriers qui reviennent dans leurs quartiers, les assomment ou les assassinent. (…)

Impossible d’ajourner le coup de force jusqu’au lendemain des élections.

Sans coup de force, pas de majorité absolue. Avant le 5 mars, date du scrutin, il faut à tout prix frapper l’imagination des indécis, terroriser les récalcitrants au moyen de quelque évènement extraordinaire. (…) La méthode : se servir d’un prétendu putsch communiste pour violer la légalité et déclencher contre le prolétariat une offensive foudroyante. (…) Le 24 février, la police se livre à une perquisition monstre au siège du parti communiste. (…) Enfin, dans la nuit du 27 au 28 février, les hommes de Goering incitent un naïf terroriste à mettre le feu au Reichstag. Aussitôt le gouvernement présente l’incendie comme le signal d’une insurrection communiste et, sans perdre un instant, fait signer par le président du Reich un décret-loi abolissant toutes les libertés constitutionnelles, proclamant l’ « état d’exception ».

Dans les quarante-huit heures, tous les pouvoirs passent à la police. Les miliciens devenus « policiers auxiliaires » assomment, torturent, assassinent les militants ouvriers. Les réunions électorales des partis antifascistes sont interdites, les députés communistes arrêtés. Grâce à cette mise en scène et à cette terreur, les nazis remportent aux élections du 5 mars une éclatante victoire : ils obtiennent de 288 mandats. Et, pour disposer de la majorité absolue, il leur suffit de mettre hors la loi le parti communiste, d’envoyer un certain nombre de députés socialistes dans les camps de concentration. (…) Deux mois après, les partis ouvriers, les syndicats sont dissous ou « mis au pas ».

Au cours de cette dernière phase, que fait le prolétariat organisé ?

Comment tente-t-il de résister ? les chefs ouvriers se laissent endormir par le tactique en apparence légaliste d fascisme. Ils ne lancent pas l’ordre de prendre les armes. Ils ne déclenchent pas la grève générale insurrectionnelle. Ils espèrent avoir raison du fascisme, déjà installé au pouvoir, en remportant une victoire électorale. (…)

Les socialistes allemands multiplient les appels au calme. Le 7 février 1933, Künstler, le chef de la fédération berlinoise du parti, donne cette consigne : « Surtout ne vous laissez pas provoquer. La vie et la santé des ouvriers berlinois nous son trop chères pour les mettre en jeu à la légère. Il faut les garder pour le jour de la lutte. » (…) « Du calme et surtout pas de sang versé ! »

Les communistes n’organisent pas davantage la résistance. (…) Le 23 février, un des chefs du parti, Pieck, écrit : « Que les ouvriers restent prudents afin de ne pas fournir au gouvernement un prétexte pour prendre de nouvelles mesures contre le parti communiste ! » (…) Et Dimitrov : (…) « A l’époque de l’incendie du Reichstag, des préparatifs réels en vue d’une révolution pouvaient-ils être observés ? (…) Non ! » Quant aux chefs syndicaux, leur attitude est plus singulière encore : ils s’imaginent que le mouvement syndical pourra composer avec le gouvernement fasciste comme avec les gouvernements précédents (…) Insensiblement, d’abdication en abdication, ils se rallient au fascisme. (…)

L’ADGB lâche le parti socialiste et, le 20 mars, elle publie un manifeste : « Les organisations syndicales sont l’expression d’une nécessité sociale irréfutable, une partie indispensable de l’ordre social lui-même. (…) La tâche sociale des syndicats doit être remplie, quelle que soit la nature du régime de l’Etat. (…) Leur tâche dans ce sens ne peut être que de mettre à la disposition du gouvernement et du parlement des connaissances et expériences acquises dans ce domaine. » (…) Le 20 avril, le Comité confédéral invite les syndiqués à assister à la fête du Premier Mai, présentée comme le symbole de l’incorporation de la classe ouvrière dans l’Etat national-socialiste. (…)

Les magnats ont atteint leurs objectifs : ils disposent enfin de l’ « Etat fort » souhaité. Par une série de mesures d’ordre social et économiques, l’Etat fasciste va s’appliquer à enrayer la chute de leurs profits, à rendre « rentables » leurs entreprises.

Cette action s’exerce, d’abord et essentiellement, contre la classe ouvrière : l’Etat fasciste commence par créer les conditions permettant le massacre des salaires : destruction des syndicats ouvriers, suppression de leurs prolongement au sein de l’usine, abolition du droit de grève, annulation des contrats collectifs, rétablissement de l’absolutisme patronal au sein de l’entreprise.

Mais ce n’est que la première partie du programme. Il faut, en outre, pour l’avenir, empêcher toute cristallisation indépendante au sein des masses ouvrières. Alors l’Etat fasciste met toute son autorité au service des employeurs : il embrigade les travailleurs dans des organisations de surveillance policière dont les chefs sont nommés par en haut, échappant au contrôle des cotisants (…) Lutter contre le patron, c’est désormais se dresser contre l’Etat. (…) L’Etat sanctionne de son autorité les salaires qu’il plait aux magnats capitalistes de payer à leurs exploités. (…) Les employeurs sont autorisés à licencier tout travailleur soupçonné d’être « hostile à l’Etat » sans que l’intéressé puisse recourir à la procédure de défense prévue par la législation sociale du Reich. (…) Au lendemain du Premier Mai, décrété « fête nationale » et célébré à grand spectacle dans toute l’Allemagne, tous les syndicats ouvriers sont mis au pas, leurs immeubles occupés par les section d’assaut, leurs chefs emprisonnés. (…) le 10 mai est constitué le « Front du Travail allemand ». Il englobe les adhérents de toutes les associations syndicales mises au pas. (…)

