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Après des années de débats internes, les « primacistes » semblent avoir imposé leur doctrine impériale au sein du Parti républicain. Ils sont partisans d’une projection américaine maintenue dans le monde, avec des réformes pour renforcer le leadership des États-Unis au sein du bloc impérial otanien. S’ils parviennent à la consolider au-delà de 2028, cela marquera un changement radical dans la projection internationale des États-Unis.
Politique étrangère : les trois options de Trump
Les États-Unis traversent une période incertaine, bien que facilement identifiable, depuis la victoire de Donald Trump en 2024. Le virage dans leur approche impériale – et donc dans leur politique étrangère – est profond et nécessitera, pour être effectif, une pérennisation des lignes directrices du mouvement Make America Great Again (MAGA). Reste à savoir si Trump y parviendra, car cela supposera de consolider son pouvoir – et, plus encore, son projet – au-delà de 2028.
Pour systématiser cette politique étrangère trumpiste, Trump a trois options, chacune avec ses avantages et ses complications. Premièrement, il pourrait simplement bien choisir son « successeur » (peut-être son vice-président JD Vance ou Marco Rubio) et remporter les élections en 2028, un scénario plausible au vu des sondages, bien qu’il soit encore trop tôt pour le prédire avec certitude.
Il est évident que la nouvelle doctrine internationale proposée par Trump constitue un point de rupture dans le comment et le quoi de l’impérialisme américain.
Si 2028 s’avère compliqué, le trumpisme devra opter pour l’une des deux alternatives suivantes : soit accélérer le processus de rupture institutionnelle engagé depuis son retour à la Maison-Blanche, au point de se maintenir au pouvoir même en cas de défaite électorale ; soit tenter une « thatchérisation » de ses consensus fondamentaux sur le plan impérial, de sorte que le nouveau Parti démocrate, reconstruit après la crise interne qu’il traverse aujourd’hui, valide la politique étrangère du second mandat de Trump et la poursuive globalement une fois de retour aux affaires.
Quoi qu’il en soit, il est clair que la nouvelle doctrine de Trump marque un tournant dans la nature et les méthodes de l’impérialisme américain. Pour comprendre ce changement, il faut saisir les débats internes qui ont agité le trumpisme – et par extension le Parti républicain – pendant les quatre années d’opposition au gouvernement Biden.
Trois courants principaux se sont disputés la direction de la politique étrangère du « futur » gouvernement Trump en cas de victoire du magnat en novembre 2024 : les isolationnistes, les prioritaires et les primacistes. Ces trois « âmes » de l’impérialisme trumpiste partageaient certains traits communs, comme l’obsession de la Chine ou le mépris des politiques environnementales. Mais elles divergeaient sur des aspects cruciaux. La nomination de Marco Rubio au poste de secrétaire d’État a donné des indices sur une volonté de recentrer les efforts sur le « voisinage naturel » des États-Unis : l’Amérique.
Son éditorial An Americas First Foreign Policy dans le Wall Street Journal, publié le 30 janvier 2025, reflétait la ligne apparemment victorieuse de cette lutte entre les trois factions : les primacistes, une position « intermédiaire » entre l’isolationnisme et le continuisme. Ce « juste milieu » n’a rien de modéré : il rompt avec de nombreux consensus de la politique étrangère américaine depuis la fin de la Guerre froide.
Les primacistes priorisent la rivalité avec la Chine, considérée comme l’enjeu stratégique suprême des États-Unis, et établissent une hiérarchie dans le reste du monde.
D’un côté, les isolationnistes, favorables à la rupture de la plupart des alliances militaires à travers le monde. Leur credo repose sur le « découplage » de Washington des conflits internationaux, incluant un retrait de l’OTAN et un abandon total de l’Ukraine ou de la Syrie. Steve Bannon, l’un des idéologues historiques du mouvement MAGA (Make America Great Again), a longtemps porté cette ligne.
De l’autre, les primacistes, partisans d’une projection américaine maintenue dans le monde, avec des réformes pour renforcer le leadership des États-Unis au sein du bloc impérial otanien. Pour ce courant, incarné par l’ex-candidate Nikki Haley, Washington doit s’engager militairement de manière plus brutale en Ukraine, à Taïwan ou en Corée, considérant ces conflits comme des tentacules de la lutte contre la Chine.
Les primacistes ont-ils gagné ? Entre les deux, les prioritaires, dont la perspective semble l’avoir emporté dans l’administration Trump. Ils placent la rivalité avec la Chine au sommet des intérêts stratégiques américains et hiérarchisent le reste du globe. L’implication de Washington dans les affaires internationales dépendra de leur pertinence dans la confrontation avec Pékin. Ainsi, l’Asie-Pacifique reste une région clé, tandis que l’Europe ou l’Afrique devraient être abandonnées, totalement ou partiellement.
Cette décision du nouveau gouvernement Trump est stratégique et constitue un revirement majeur dans l’approche impériale des États-Unis, basée depuis des décennies sur un contrôle total du monde via un système d’alliances plaçant Washington au sommet d’une pyramide collective. Certaines régions comptaient moins, mais aucune n’était laissée à son sort.
Quand les États-Unis partiront, l’Europe sera en première ligne face à Moscou ; Washington se désengagera, et le ton envers la Russie reposera sur les Européens.
Le temps précisera la ligne « primaciste » de Trump, mais ses deux premiers mois au pouvoir en ont déjà clarifié les dynamiques. L’Asie-Pacifique reste central ; l’Amérique gagne en importance dans un « repli » impérialiste incluant des menaces contre le Canada, le Panama, le Mexique ou le Venezuela ; le Moyen-Orient devient une nuisance, car les États-Unis veulent le quitter pour laisser Israël y défendre leurs intérêts, mais les crises provoquées par Tel-Aviv et Washington eux-mêmes empêchent ce retrait. L’Europe, l’Asie centrale et l’Afrique deviennent des zones secondaires.
Pour l’Europe, ce virage impose une refonte des liens avec Washington. D’abord, parce que les États-Unis la voient comme une concurrente économique et entendent défendre leurs intérêts au détriment des économies du Vieux Continent. Ensuite, parce que le retrait américain de l’Europe de l’Est ne sera pas temporaire si les républicains se maintiennent après 2028.
Si le primacisme s’impose, la subordination européenne à la ligne belliciste de Washington contre la Russie passera de l’humiliation au drame. Trump ne compte pas garantir la sécurité de l’Ukraine. Au contraire, il attend que l’Europe définisse seule son rapport à Moscou. Le primacisme américain laisse l’Europe « seule » face à la Russie, rendant urgent un reset des relations pour établir une cordialité diplomatique permettant la paix sur le continent.
Par Eduardo García Granado
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