Gaza n’est pas une « tragédie »

jeudi 1er mai 2025.
 

Les bons mots, sont bien peignés. Pour que ça passe. Pour que ça saigne propre. Pour qu’on regarde sans voir. Pendant qu’on crame des gosses. Pendant qu’on filme. Pendant qu’on vend. Y’a pas de fatalité. Y’a des bombes. Y’a des bourreaux. Et y’a nous, là, à planquer nos flingues derrière les adjectifs.

Depuis des mois, c’est ça qu’on lit : “la catastrophe humanitaire s’aggrave à Gaza” ; “une tragédie en cours”. Tragédie, catastrophe, tragédie… Que de mots soignés, polis et bien élevés, pour éponger les marées de sang. De jolis termes qui mettent Gaza en scène, avec l’objectif de laisser les coupables hors-champ.

Car une tragédie, c’est quoi ? C’est un destin. C’est l’inéluctable. Antigone enterrée vivante parce que c’était écrit. Une catastrophe, pareil : mot grec, “renversement”, “événement funeste” – indépendant de la volonté humaine. Un ouragan. Un tremblement de terre. Quelque chose qu’on subit, impuissants.

Et voilà. C’est exactement ce qu’on nous vend. L’idée que ce qui se passe à Gaza ne peut pas être empêché. Que les Palestiniens étaient faits pour mourir. Que c’est tragique, certes, mais bon…

Mais Gaza ne meurt pas sous la fatalité. Gaza meurt sous les bombes. Gaza meurt parce que depuis des décennies on a décidé de l’étrangler. Il y a des drones, des tanks, des murs, des sièges prolongés, des enfants carbonisés, des journalistes sciemment assassinés, des hôpitaux ciblés. Il y a Israël, oui. Mais il y a aussi ceux qui fournissent, ceux qui votent au Conseil de sécurité, ceux qui la ferment. C’est un génocide complet, à ciel ouvert, en HD. Or dire “tragédie” ou “catastrophe”, c’est donner un blanc-seing en prétendant regarder. Mais comment s’étonner de ces choix lexicaux ? Typiquement occidental : maquiller un massacre en tragédie grecque, transformer l’extermination en mise en scène esthétique, ériger la violence en opéra.

Ainsi “Tragédie” et “Catastrophe” sont nos alibis. Nos armes sémantiques pour raconter la mort sans parler des tueurs. Pour faire croire que tout ça est hors de portée, alors que tout est organisé, soutenu, délibéré, donc évitable et nous coupables.

Tragédie, sert donc à parfumer le charnier, à repasser les draps du crime, pour massacrer encore – à coups de syntaxe. Et si nous en sommes à transformer un génocide en œuvre d’art, qui sommes nous ? À part des monstres qui se rincent les yeux sur des cadavres en citant Sophocle ?

Léane Alestra

Journaliste société à Manifesto XXI, spécialiste des questions de genre (Paris 8) essayiste, et fondatrice de Mécréantes.

https://blogs.mediapart.fr/leane-al...[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20250421-173322&M_BT=1489664863989


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