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Depuis au moins une dizaine d’années l’alerte a été lancée. Je pense par exemple au livre de Philippe Corcuff Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard , à Annie Ernaux, dans son entretien accordé au Nouvel Obs en 2021...
Les dernières élections législatives allemandes prouvent l’urgence de notre prise de conscience, non seulement vu le résultat de l’extrême droite mais aussi par le personnel politique à l’oeuvre, Friedrich Merz, dirigeant de la CDU CSU est un ancien de BlackRock, gestionnaire mondial d’actifs financiers.
Alice Weidel, dirigeante de l’AFD, peut se revendiquer d’un grand père paternel Hans Weidel, qui a rejoint le NSDAP dès 1932 avant d’être nommé juge nazi directement par le Führer du Reich allemand Adolf Hitler. Sa grand-mère, fut également membre du parti nazi, Alice Weidel obtient son premier poste chez Goldman Sachs et travaille également chez Allianz Investors (toujours le monde de la finance dorée comme dans les années 30). Elle partage avec ses soutiens Donald Trump et Elon Musk deux caractéristiques essentielles : libertarienne et identitaire.
Même sur France Info, j’ai entendu le constat suivant : "On est dans un contexte des années 30 avec des icebergs qui arrivent face à nous et la réunion de Paris à l’Élysée n’a pas permis de les éloigner", a déclaré le Premier ministre.
Dans son Récidive. 1938. le philosophe Michaël Foessel montre bien de ce point de vue la ressemblance entre les années 1930 et la période actuelle
« La France de 1938 vit dans une sorte d’état d’urgence permanent, une situation qui fait écho avec ce que nous vivons depuis plusieurs décennies (plus de vingt lois sécuritaires en vingt ans). Il faudrait au moins se poser la question suivante : qu’adviendrait-il d’un tel arsenal juridique s’il tombait entre les mains d’un gouvernement antidémocratique ? [...] Le mouvement actuel des « gilets jaunes » confirme que l’on ne peut pas découper la démocratie en tranches : l’amour de l’égalité renforce la croyance dans des institutions libres. Et l’affaiblissement de l’un entraîne l’érosion de l’autre. C’est pourquoi je m’inquiète de l’aspect autoritaire des politiques néolibérales menées depuis plus d’une décennie, par l’actuel gouvernement comme par ceux qui l’ont précédé. »
On ne peut comprendre le glissement vers l’extrême droite des sociétés européennes des années 1930 hors du contexte d’une crise du capitalisme transnational qui a fréquemment conduit les gouvernements à choisir des hausses de tarifs douaniers et des décisions financières "nationales".
Quiconque suit la propagande et l’action de Viktor Orban en Hongrie comme de l’extrême droite italienne, ne peut que constater les ressemblances.
Cependant, les 68 décrets de Donald Trump depuis sa prise de fonction le 20 janvier 2025 sont l’exemple le plus évident de ce retour des « égoïsmes nationaux ». Comme il s’agit de la première puissance mondiale, nous devons craindre les conséquences de ses combats douaniers et de sa politique budgétaire qui entraîneront des réactions "nationales" du même type.
Dans aucun pays, l’extrême droite n’est arrivée seule au pouvoir durant les années 1930 ; elle a toujours bénéficié d’un accord avec la droite traditionnelle, particulièrement les libéraux. Cette réunion a été le résultat d’un long accommodement entre ces deux forces politiques, d’une progressive osmose entre leurs électorats. Nous avons connu la même évolution dans les années 2010 2020 en Italie, en Espagne et dans bien d’autres pays dont la France.
[Fascisme français et 200 familles dans les années 1930
La logique raciste est cohérente : désigner un bouc émissaire "étranger" présenté comme responsable des malheurs du pays pour orienter la colère populaire contre lui plutôt que contre les vrais responsables du chômage et du faible pouvoir d’achat, à savoir les 1% d’ultra-riches. L’antisémitisme des années 1930 en Autriche, Allemagne, Pologne, Croatie a conduit à la shoah. Cela ne doit pas faire oublier le racisme général de la droite extrême droite de l’époque contre les "étrangers", par exemple en France contre les Italiens, Espagnols, Polonais, Africains...
