POUR UNE GAUCHE ECOLOGISTE ET SOCIALE par Denis SIEFFERT

jeudi 8 mai 2008.
 

Quand on a 20 ans et mille parutions derrière soi, il est temps de se soucier de son avenir. « Dis, jeune Politis, que feras-tu quand tu seras enfin adulte ? » Mais le développement d’un journal ne suit pas les lois de la biologie. La presse qui nous occupe, et nous passionne, est tributaire d’autres cycles, moins linéaires, qui sont ceux de la politique. C’est en cela que le bilan de Politis peut être intéressant. Il ressemble comme deux gouttes d’eau à celui de la gauche sociale et écologiste. L’éclosion se fait attendre... mais nous sommes bien vivants, et cette résistance a évidemment un sens. Certes, si l’on voulait sourire cruellement à nos dépens, on résumerait ces vingt ans à deux chiffres, deux scores de candidats que notre journal a soutenus : 1988, Juquin 2,1 %, et 2007, Bové 1,3 %.

Arithmétique meurtrière ! Et, au cas où cette brutale réalité n’aurait pas eu raison de notre instinct de survie, nous pourrions encore invoquer les récentes élections italiennes et l’échec électoral de la toute jeune coalition Arc-en-ciel. Fort heureusement, nous savons que les urnes sont trompeuses et qu’elles ne rendent pas compte fidèlement des évolutions politiques. Ainsi, le Parti démocrate italien a continué de capter bon gré mal gré les voix de la gauche, alors que lui-même ne se réclame plus ni du socialisme, ni de la social-démocratie, ni même de la gauche. Nous savons que d’autres réalités, qui ne sont pas électorales, sont à l’œuvre au tréfonds de nos sociétés.

En vingt ans, l’espace d’une gauche sociale et écologiste n’a cessé de s’étendre. Cela en raison de l’évolution vers la droite des partis socialistes européens. Un glissement constant et vraisemblablement irréversible qui a son explication économique (l’argent et le pouvoir sont du côté de la mondialisation libérale), mais qui délaisse une part de plus en plus importante de l’opinion. Parallèlement, la prise de conscience des ravages du capitalisme financier ne cesse de gagner du terrain. Nous sommes tous les jours plus nombreux à comprendre que le monde marche sur la tête. Que l’appât du gain et des surprofits, qui va de pair avec les hymnes à la croissance, ne fait qu’aggraver la crise. Avec la famine, l’aveuglement n’est plus guère permis. Bernard Langlois rappelle dans son bloc-notes combien, il y a vingt ans, le discours d’un René Dumont était marginal et paraissait incongru. Il est aujourd’hui, par la force des choses, sur la place publique.

Avec sincérité, ou par feinte, le néolibéralisme est partout en accusation. Or, voilà le grand paradoxe : les forces politiques qui s’interrogent sur la croissance, sur le consumérisme, sur nos modes de vie, sur un autre partage des richesses, et au total sur la remise en cause réelle du néolibéralisme, restent peu audibles. Nous, citoyens des démocraties occidentales, sommes aujourd’hui en proie à une sorte de schizophrénie. Nous avons pris conscience de beaucoup de choses, mais nous continuons de voter pour des partis politiques qui n’ont rien intégré des leçons récentes de l’histoire, sauf à tenter de les récupérer par une habile communication.

Il y a encore trente ans, au lendemain des Trente Glorieuses, il était facile d’établir des correspondances entre les grandes formations politiques et leur base sociale. Cette lecture est pour le moins malaisée aujourd’hui. La politique retarde. Mais cette crise de représentation aura une fin. Celle-ci sera positive, avec l’éclosion d’une force suffisamment visible et audible pour définir une offre politique en rupture avec les grandes logiques dominantes. Ou elle sera tragique avec une dépolitisation générale de nos sociétés, le renoncement à toute citoyenneté, le repli individuel dont on ne sortirait plus - ultimes élans collectifs - que pour de sanglantes jacqueries, et pour de grandes quêtes humanitaires.

Soyons-en sûrs, l’alternative entre ces deux issues ne mettra pas vingt ans à se dénouer. L’inadéquation entre les formes politiques et les urgences écologistes et sociales est l’une des grandes affaires de l’époque. Nous sommes convaincus qu’une partie de la réponse réside dans l’esprit de responsabilité de tous ceux qui partagent ce diagnostic. Ceux-là doivent, devant l’urgence, se parler, se coordonner, créer sans attendre une structure commune dans laquelle il n’est demandé à personne d’abjurer ses convictions, ni de dissoudre sa propre formation, ni de faire le sacrifice de soi sur l’autel de la collectivité, ni de renoncer à sa part d’initiative. Politis relaiera tout ce qui ira dans ce sens. Nous invitons nos lecteurs à réagir à ces propositions et à nous dire la place que leur journal, selon eux, doit y prendre.

N. B. : Les délais de bouclage ne nous ont pas permis de consacrer la place voulue au 30e anniversaire de l’assassinat, toujours non élucidé, du militant anticolonialiste Henri Curiel. Mais nous participerons dimanche 4 mai, à 15 h, à l’appel de nombreuses organisations, au rassemblement devant le 4 de la rue Rollin (Paris Ve).


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