L’Etat national-socialiste ne se contente pas d’embrigader les travailleurs dans des organisations « jaunes » ; il punit de sévères peines disciplinaires toute velléité d’indépendance des ouvriers. Les travailleurs qui compromettent la paix sociale dans l’entreprise (…) sont passibles non seulement du renvoi, mais de lourdes amendes et de peines de prison (loi du 20 janvier 1934). (…) la loi du 26 février 1935 institue un « livret de travail » où l’employeur inscrit, en se séparant de l’employé, son appréciation et qui doit être présenté lors d’une nouvelle embauche. (…) Les salariés n’ont pas le droit de changer d’employeur, mais les autorités s’arrogent le droit de les déplacer (…)

On évalue que, depuis l’avènement du national-socialisme (30 janvier 1933), jusqu’à l’été 1935, les salaires ont été réduits de 25 à 40%. Pour de nombreuses catégories d’ouvriers, le salaire est inférieur au montant de l’indemnité de chômage payée au temps de la république de Weimar. Plus de la moitié des ouvriers allemands touchent moins de trente marks par semaine. (…) Encore faut-il déduire de ces misérables payes toutes sortes de retenues (…) qui diminuent le salaire brut de 20 à 30%.(…) Goering déclare dans un discours : « Nous devons aujourd’hui travailler double pour tirer le Reich de la décadence, de l’impuissance, de la honte et de la misère. Huit heures par jour ne suffisent pas. » (…) Il s’agit d’une prolongation de la journée de travail allant jusqu’à dix heures et plus. (…)

A peine installé au pouvoir, le fascisme s’empresse de donner des preuves de sa bonne volonté au capitalisme privé. (…) Hitler tient à manifester sa reconnaissance aux magnats de l’industrie lourde, aux Kirdorf, aux Thyssen. (…) L’Etat leur restitue les Acieries Réunies (qui avaient été mises sous contrôle de l’Etat lors de leur relèvement sur fonds publics pour cause de faillite). (…) Après le krach de 1931, la plupart des grandes banques étaient tombées sous le contrôle de l’Etat. (…) La Deutsche Diskonto Bank, dès 1933, s’est vue restituer par l’Etat près de vingt millions de marks d’action (…) L’Etat fasciste aide les magnats capitalistes à « produire du bénéfice » en leur accordant toutes sortes d’exonérations fiscales (…) en les aidant à relever artificiellement leurs prix de vente (…) en renflouant les entreprises défaillantes sans contrepartie. (…) Dès le lendemain de la prise du pouvoir, les nationaux-socialistes se lancent dans un vaste programme de travaux publics (…) et jette des milliards dans le réarmement. (…)

La question se pose : où l’Etat fasciste trouve-t-il les énormes ressources qui lui permettent de devenir le principal client de l’industrie lourde, de financer des grands travaux publics de prestige et les commandes d’armement ? (…) Il émet du papier et avilit la monnaie nationale aux dépens de tous ceux qui vivent de revenus fixes. (…) A partir de 1934, la dépréciation réelle de la monnaie allemande se manifeste de même que l’exode des capitaux et sorties d’or consécutives. (…) En juin 1937, la dépréciation du mark (…) doit être d’au moins 50%.(…)

On peut lire dans le Wölkischer Beobachter, quotidien du parti nazi : « Personne au courant des questions économiques ne croira que le système capitaliste a disparu. … La capital … n’a jamais été aussi puissant et privilégié qu’à présent. … L’économie accumule d’énormes profits et réserves ; les travailleurs sont invités à attendre. (…) Les gros font des bénéfices, les petits reçoivent des traites sur l’avenir. » (…)

Le fascisme ne fait, sur le plan international qu’aggraver la tendance de l’ensemble du système capitaliste au repliement national, à l’autarcie. (…) Toutefois, il n’est pas exact de dire que le fascisme, « c’est la guerre ». (…) Ce mensonge intéressé des staliniens (…) n’a d’autre but que de dégager une fois pour toutes de toute responsabilité un des groupes de puissances impérialistes qui masquent leurs préparatifs de guerre sous des apparences démocratiques et des phrases pacifistes. Le vieux mot d’ordre de l’antimilitarisme marxiste, celui de la lutte révolutionnaire contre la guerre impérialiste, était conçu autrement : « le capitalisme, c’est la guerre ».

Une dernière illusion serait à dissiper (…) : l’illusion que le fascisme serait un phénomène local, un phénomène « spécifiquement italien » ou « particulier aux pays retardataires à prédominance agricole » contre lequel les grandes nations industrielles, les « grandes démocraties occidentales » se trouveraient prémunies. (…) Le temps n’est plus où les social-démocrates allemands pouvaient écrire : « Le fascisme, dans sa forme italienne, correspond aux circonstances italiennes. La force organisatrice et la plus haute éducation politique de la classe ouvrière allemande… rendent impossible chez nous un écrasement aussi brutal de la démocratie. »

(…) De toutes façon, la leçon des drames italien et allemand est que le fascisme n’a aucun caractère de fatalité. Le socialisme eût pu l’exorciser s’il s’était arraché à son état de paralysie et d’impuissance, s’il avait gagné de vitesse son adversaire, s’il avait gagné, ou pour le moins neutralisé, avant lui, les classes moyennes paupérisées. (…) Mais tel n’est pas l’optique des « fronts populaires ». Leurs bonimenteurs se cramponnent à la planche pourrie de la « démocratie » bourgeoise et font risette aux groupes capitalistes les « moins réactionnaires » pour se préserver des « plus réactionnaires ». (…)

Entre fascisme et socialisme, ceux qui veulent vivre ont fait leur choix.


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