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Galvanisés par des victoires récentes mais inquiets pour le pays, plusieurs centaines de milliers d’Américains ont battu le pavé à New York, samedi, dans le cadre de la plus grande mobilisation anti-Trump depuis le début de son second mandat. Les motifs d’inquiétude étaient innombrables.
Manifestation anti-Trump : « Il y a tellement de choses qu’on ne peut pas tout mettre sur un morceau de carton »
Au lendemain de la seconde investiture de Donald Trump en janvier, Mary Blanchet participait à une marche contre le retour au pouvoir du milliardaire. « Il n’y avait pas grand monde », admet-elle volontiers. Mais près de trois mois plus tard, le vent a tourné.
Samedi 5 avril, la New-Yorkaise est descendue dans la rue pour participer à l’opération « Hands off ! » (« Bas les pattes ! ») décrite comme la plus grande mobilisation du second mandat de Donald Trump. Plus de 1 400 événements, avec 250 000 inscrit·es, étaient organisés dans tout le pays et à l’étranger, à l’appel de différents groupes, comme les mouvements pro-démocratie 50501 et Indivisible, pour manifester contre les politiques du républicain et son riche complice Elon Musk.
À New York, des dizaines de milliers de personnes ont défilé sur la 5e Avenue, brandissant des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Le silence n’est pas une option », « Pas touche à la démocratie » ou encore voir des photos retouchées des deux hommes en uniformes nazis.
Même des images de pingouins ont fait leur apparition, clin d’oeil aux îles australiennes Heard-et-MacDonald devenues le symbole de l’incompétence du locataire de la Maison-Blanche. En effet, exclusivement peuplées de ces oiseaux de mer, elles se sont mystérieusement retrouvées sur la liste des territoires visés par ses droits de douane de 10 %.
« On a l’impression de renouer avec l’énergie de la première Marche des femmes », se félicite Mary Blanchet, en référence à la gigantesque manifestation qui a eu lieu après l’entrée en fonction de Trump en 2017. Acte fondateur de la « résistance », celle-ci avait rassemblé autour de 1 % de la population états-unienne dans plusieurs grandes villes. « La démocratie américaine est en danger et la Russie se frotte les mains. Chaque jour apporte son lot de raisons d’être en colère, souffle-t-elle. Le mécontentement ne peut que grandir. »
L’opération clôt une bonne semaine pour le camp anti-Trump. Lundi et mardi, le sénateur démocrate du New Jersey, Cory Booker, a livré un discours de vingt-cinq heures devant ses collègues pour condamner les actions du gouvernement. L’exploit oratoire a requinqué des sympathisant·es démocrates qui se lamentaient de l’inaction de leurs représentant·es au Congrès.
Mardi, la gauche a connu un succès électoral majeur : l’élection de la juge progressiste Susan Crawford à la Cour suprême du Wisconsin, l’un des « swing states » de la présidentielle que Donald Trump a remporté en 2016 et 2024. Elon Musk avait déboursé plus de 20 millions de dollars pour soutenir le candidat conservateur et s’était rendu sur place pour faire campagne avec un chapeau en forme de fromage (le produit local phare) sur la tête. Mais ses millions n’ont pas été suffisants. La juge Crawford a dépassé les scores de Kamala Harris dans cet État clé pour s’imposer facilement face à son adversaire.
Le même soir, en Floride, les candidats républicains ont remporté deux élections législatives partielles dans des circonscriptions qui leur étaient acquises, mais avec une avance moins importante que celle de Donald Trump sur Kamala Harris en novembre 2024. Un autre avertissement lancé au Parti républicain avant les scrutins de mi-mandat de 2026 qui verront le renouvellement de la Chambre des représentants et d’une partie du Sénat.
Le lendemain, Donald Trump faisait un cadeau en or à ses opposant·es en dévoilant des tarifs douaniers de 10 % sur l’ensemble des importations et des taux majorés pour des dizaines de partenaires commerciaux, dont l’Union européenne. Le geste radical a entraîné une dégringolade des bourses et de vives inquiétudes autour de l’augmentation du coût de la vie outre-Atlantique, alors que le candidat Trump avait fait de la lutte contre l’inflation le thème central de sa campagne.
Rencontré à Bryant Park, le parc new-yorkais qui servait de point de départ à la marche de samedi, Juan Diserio descendait dans la rue pour la première fois. « Quand Donald Trump a été réélu, beaucoup de gens pensaient qu’il n’allait pas changer grand-chose. Ils ont ignoré les avertissements. Mais aujourd’hui, on ne peut plus penser cela », explique l’étudiant, vêtu d’un t-shirt du drapeau états-unien.
