Traité d’Amsterdam : Intervention de Julien Dray à l’Assemblée Nationale le 25 novembre 1998

samedi 11 février 2006.
 

En1992, notre Assemblée a déjà voté une révision constitutionnelle pour adapter notre Loi fondamentale à nos engagements européens. Il est tentant de dire "puisque nous l’avons fait une fois, il n’y a donc aucun risque à le faire de nouveau".

En 1992, j’ai approuvé la modification constitutionnelle parce que j’estimais que la ratification du Traité de Maastricht était nécessaire.

Ce Traité contenait déjà les fameux critères de convergence et l’édification de l’Union Économique et Monétaire se réalisait sous l’égide du libéralisme économique. Mais la démarche qui guidait alors beaucoup d’entre nous avait une cohérence.

La mutation du capitalisme dans un nouvel âge financier transnational avait rendu trop étriqué l’espace de l’Etat-nation comme seul cadre de régulation du marché. Afin que les politiques économiques de redistribution des richesses ne se heurtent plus systématiquement à la "contrainte extérieure " -comme ce fut le cas pour la gauche en 81 et 82 - seule l’unification des politiques du continent européen permettait d’organiser une résistance à la mondialisation libérale.

Le pari de Maastricht pouvait se résumer en ces quelques mots : conjoncturellement, la France devait accepter, jusqu’à l’unification monétaire, des contraintes en échange d’une perspective de coordination des politiques économiques et de solides avancées dans la voie d’une intégration politique démocratique.

Hélas, il n’en a rien été. Ce pari a échoué.

De directives en directives, de sommets en Conseil Ecofin, de Dublin à Luxembourg, l’intégration économique n’a pas produit mécaniquement d’intégration politique. Au contraire. Pire même : l’Europe est aujourd’hui devenue la place forte, le Fort KNOX, de tous les sergents du monétarisme, de tous les généraux de la rigueur et de tous les maréchaux de la guerre contre les déficits.

La démonstration en est faite aujourd’hui par le Traité d’Amsterdam.

La cohérence du dispositif qu’il met en place est diabolique. Le Traité repose sur un triptyque sans faille :

* vide démocratique, * Pacte de stabilité budgétaire, * indépendance totale des autorités monétaires.

Les deux derniers termes de ce triptyque, Pacte et Banque Centrale, fondent une véritable Constitution économique.

Ils prorogent ad vitam aeternam la rigueur des critères de convergence de Maastricht. Les gouvernements et les peuples perdent ainsi définitivement la faculté de choisir leur politique économique. Les 3% deviennent une règle intangible dont aucun exécutif, dont aucun Parlement, en dépit de la légitimité qu’ils tirent du suffrage universel direct, ne pourront s’affranchir sous peine de sanctions.

Le fonctionnement de la Banque Centrale Européenne n’est pas moins rigide. J’en veux pour preuve le sort qui a été réservé aux souhaits, ou plutôt aux suppliques, d’Oscar LAFONTAINE qui demandait une baisse des taux pour faire face à la crise financière venue d’Asie. Le malheureux s’est heurté à une fin de non recevoir de la Dream Team du libéralisme que composent les banquiers centraux TRICHET, TIETMAYER et DUISENBERG.

Dépossédés de leur souveraineté monétaire et budgétaire, les Etats nations n’auront plus comme seule solution que de flexibiliser leur marché du travail et de démanteler leur système collectif de protection sociale pour réagir aux chocs économiques. C’est ce que prévoient les conclusions de la Présidence du Sommet d’Amsterdam.

Ce qui se déroule donc sous nos yeux et que l’on nous demande d’avaliser, n’est ni plus ni moins la constitution d’un vaste marché du travail jetable.

Ne nous y trompons pas. Le Traité d’Amsterdam ne contient aucune avancée politique et cela n’est ni anecdotique, ni le résultat du hasard.

Les travaux de la Conférence inter-gouvemementale ne se sont pas conclus par des progrès institutionnels, précisément parce que le bon fonctionnement de cette Constitution économique rigide a pour corollaire le vide démocratique.

C’est ce qu’entérine le Traité. Il permet au capital de mener à bien le rêve qu’il caresse depuis tant d’années : Débarrasser pleinement la sphère économique de toute intervention politique des citoyens et de toute réglementation sociale. Plus de citoyens, plus de responsables politiques, bref, plus rien qui ne puisse édicter des règles proclamant la loi de l’intérêt général sur l’intérêt des plus riches et des plus fortunés.

Je sais que beaucoup sur ces bancs sont sensibles à ces arguments. Ils ont pourtant la conviction qu’il ne s’agit que d’un mauvais moment à passer et qu’il sera toujours temps de construire l’Europe sociale. Mais cette croyance ne résiste pas à la réalité des faits. Le libéralisme ne nous a pas habitués aux miracles sociaux.

Ne nous trompons pas. Le Traité d’Amsterdam fait sens. On attendait de ce sommet qu’il donne enfin naissance aux premiers pas d’une Europe politique, et, en fait, il en est l’acte de décès dont les épitaphes sont : rigueur budgétaire, discipline monétaire, flexibilité sociale.

Alors vous nous proposez une révision constitutionnelle qui va permettre d’organiser des transferts de souveraineté.

Paradoxe ultime, pour ratifier cette constitution économique, on fait un détour qui va permettre de mettre en place ce que les lois Pasqua n’étaient pas parvenues à faire dans cet hémicycle.

Demain, prenons garde que, à la majorité qualifiée, le Conseil des Ministres, puis la Commission, puis par ricochet, la Cour de Justice, n’imposent à la France la suppression des limites fixées par le juge constitutionnel en matière de politique d’immigration. Qui peut croire ici que l’harmonisation des politiques d’immigration se fera sur le modèle des lois les plus progressistes ? Il y a fort à parier que notre pays, minoritaire sur le sujet à la table du Conseil des Ministres, se verra imposer une harmonisation par le bas.

A la dérégulation s’ajoute donc, au travers droits des individus et des libertés publiques.

Des transferts de souveraineté au profit d’instances élues procédant de la souveraineté populaire, voilà la voie d’une véritable Europe adossée à une Constitution Européenne au socle social et démocratique, capable de se doter d’un véritable fondement politique.

En matière de démocratie sociale et politique, la République nous a appris que tout commence par la Constitution. Dans une telle Europe, où les décisions se prendraient dans l’enceinte d’un Parlement souverain, chacun pourra défendre ses idées, qu’elles recueillent l’assentiment général ou qu’elles soient minoritaires.

Mais ce texte tourne le dos à cette perspective et nous propose d’abandonner notre souveraineté au profit d’instances technocratiques avec l’extension des domaines soumis à la règle de la majorité qualifiée.

Voilà pourquoi je refuse cette révision et cette ratification.

A ceux de mes collègues de la majorité qui pensent se rassurer sur les risques du Traité d’Amsterdam en se disant que la gauche est aujourd’hui au pouvoir dans 13 des 15 pays de l’Union, je rappelle cette petite histoire : Celle de ces arbres de la forêt qui, voyant entrer le bûcheron, se sont tous rassurés en disant " Celui-ci ne peut pas nous faire de mal, car voyez le manche de sa hache : il est fait du même bois que nous ".


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