La gravité du débat sur l’identité nationale initiée par François Bayrou se comprend aussi dans ce contexte là.
Dans les années 1930, la Société des Nations ne parvient à enrayer ni la guerre civile espagnole, ni l’agression italienne contre l’Éthiopie, ni l’impérialisme japonais, ni l’annexion de l’Autriche par Hitler, ni la crise des Sudètes, ni enfin les menaces allemandes contre la Pologne, c’est-à-dire l’ensemble des crises internationales qui préludent au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.
En cette fin février 2025, le secrétaire général et le Haut commissaire aux droits humains de l’ONU font un constat proche. « Au cours des siècles précédents, l’usage effréné de la force par les puissants, les attaques aveugles contre les civils, les transferts de population, et le travail des enfants étaient monnaie courante. Les dictateurs pouvaient ordonner des crimes atroces qui envoyaient à la mort un grand nombre de personnes. Attention : cela peut se reproduire » ; « l’édifice des droits humains que nous avons construit si péniblement au fil des décennies n’a jamais été autant mis à l’épreuve ». « Le consensus mondial sur les droits humains s’effondre sous le poids des (dirigeants) autoritaires, des hommes forts et des oligarques ». Le haut responsable onusien appelle tout le monde à se ressaisir pour que « les droits humains et l’État de droit restent les fondements des communautés, des sociétés et des relations internationales » car « sans quoi, la situation est très dangereuse ».
De nombreux excellents historiens ont analysé les forces sociales qui ont généré ou conforté la montée du fascisme dans les années 1930, malgré des exceptions individuelles ou locales :
grand patronat, hyperriches, milieux de la finance
institutions de l’Etat régalien : surtout police et armée, mais aussi justice et hauts fonctionnaires
Paysans, Petits patrons, milieux populaires appauvris
Les milliardaires étatsunien comme européens (Bolloré, Stérin... en France) ne font pas mystère de leurs sympathies d’extrême droite.
Les enquêtes d’aujourd’hui, que ce soit en France, en Italie ou en Allemagne permettent de retrouver globalement ces mêmes forces sociales.
Dès 2015, une enquête CEVIPOF signalait 51,5% de policiers et militaires votant pour l’extrême droite. Lors des élections régionales de 2021, 67% des policier·ères actif·ves ont affirmé avoir voté pour le Rassemblement National selon le même Cévipof.
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Le rapport 2024 de l’institut Varieties of Democracy (V-Dem), établi au sein de l’université de Göteborg, en Suède, révélait que, au 31 décembre 2023, 71 % de la population mondiale (contre 48 % il y a dix ans) vivait dans une autocratie.
« La première vague d’autocratisation a eu lieu dans les années 1930 et a débouché sur la seconde guerre mondiale. Nous avons assisté ensuite à une vague de démocratisation, souvent combinée à la décolonisation. Puis, au milieu des années 1960 et dans les années 1970, il y a eu la deuxième vague d’autocratisation, avec des coups d’Etat militaires et des Etats à parti unique. Dans la troisième vague, les processus d’autocratisation ont tendance à être très lents et graduels. Il a fallu dix ans à Recep Tayyip Erdogan pour supprimer la démocratie en Turquie. Idem pour Viktor Orban en Hongrie, ou Narendra Modi en Inde. Lors de son premier mandat, Donald Trump a réussi à la faire dérailler dans une certaine mesure, mais pas à la faire disparaître. Pareil pour Jair Bolsonaro au Brésil.
Cette troisième vague se caractérise par des dirigeants qui arrivent souvent au pouvoir à l’issue d’élections relativement démocratiques, mais avec un programme antipluraliste qu’ils mettent en œuvre au coup par coup, en sapant les médias, les journalistes, les organisations de la société civile, l’un après l’autre. Puis ils cherchent progressivement à contrôler le système judiciaire. Ils utilisent beaucoup la désinformation et font bouger les normes de ce qu’il est possible de dire ou de faire.
