2 mars 1943 Convoi vers Auschwitz Témoignage

lundi 3 mars 2025.
 

En ce jour de commémoration des 80 ans de la libération du camp d’Auschwitz, difficile de ne pas évoquer le sort de ma grand-mère, Léa Bibergal, déportée dans ce camp et une des deux seules survivantes du convoi de 1000 juifs envoyés vers la mort le 2 mars 1943.(881 d’entre eux furent gazés dès leur arrivée).

On croyait tout savoir de ce destin tragique mais le hasard a voulu qu’hier, veille de cette grande célébration, ma mère apprenne par Nathalie Moine, chargée de recherche au CNRS, (une historienne accomplissant un travail gigantesque sur cette période), un détail glaçant que nous ignorions totalement.

Cette révélation est bouleversante et jette un éclairage encore plus terrible sur le cynisme et la responsabilité des autorités françaises dans l’élimination de centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants vivant sur le territoire français.

Alors que Léa Bibergal était détenue à Drancy après son arrestation du 21 février, un certain Serge Stern a tenté de la faire libérer en signalant qu’elle était la femme d’un prisonnier de guerre de l’armée française (mon grand père s’était engagé dans la légion étrangère pour combattre au sein des armées françaises)...

Ce Serge Stern a téléphoné aux responsables de l’Union Générale des Israélites de France qui ont pris contact avec les autorités françaises pour relayer cette demande de libération. (Je reviendrai plus tard sur le rôle de l’UGIF, organisation juive ayant collaboré avec le régime de Vichy…) Voici un extrait du relevé établi par Nathalie Moine de la réponse donnée à cette requête (l’archive est consultable au Mémorial de la Shoah). « Vous avez attiré mon attention sur le cas de Madame BIBERGAL Léa actuellement internée au camp de Drancy et dont le mari est prisonnier de guerre.

Je vous informe que je suis intervenu auprès du Camp de Drancy à ce sujet et qu’il m’a été répondu qu’aucune faveur ne jouait pour les femmes de prisonniers surtout quand le prisonnier n’est pas de nationalité française. »

Signé le secrétaire général

Ainsi donc, ma grand-mère, Léa Bibergal, a été délibérément envoyée dans l’enfer d’Auschwitz par les autorités françaises non seulement parce qu’elle était juive, mais aussi parce qu’elle était d’origine étrangère.

L’Union Générale des Israélites de France organisation créée à la demande des allemands, composée de notables juifs français proches du régime de Pétain imaginait pouvoir soustraire les juifs de France des griffes des nazis. Il est à noter que pour financer ses actions de soutien aux juifs de France, l’UGIF bénéficiait d’un fonds de solidarité alimenté par les revenus tirés de la confiscation des biens juifs . Cette attitude de l’UGIF vis à vis des populations juives immigrées fut présentée de manière très critique par l’historien Jacques Addler : « les dirigeants de l’UGIF savaient que les opérations affecteraient uniquement les immigrés et ils craignaient des représailles contre eux-mêmes et les Juifs français »

La plupart des dirigeants et employés de l’UGIF se trompaient …ils furent eux-mêmes finalement arrêtés et déportés…

Au-delà de l’émotion que fait naître cette résurgence d’un passé toujours douloureux, ce document met à jour la nécessité impérieuse de lutter contre toutes les formes de racisme, bien sûr, mais aussi de xénophobie ; ces appels à la haine de l’autre qui trouvent de plus en plus d’écho dans nos sociétés. En acceptant de faire preuve de complaisance, voire de compréhension vis-à-vis de ces idéologies de l’exclusion, nous nous exposons à devenir nous même tôt ou tard victimes de ces atteintes aux valeurs humanistes qui nous éloignent de l’abjection.

Rien de ce qui s’est passé depuis n’est comparable à Auschwitz. La mémoire des victimes des camps d’extermination nous impose de ne laisser la place à aucun amalgame révisionniste.

Mais tout en disant cela, je crains cependant que bon nombre des dirigeants qui ont célébré aujourd’hui la libération d’Auschwitz n’utilisent la lutte contre l’antisémitisme que comme un écran cynique à leurs propres exactions vis-à-vis d’autres populations étrangères, immigrées, aussi fragiles et innocentes que l’étaient ma grand-mère Léa et toutes les femmes et les hommes victimes de la shoah.


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