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Après avoir confirmé les sanctions douanières contre le Mexique et le Canada, Donald Trump vise désormais l’Union européenne. Des droits douaniers pourraient être imposés très rapidement. Tous les pays qui s’opposent à ses vues sont menacés. Au risque de saper les piliers sur lesquels s’appuyait la domination américaine mondiale.
MoinsMoins de deux semaines après son investiture, Donald Trump poursuit sa stratégie du choc. Le président américain paraît décidé à dynamiter le vieil ordre international. Un peu à la manière dont Elon Musk avait fait exploser Twitter après l’avoir racheté. Il a confirmé le 31 janvier les sanctions douanières annoncées dès la fin novembre : les importations en provenance du Mexique et du Canada, les principaux partenaires commerciaux des États-Unis, seront bien taxées d’un droit de douane de 25 % à partir du 1er février, et les importations chinoises, dont certaines sont déjà largement taxées depuis 2018, se verront imposer des droits supplémentaires à partir du 1er février également.
Ces nouveaux droits douaniers viseront en priorité les importations d’acier, d’aluminium, de cuivre, de semi-conducteurs, de produits pharmaceutiques ainsi que de gaz et de pétrole, à partir du 18 février. Donald Trump n’exclut cependant pas d’abaisser les droits douaniers à 10 % sur les importations pétrolières en provenance du Canada dont les États-Unis sont lourdement dépendants. Mais il a également évoqué la possibilité d’alourdir ces droits sur certains produits si les résultats escomptés n’étaient pas au rendez-vous.
Jusqu’au bout, les gouvernements du Mexique et du Canada comme un certain nombre de personnes dans l’entourage de Donald Trump ont espéré que le président américain ne mettrait pas ses menaces à exécution ou en tout cas les allégerait sensiblement. Leurs espoirs ont été douchés dès le 30 janvier par la porte-parole de la Maison-Blanche, Karoline Leavitt : il n’y a pas de négociation possible.
Le train fou de la guerre commerciale est lancé. Non seulement le président américain ne va pas se passer de son arme favorite des droits douaniers, mais il promet d’étendre leur utilisation. Dès vendredi, il a réitéré les menaces faites lors de son discours à Davos : après le Mexique et le Canada, le tour de l’Union européenne, accusée de « très mal traiter » les États-Unis, va rapidement venir.
« Est-ce que je vais imposer des droits douaniers à l’Union européenne ? absolument. Ils n’achètent pas nos voitures, ils n’achètent pas nos produits agricoles, en fait, ils n’achètent presque rien. Nous avons un déficit abyssal avec l’Union européenne [156 milliards de dollars en 2023 – ndlr]. Nous allons nous en occuper », a-t-il déclaré vendredi soir. Les premières sanctions contre l’Europe pourraient être prises très rapidement.
Conforté par sa victoire éclair dans son bras de fer avec le président colombien, le président américain envisage d’étendre sa guerre commerciale partout. Il a déjà accusé le gouvernement taïwanais, qui possède le plus important fabricant de semi-conducteurs au monde, TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company), d’avoir volé les technologies américaines. Et il lui a enjoint de déménager ses capacités de production aux États-Unis sous peine de sanctions.
De même, il a menacé les membres des Brics qui auraient l’intention de se passer du dollar dans leurs échanges financiers et commerciaux – comme certains, emmenés par la Chine et la Russie, en ont émis le souhait lors de leurs derniers sommets – de leur imposer 100 % de droits douaniers sur toutes leurs exportations vers les États-Unis.
Ces déclarations font craindre à beaucoup l’irruption d’une guerre commerciale mondiale, menant à des escalades continues et échappant à tout contrôle. Les gouvernements mexicain et canadien, les premiers menacés, ont déjà averti qu’ils avaient préparé des mesures de rétorsion, et qu’ils étaient prêts à rapidement les mettre en œuvre. « Nous avons une réponse prête, une réponse appropriée, forte, immédiate mais raisonnable », a indiqué le premier ministre canadien, Justin Trudeau, sur le départ. Le Parti libéral du Canada suggère que les importations de voitures électriques Tesla, fabriquées par Elon Musk, soient en tête de liste des importations américaines frappées de superdroits de douane.
Justin Trudeau n’a cependant pas caché que « le Canada pourrait devoir affronter des temps difficiles dans les jours et les semaines qui viennent ». D’autant que l’unité nationale pourrait être mise à mal dans cette épreuve face au président américain : le gouvernement de l’Alberta, principal producteur pétrolier du pays, a déjà averti qu’il était opposé à toute mesure de rétorsion contre son puissant voisin.