Lui a décidé de se mobiliser après le démantèlement du ministère de l’éducation, mais à en juger les pancartes autour de lui, les motifs d’inquiétude étaient divers et variés : la remise en cause du système de sécurité sociale et de l’assurance publique Medicare, les attaques contre les transgenres, les scientifiques, les migrant·es, la presse, le Canada… « Il y a tellement de choses qu’on ne peut pas tout mettre sur un morceau de carton », a écrit une manifestante avec le sens de l’humour sur sa pancarte.
Sue Collins, elle, s’excuse d’être américaine quand on lui dit qu’on est français. « Ce pays est sur le point de devenir la Russie ! » « Hands off ! » est sa deuxième manifestation depuis le retour au pouvoir de l’ex-homme d’affaires. Le mois dernier, elle a donné de la voix devant un concessionnaire Tesla dans le cadre de « Tesla Takedown », une campagne née sur le réseau social Bluesky en réaction aux coupes drastiques effectuées par Elon Musk et son département de l’efficacité gouvernementale (Doge) dans le budget et les effectifs de la fonction publique fédérale.
Elle assure que l’opposition à Donald Trump « prend de l’ampleur », notamment dans les petites villes. Elle en veut pour preuve les scènes de colère virales qui ont émaillé de nombreux « town halls », ces rencontres publiques organisées par des élu·es républicain·es. Ou encore… son propre frère, qui habite à Buffalo, à la frontière entre les États-Unis et le Canada. « Il n’est pas militant, mais il est lui aussi descendu dans la rue avec une grosse pancarte contre le fascisme et s’est rendu à la frontière pour témoigner de sa solidarité avec le Canada. »
Historien et maître de conférences à l’université Johns-Hopkins, Tristan Cabello tord le cou à une idée reçue. « La résistance à l’administration Trump n’a jamais cessé. Parfois moins visible, souvent peu relayée, elle n’a pourtant pas faibli. En 2025, les manifestations anti-Trump ont été plus nombreuses qu’au même moment en 2017 », explique-t-il en citant les chiffres de Waging Nonviolence, un média spécialisé dans les mouvements sociaux. Celui-ci note que les mobilisations de masse du premier mandat ont laissé la place à des actions plus petites mais fréquentes (contre Tesla, Doge, la police de l’immigration, etc.).
Ce mécontentement, qui s’est développé en marge du Parti démocrate, peut-il profiter à la formation politique, minoritaire au Congrès ? Tristan Cabello en doute. « Il reste trop souvent sourd aux dynamiques sociales qui traversent le pays. La campagne de Kamala Harris illustre cette distance. Elle n’a pas su capter les élans populaires : ni le soutien massif à la cause palestinienne, ni les mouvements de syndicalisation chez Amazon et Starbucks, ni les mobilisations écologistes portées par la jeunesse, analyse-t-il. Ce décalage entre l’establishment démocrate et les mouvements sociaux empêche toute transformation politique réelle. Tant que le parti refusera d’écouter celles et ceux qui se battent sur le terrain, il restera incapable de canaliser la colère qui monte. Et pourtant, elle pourrait être si mobilisatrice ! »
Steve Snoyer, un manifestant, trouve que les élu·es démocrates au Congrès ont été « trop conciliants » envers Donald Trump jusqu’à présent. Il pense surtout à Chuck Schumer, leur chef de file au Sénat. À la mi-mars, le dirigeant new-yorkais de 74 ans, un vétéran de Washington, s’est attiré les foudres de celles et ceux qui défendent l’idée d’une opposition systématique au leader populiste, vu comme un dictateur en herbe. Ils et elles lui reprochent d’avoir donné son feu vert à l’adoption d’une mesure budgétaire controversée voulue par les républicain·es pour éviter la fermeture partielle des services publics.
Steve compte sur une nouvelle génération d’élu·es pour mener le combat, à l’image des députées Alexandria Ocasio-Cortez (35 ans) et de Jasmine Crockett (44 ans), ou du sénateur Chris Murphy (51 ans), qui se sont distingué·es par leur vive contestation des politiques de la Maison-Blanche. « Au début, certains démocrates pensaient qu’ils pouvaient travailler avec Trump et Musk, mais cette stratégie est vouée à l’échec. Nous ne pouvons plus faire de la politique comme avant. »
Pendant que Steve et les autres marchaient pour sauver la démocratie, Donald Trump jouait au golf en Floride. Restera-t-il sourd aux revendications d’une partie de l’Amérique ? Tristan Cabello rappelle qu’en 2018, sa politique de séparation des familles migrantes à la frontière avait provoqué une telle vague d’indignation qu’il s’était senti obligé de faire machine arrière. « Dans un système institutionnel souvent bloqué, ce sont les mobilisations citoyennes qui forcent les lignes. Ce sont les gens, et non les élites, qui imposent parfois des limites aux dérives autoritaires. Ce sont leurs valeurs, leur persistance, leur refus de l’inacceptable, qui tiennent lieu de garde-fou quand les institutions démissionnent. »
Alexis Buisson
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