Elections législatives allemandes : Succès de la droite – Déroute du SPD – Résurrection de Die Linke

samedi 8 mars 2025.
 

Après une campagne électorale qui a été, pour l’Allemagne, particulièrement animée, les électeurs ont produit un résultat qui est relativement clair sur le plan politique mais qui ne simplifie pas la formation d’un gouvernement. Il est également remarquable que la polarisation politique ait entraîné une augmentation significative du taux de participation, qui a atteint 82,5 %.

Le nouveau chancelier sera Friedrich Merz, un tenant de la ligne dure de la CDU. Il privilégie, et n’a guère d’autre choix, une coalition avec le SPD, qui se fera probablement prier jusqu’à ce que l’un des dirigeants historiques de l’entourage de Scholz donne son accord. Merz, un homme politique qui s’énerve facilement et qui ne dispose d’aucune expérience de gouvernement, aura du mal à se maintenir pendant toute une législature, comme s’en est déjà réjouie Alice Weidel, la probable gagnante dans un tel scénario.

Le résultat des élections fait entrer l’Allemagne dans le large cercle de pays européens et d’autres régions du monde où les partis nationalistes de droite et conservateurs qui basculent vers l’extrême droite remportent les élections. Avec plus de 14 millions de voix et 28,6 % des suffrages pour la CDU/CSU et 10,3 millions de voix et 20,8 % pour l’AfD, c’est un glissement vers la droite qui s’opère et qui rassemble près de la moitié des électeurs. Ces voix, en particulier celles en faveur de l’AfD, ne peuvent pas être expliquées comme un simple rappel à l’ordre ou un vote de protestation, mais expriment clairement une évolution de la conscience collective vers la droite et une politique du « l’Allemagne d’abord ».

Au cœur des débats électoraux , il y avait un durcissement des mesures d’exclusion et une campagne raciste contre les migrant.e.s et les réfugié.e.s. Les mesures proposées pour abolir de facto le droit d’asile, pour durcir les pratiques d’expulsion avec l’incarcération de familles entières, pour supprimer les prestations sociales pour les réfugié.e.s et toutes les autres tracasseries imaginées, représentent une menace réelle pour la vie et l’intégrité physique de dizaines de milliers de personnes vivant en Allemagne. Même si les pires de ces projets devaient échouer en raison d’obstacles pratiques ou juridiques, cette escalade politique est le signe d’une perte importante du sens de la solidarité dans la société et de l’entrée dans une nouvelle phase de la politique d’exclusion.

Le deuxième grand thème de la campagne électorale a été le projet de réarmement massif et de militarisation sous couvert de guerre en Ukraine. Même si l’AfD s’est opposée à la politique belliciste du gouvernement pour des raisons nationalistes, car il ne faut pas gaspiller de l’argent pour une guerre qui ne concerne pas l’Allemagne, elle ne se démarque pas des partis gouvernementaux en ce qui concerne l’OTAN, la Bundeswehr et un réarmement prétendument nécessaire. Elle soutient le gouvernement américain dans sa demande de consacrer 5 % du produit intérieur brut à l’armement. Dans la phase finale de la campagne électorale, l’AfD a encore reçu un coup de pouce de la part du gouvernement américain de Trump, qui a modifié sa politique de guerre envers l’Ukraine, et du vice-président américain, qui a ouvertement fait la promotion de l’AfD.

Pas de campagne électorale camp contre camp

Le SPD et les Verts, les partis qui ont joué un rôle déterminant dans la coalition gouvernementale défaite, n’ont certainement pas incarné le camp de l’« alternative » lors de cette campagne électorale. En matière de politique migratoire, ils ont volontiers emboîté le pas à l’AfD. Leur politique concrète dans le cadre de l’UE (procédure Dublin, RAEC) et en matière de pratiques d’expulsion et de harcèlement des réfugiés ne fait en réalité qu’anticiper les revendications de l’AfD.

Pour ce qui est de la militarisation et du réarmement massif, la social-démocratie et son chancelier Scholz en ont été les instigateurs Ils ont été encouragés dans cette voie par les Verts, qui non seulement ont occupé le ministère des Affaires étrangères, mais se sont également employés à se débarrasser des derniers vestiges de pacifisme et d’antimilitarisme de l’histoire des Verts, dans une sorte d’obéissance anticipée qui frôlait la violence envers eux-mêmes.

Au cours des dernières semaines, les deux partis ont tenté en vain de montrer un peu leur « côté social » en jouant sur des thèmes tels que le salaire minimum, les retraites, les loyers et la hausse des prix. Mais cela n’était tout simplement pas crédible au vu des tergiversations de la coalition. En effet, ce n’était pas seulement le méchant FDP qui aurait empêché une augmentation du salaire minimum, bloqué l’argent promis pour le climat, l’augmentation du niveau des retraites, l’augmentation du nombre de logements à construire et bien d’autres choses encore, mais aussi la politique délibérée des deux partis politiques dominants de la coalition. De toute évidence, personne n’a cru à ce nouveau positionnement en défenseur des intérêts des gens ordinaires.

