Au cinéma ce soir : La graine et le mulet

lundi 24 mars 2008.
 

Devant le ciné, une file comme jamais.Tu te dis que voilà un public de bon ton, qui va voir un film tout pareil, vu qu’il a glané tous les César, grands et petits. Chic, on va passer une belle soirée, avec du cœur, des larmes, des rires. Une vraie soirée de cinoche. Plus tu avances dans la file, plus tu te rends compte que pas un n’achète le même billet que toi.

Ils veulent tous voir LE phénomène du cinéma français, Dani Boon soi-même. Pour ma part, je ne me bouscule pas, vu que, le Nord, les Chtis, tout ça, j’en ai plein ma famille et que deux à trois fois par an, le film, on se le fait en direct pour des fêtes à exploser les carreaux jusqu’en Belgique. Chaleur humaine et le tremblement, on connait, on aime bien, on est bien là-haut, on y va, on y retourne, les gens nous accueillent, nous font même l’amitié de nous trouver plus drôles qu’eux, on se marre, on boit des coups, on mange des tartes au Maroilles, le film je sais pas, mais la vraie vie, là-haut, c’est plutôt sympa. Ça faisait bizarre, à la sortie du ciné d’entendre tous ces Sarregueminois s’essayer à l’accent de « ch’nord ». Il paraît même qu’il y a des gars qui vont tout exprès dans le patelin en question pour se faire tirer le portrait devant la cabane à frites... remarquez, j’ai bien vu toute une famille, un matin, prendre des poses devant... la gendarmerie de Saint Tropez. Je vous promets que c’est vrai... Plus rien ne m’étonnera du spectateur en groupe.

Tout ça pour vous dire que le film que j’ai aimé ce soir-là, ce n’était pas « Bienvenue chez les Chtis ! ». C’était une merveille de cinéma, deux heures trente de bonheur pur, une histoire de femmes, d’hommes, d’amour et d’espoir, de gens qui essaient de s’en sortir et cette saleté de vie qui essaie de les en empêcher. Un type, la presque soixantaine, il se retrouve chômeur sur le port de Sète. Histoire compliquée. Il a des enfants d’un côté, et une chouette copine de l’autre. La fille de la copine, une petite épatante, elle va le pousser à s’inventer une vie toute neuve. Avec un rafiot qu’on rafistole, on fabrique un restaurant de couscous. Au poisson le couscous, ils sont tunisiens. Vous verrez, dans ce film-là, on dit tout, les filles qui aiment leur père et ne savent pas le lui dire, (et même que c’est largement réciproque...), l’amour qui dure malgré les années et le divorce, ou en tous cas la tendresse, la lâcheté des hommes qui font pleurer les femmes qui les aiment, les enfants ingrats, la solidarité, les gamins qui croient faire une bonne farce au « vieux » et ne savent pas qu’ils écrivent le drame de tout un groupe, les repas du dimanche qui n’en finissent plus, avec des secrets, des complicités, des copains qui se moquent, et des copines qui chantent, et ceux qu’on appellerait des « petits blancs », petits employés de banque imbus d’un pauvre pouvoir qu’ils croient détenir, suprême jouissance du médiocre qui tient entre ses doigts la vie et les espoirs de plus pauvre que lui, petits commerçants qui se gobergent aux frais de ceux qu’ils s’empresseront de ruiner sitôt la dernière cuillerée de semoule engloutie, ou presque, petites bourgeoises envuittonnées même pas bobos, avides de sensations fortes entre deux pince-fesses et l’odeur de fuel aphrodisiaque. L’humanité tout entière filmée par un magicien, des regards, des pleurs, des mots. Et la montée chromatique vers une fin que l’on sent venir, inéluctable, comme au cinéma...

Voilà, mes camarades. La grande salle des chtis était pleine à craquer. Nous étions sept pour voir « la Graine et le Mulet », bardé de prix, même si ce n’est pas et de très loin une assurance sur la qualité du spectacle. Il ne s’agit pas ici de porter de jugement de valeur. Dans les deux cas, un homme a voulu toucher un public. Dans les deux cas, il y a réussi. Sauf que pour l’un, le lendemain, on retirait les affiches. Faut faire du chiffre. Faut faire du blé. Avec le blé, on fait la graine... Et la France veut se marrer.

brigitte blang


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