Toujours convaincue qu’il existe des marges de négociation avec l’administration Trump, la Commission européenne a décidé à ce stade de faire le dos rond. « Nous n’avons pas été avertis que des droits douaniers supplémentaires allaient être imposés sur les importations européennes », a déclaré une des porte-parole de la Commission, Paula Pinho. « Nos échanges commerciaux et nos relations d’investissements avec les États-Unis sont les plus importants dans le monde. L’ouverture des marchés et le respect des règles commerciales internationales sont essentiels pour une croissance économique forte et soutenable. »
La Chine a elle aussi décidé de faire profil bas après les annonces de Donald Trump. Rappelant son attachement aux règles internationales, son ambassade à Washington s’est contentée de répéter qu’il n’y avait « pas de gagnant dans une guerre commerciale ou dans une guerre douanière qui ne servent les intérêts de personne ni du monde ». Certains observateurs se demandent cependant si Pékin n’a pas commencé à mettre en place des mesures, notamment monétaires, en réponse à la hausse des droits douaniers américains : depuis plusieurs semaines, le gouvernement de Xi Jinping, qui pilote étroitement le cours de sa monnaie, l’a laissé se déprécier largement par rapport au dollar américain. Cette évolution reflète certes l’embourbement de son économie, mais elle permet aussi d’annuler en partie la hausse des droits de douane.
Tous s’accordent sur le sujet : les sanctions douanières imposées au Canada et au Mexique risquent d’avoir des conséquences lourdes. Elles viennent remettre en cause des relations nouées depuis plus de trente ans entre les trois pays. Leurs économies sont tellement interpénétrées que tout retour en arrière semble hors de prix. Toutes les chaînes de production et de valeur existantes peuvent être bousculées.
Certains économistes évoquent déjà un possible chaos, des risques de rupture dans les approvisionnements comme au temps du covid. Une possibilité que Donald Trump assume totalement : « Il pourrait y avoir des ruptures temporaires et courtes. Mais je suis sûr que les gens comprendront. »
Mais la plus grande crainte porte sur les contrecoups économiques de ces sanctions douanières. Peu de groupes vont accepter de rogner sur leurs marges pour effacer l’effet des droits douaniers. Ceux-ci risquent immanquablement d’être répercutés sur les prix auprès des consommateurs et relancer l’inflation. Tous les Américains vont être frappés au portefeuille, ont déjà prévenu de nombreux économistes. « Si ces droits douaniers sont imposés, ils vont faire augmenter tous les prix, ceux de l’alimentaire, des voitures, de l’énergie, rendant la vie encore plus difficile pour les classes moyennes », a surenchéri le sénateur démocrate Chuck Schumer.
Ce risque d’une résurgence de l’inflation pourrait amener la Réserve fédérale à adopter une politique monétaire beaucoup plus restrictive. Déjà, les milieux financiers s’alarment : la baisse des taux d’intérêt amorcée depuis plusieurs mois pourrait s’interrompre. Les membres de la Banque centrale américaine ne démentent pas leurs craintes : ils prônent un attentisme prudent, en attendant de mieux comprendre l’évolution de la situation économique.
Se présentant comme le président du pouvoir d’achat pendant sa campagne, Donald Trump réfute toutes ces critiques : « Les droits douaniers ne créent pas l’inflation », a-t-il répété vendredi. Pour lui, c’est la meilleure arme pour inciter les groupes américains et autres à revenir produire sur le territoire américain, et à créer des emplois. « Nous voulons ramener l’industrie chez nous », a-t-il martelé. Oubliant au passage que le temps industriel n’est pas celui de la politique : on ne construit pas une usine, on ne forme pas des salariés, on ne recrée pas des chaînes d’approvisionnement d’un simple claquement de doigt.
Mais les possibles dégâts de cette guerre commerciale peuvent prendre une ampleur beaucoup plus large, presque vertigineuse : c’est toute l’organisation économique mondiale, les flux commerciaux et financiers qui se sont instaurés des décennies durant, qui se retrouve remise en question.
Car dans le nouveau cadre dressé par le président américain, il n’y a plus d’amis, d’ennemis, d’alliés, de relations de confiance, juste des rapports de force qui doivent dans son esprit bénéficier uniquement à la puissance américaine. « Les droits douaniers vont nous rendre très riches et très puissants », a expliqué Donald Trump pour justifier ses décisions. À elle seule, cette phrase résume tout le projet du président américain. Il s’agit de drainer toutes les richesses possibles, les technologies et les finances du monde vers les États-Unis.
Il a déjà apporté une première illustration de cette volonté : dès le 20 janvier, jour de son investiture, il a donné mandat au nouveau secrétaire au Trésor, Scott Bessent, d’organiser le retrait des États-Unis de la convention de l’OCDE sur l’impôt mondial des multinationales. Car il ne saurait être question que les groupes américains reversent à des pays tiers, ne serait-ce que 15 % d’impôts sur les bénéfices qu’elles y réalisent.
L’Europe, le Canada, tous les pays dans le monde qui ont cru aux relations d’amitié, d’alliance, de partenariats avec les États-Unis risquent de payer très chèrement cette volte-face. L’ouragan commercial que Donald Trump s’apprête à déchaîner pourrait être d’une ampleur comparable à celle du choc pétrolier sur leurs économies.
Mais le déchaînement voulu par le président a des incidences encore plus profondes : Donald Trump est en train de saper les piliers qui assuraient la domination mondiale américaine acceptée par de nombreux pays : il est en train de rompre toute confiance et d’enterrer la promesse d’offrir la liberté et la prospérité à tous, qui a tant participé au rêve américain.
Martine Orange
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