Le fait que les deux partis aient obtenu de moins bons résultats qu’antérieurement en est la conséquence logique. Avec 8,1 millions de voix et 16,4 % des suffrages, le SPD a obtenu le plus mauvais résultat de son histoire depuis 1890. Les VERT ont obtenu 11,6 % des voix avec 5,7 millions de voix. Il est absolument improbable que cette attitude fondamentalement pro-capitaliste et militariste du SPD et des Verts change dans un avenir proche. Le SPD et les Verts seraient immédiatement prêts à former une coalition avec la CDU.

La scission nationaliste et « conservatrice de gauche » de Die Linke, l’« alliance Sahra Wagenknecht », a dû se rendre compte lors de ces élections que toutes les prémisses et tous les projets politiques qui ont conduit à la création de ce parti étaient tout aussi erronés que sa mise en œuvre concrète, bureaucratique, antidémocratique et rebutante. Le BSW a échoué par sa propre faute et n’a pas réussi à franchir de justesse la barre des 5 % avec 2,5 millions de voix et 4,9 % des suffrages. Il sera oublié à juste titre.

Die Linke Ressuscitée de dessous les décombres

La plus grande surprise de ces élections et la bonne nouvelle inespérée même pour celles et ceux qui étaient les plus impliqué.e.s, ce sont les résultat des Die Linke. Elle obtient 4,4 millions de voix et 8,8 % des suffrages, ce qui lui permet d’entrer au Bundestag avec un groupe parlementaire et près de deux fois plus de députés que lors de la dernière législature. Le plan initial, qui consistait à obtenir avant tout trois mandats directs, a donc été largement dépassé. Le parti a aujourd’hui remporté directement six circonscriptions.

En ce qui concerne les paramètres bien connus qui façonnent les campagnes électorales (des candidats de qualité, une ligne claire et offensive sur les grands thèmes, des revendications compréhensibles et une démarcation nette par rapport aux autres partis), cette fois-ci, tout a fonctionné pour Die Linke. Heidi Reichinnek, en particulier, a été une candidate charismatique, efficace notamment sur les réseaux sociaux, ce qui a permis de remporter un franc succès auprès des jeunes et des nouveaux électeurs. Ines Schwerdtner et Ferat Koçak ont également mené une excellente campagne avec leurs équipes. Mais ce ne sont pas les affiches, les tracts et les personnalités de premier plan qui ont fait le succès du parti, mais les hommes et les femmes qui ont rejoint le parti par milliers et ont organisé une véritable campagne électorale, visible et tangible. Il y a eu 600 000 visites au porte-à-porte, les jeunes militant(e)s ont appris à écouter et ont présenté un parti utile comme instrument de soutien pratique en matière de loyers, de frais de chauffage et de retraites. Ce fut en même temps – pour la première fois dans l’histoire de Die Linke et de manière réjouissante, quasiment sans être freinée par la direction centrale de la campagne électorale – l’émergence d’une politique à la première personne, du « maintenant, nous nous nous représentons nous-mêmes » qui a dominé la campagne. C’est ce qui a permis à Die Linke, presque seule, de se saisir des « questions sociales » et enmême temps de réagir de manière appropriée aux questions venant de l’extérieur sur la guerre, l’augmentation des dépenses militaires et les migrations.

Le nombre de membres de Die Linke a presque doublé, plusieurs fédérations régionales atteignent un nombre record de membres et même dans les Länder de l’Est, qui n’ont fait que perdre des membres pendant des années, le nombre d’adhésions augmente de façon spectaculaire.

Cette montée en puissance en tant que véritable force sociale doit maintenant être stabilisée et développée. Il est important de mettre en place des structures solides au niveau local, des groupes capables d’intervenir et organisés pour travailler collectivement au sein des syndicats et des mouvements sociaux. Il faut également faire un gros effort de formation interne au parti afin de consolider politiquement cet élan qui a fait émerger une nouvelle façon d’être de gauche et de maintenir sur la durée la puissance d’agir d’un parti véritablement socialiste et anticapitaliste.

En même temps, le nouveau groupe parlementaire au Bundestag ne doit pas retomber dans les vieilles pratiques de Bartsch, Ramelow et Gysi [les trois vétérans réélus directement dans leurs fiefs de l’est ndt] et se poser à nouveau en partenaire disponible pour une alliance ou même en simple variable d’ajustement pour le SPD et les Verts. Les grandes questions politiques – la lutte contre la guerre et la militarisation, pour la justice sociale et des salaires et des retraites plus élevés, contre la destruction du climat – nécessitent une opposition vigoureuse et tonitruante contre les partis du capital. La mobilisation sociale contre la droite n’ira de l’avant qu’avec une opposition antifasciste cohérente au Parlement. Contre la droite, il n’y a que la gauche qui puisse être utile.

Sur le plan de notre fonctionnement, il ne faudra pas oublier les demandes et les propositions formulées ces derniers mois, sur la manière dont un parti de gauche doit réduire l’influence « modératrice » et freinante du travail parlementaire sur son action. Les débats à ce sujet doivent se poursuivre et se traduire par des décisions.

Die Linke a désormais la possibilité de franchir une nouvelle étape dans la construction d’un parti socialiste d’opposition au système, largement ancré dans la société. Saisissons cette chance !

24 février 2025


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