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L’historien Stéphane Audoin-Rouzeau ose poser la question qui choque. Et si le trumpisme nouvelle manière était la naissance et l’affirmation, inédite, d’un fascisme américain ?
« Moins de deux mois après la prise de fonctions de Donald Trump aux États-Unis, la stupeur a gagné la planète devant le tourbillon des déclarations, des annonces et des mesures prises en cascade par le nouveau pouvoir américain. Avec, en filigrane, une question constamment posée : de quoi ce « trumpisme » nouvelle manière – le second mandat du président américain s’annonçant très différent et bien plus radical que le précédent – pourrait-il être le nom ?
Poser des mots exacts sur les choses est toujours important. Alors, osons cette question : et s’il s’agissait de la naissance et de l’affirmation, inédite, d’un fascisme américain ? On se doute qu’une telle suggestion pourra choquer. Depuis plusieurs décennies désormais, on taxe de « fascisme » des phénomènes politiques ou des individus dont les paroles ou les actes n’ont strictement rien à voir avec ce que les historiens identifient comme le « fascisme », au point qu’une telle étiquette semble avoir perdu tout véritable sens. Mais précisément, tout ne se passe-t-il pas comme si nous avions été incapables de discerner à quel point la nouvelle forme de pouvoir politique incarnée par Trump et son entourage accumule de traits caractéristiques du fascisme « historique » ?
Pour pouvoir cristalliser, le phénomène fasciste exige un chef, un certain type de chef plus exactement : Donald Trump en est un, indiscutablement, à travers son culte de la force, son « virilisme », son sens politique aigu, sa maîtrise du dialogue avec les foules. Et les foules, justement, sont bien au rendez-vous : car ce sont elles aussi qui font le fascisme, et le président américain a su susciter une ferveur véritable, aussi profonde qu’irrationnelle, chez des millions de ses partisans. Des partisans dont une partie se montre capables d’une grande violence politique – potentiellement meurtrière – comme l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021 l’a démontré.
Mais le fascisme n’est pas seulement un mélange d’autoritarisme, de xénophobie exacerbée, de culte de la force, de protectionnisme à l’intérieur et d’impérialisme conquérant à l’extérieur (autant de traits caractéristiques, en effet, du début de ce deuxième mandat). Ce qui le distingue du conservatisme traditionnel, ou même d’autres mouvements d’extrême droite, est sa composante révolutionnaire.
Or, à en juger par ces premières semaines de pouvoir, cette dimension révolutionnaire semble bien à l’œuvre dans les propos comme dans les actes déployés par Trump : attaque frontale contre l’appareil administratif de l’État, mise en cause frontale du pouvoir judiciaire, expulsion massive des émigrés en situation irrégulière, attaque déterminée contre toutes les évolutions sociétales des années antérieures, etc.
Si un tel processus de mise en cause des équilibres institutionnels et sociétaux américains devait se poursuivre à l’avenir, et si toutes les mesures annoncées devaient se réaliser de manière effective, apparaîtrait une tout autre Amérique que celle que nous connaissons. Une Amérique où l’énergie révolutionnaire mise en œuvre à la tête de l’État est mise au service d’une contre-révolution radicale.
Face à cette lame de fond, la société américaine semble se rendre, comme tétanisée par l’agression politique et idéologique dont elle est actuellement la cible. Une telle reddition, qu’il faut espérer provisoire, caractéristique de toute prise en main d’une société par le fascisme, n’est pas la moins inquiétante. »
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