Nous allons assister à un déclin radical de la démocratie aux Etats-Unis, qui vont devenir une autocratie électorale à l’instar de l’Inde ou de la Hongrie. Donald Trump est un dictateur en puissance. Il a fait connaître ses intentions et a désormais une mainmise totale sur le Parti républicain, qui contrôle le Congrès. La Cour suprême lui est aussi favorable. Elle a déjà déclaré que M. Trump bénéficierait d’une immunité pour tous les crimes qu’il pourrait commettre pendant son mandat. Il n’y a plus de garde-fou. »
Les aspects policiers et autocratiques du macronisme doivent aussi être analysés dans ce contexte.
L’importance des medias du milliardaire, grand patron de la métallurgie et de la presse Alfred Hugenberg, dans le glissement d’une partie importante de la société allemande vers l’extrême droite puis le nazisme est connu.
L’importance des Puissances d’argent dans le développement d’un courant politique fasciste et fascisant dans la France des années avant 1939 se note particulièrement dans le développement d’une presse sur cette orientation :
* De 1930 à 1944, Je suis partout (Pierre Gaxotte, Robert Brasillach, Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Claude Jeantet, Bernard de Vaulx, Maurice Bardèche, Alain Laubreaux, Claude Roy, Miguel Zamacoïs, Pierre Halévy, Pierre Drieu La Rochelle, Ralph Soupault...) soutient le fascisme italien, la Garde fer roumaine, le rexisme belge... Il diffuse chaque jour des idées antidémocratiques et antisémites. Durant la guerre, il sera le fer de lance de la collaboration avec les nazis. Or, dès 1930 1938, ce périodique bénéficie d’un soutien financier considérable de la part des "milieux d’affaires".
* Gringoire prend parti pour l’Italie mussolinienne, pour le Portugal salazariste, pour les franquistes durant la guerre d’Espagne. C’est ce magazine qui titre "Chassez les métèques" et développe une grande campagne et antisémite et xénophobe.
* Candide de Pierre Gaxotte (tirage à 465000 exemplaires) poursuit Léon Blum d’une haine tenace « Il incarne tout ce qui nous révulse le sang et nous donne la chair de poule. Il est le mal, il est la mort. »
* Le Matin ( environ 320000 exemplaires) dont des articles préconisent de plus en plus souvent un rapprochement de l’Allemagne nazie
* le Journal de Roland de Margerie (410 000 exemplaires en mars 1939) souhaite une alliance avec l’Italie mussolinienne
Plusieurs médias français de masse actuels paraissent tout autant dépendants de milliardaires et tout autant orientés dans le sens d’idées d’extrême droite. Je ne les citerai pas ici pour éviter un procès mais leur nom parmi les télés, radios, revues et journaux sont évidents
Quels pays et territoires ont connu des Etats fascistes dans les années 1930 puis durant la Seconde guerre mondiale ?
Autriche,
Italie
Allemagne
Hongrie
Espagne
Portugal
Grèce
Flandre
Slovaquie
Pologne
Roumanie
Croatie
Lettonie
Estonie
Lituanie
Pour des pays comme la France ou le Finlande, je considère, quant à moi que l’Etat pétainiste (France) et le régime de Mannerheim en Finlande ont fait partie de la "constellation fasciste".
Ces Etats et territoires sont-ils aujourd’hui gangrénés par une nouvelle extrême droite ? Bien sûr.
Quant aux pays manquants dans cette liste, personne ne peut nier qu’ils ont connu une extrême droite forte dans les années 1930. C’est le cas par exemple des Pays Bas, de la Suède et du Royaume-Uni
Dans les années 1930, pour tous les pays, le mouvement ouvrier a été la principale force sociale capable de s’opposer aux forces d’extrême droite puis fascistes. Son rôle reste central aujourd’hui.
Du 6 au 12 février 1934, la France ouvrière et républicaine stoppe le fascisme
Tenir la rue face aux fascistes dans les années 1930
Les tactiques électorales du type centre gauche ont souvent mené à des raz de marée de droite dure et d’extrême droite.
En France, le Front Populaire a momentanément stoppé la poussée fascisante et fasciste des années 1930
1936 Front Populaire, grève générale et conquêtes sociales
Le fort développement de coups d’état militaire et d’Etats autocratiques patronaux dans les années 1960 a subi un coup d’arrêt en raison des grèves et mouvements révolutionnaires des années 1968.
Aujourd’hui, l’avenir dépendra également de toi, de nous.
Jacques Serieys
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