Gauche radicale, chiche ! Réponse LCR à la tribune de Clémentine Autain, Luc Boltanski, Elisabeth Claverie, Frédéric Lebaron, Michel Onfray, Arnaud Vivian

mardi 10 juin 2008.
 

C’est bien volontiers par cette réponse à votre "adresse" publique (Le Monde du 30 mai) que nous engageons le débat sur notre initiative visant à lancer un "nouveau parti anticapitaliste". Le Parti socialiste dérive vers un parti démocrate à l’américaine, tandis que le Parti communiste se détermine en dernier ressort par l’alliance électorale avec celui-ci. Si le PS semble bien en peine de s’opposer avec efficacité aux politiques brutales imposées par Nicolas Sarkozy, c’est parce que, accélérant sa mutation néolibérale, il partage désormais avec la droite une vision analogue de la société.

L’anticapitalisme est alors pour nous la valeur cardinale autour de laquelle doit se réorganiser une vraie gauche. Nous entendons par anticapitalisme les luttes du monde du travail contre l’exploitation, une nécessaire rupture écologiste avec un capitalisme destructeur des ressources naturelles, les aspirations individuelles à la reconnaissance et à la créativité bafouées, comme le combat contre toutes les formes de domination et d’oppression. L’anticapitalisme n’est pas une posture défensive, mais la proposition d’une rupture avec ce système, appelant la construction d’une autre société.

Avons-nous toutes les réponses et un projet clés en main pour répondre à ce défi ? A l’évidence, non ! Et c’est d’ailleurs un des objectifs de ce parti d’élaborer le programme et la stratégie de l’émancipation de demain. Nous voulons ainsi allier contestation et propositions. Une démarche que nous ne pourrons d’ailleurs pas mener dans un cadre strictement hexagonal, tant la globalisation marchande appelle une internationalisation des luttes et des alternatives.

Nous ne considérons pas que les institutions actuelles constituent un cadre démocratique suffisant pour rendre possible une véritable rupture avec le système grâce à la seule victoire électorale. Car il n’y a pas deux sphères étanches, celle de l’économie capitaliste d’un côté et celle de l’Etat de l’autre, mais les intérêts sociaux dominants contribuent à structurer les logiques étatiques. Par ailleurs, c’est un constat historiquement assez banal que ceux qui ont conquis le pouvoir gouvernemental pour changer la société ont souvent été pris par lui, oubliant la transformation sociale. On ne peut donc plus faire aujourd’hui l’économie d’une critique libertaire dans le rapport au pouvoir d’Etat.

Toutefois, il ne s’agit pas pour nous d’évacuer la question du pouvoir. La LCR a d’ailleurs déjà dit depuis plusieurs années qu’elle était prête à soutenir une expérience gouvernementale qui inverserait le cours néolibéral des politiques dans la perspective d’une sortie du capitalisme. Nous mettons simplement en garde contre les illusions électoralistes, qui feraient l’impasse sur les affrontements face à la résistance prévisible des classes dominantes comme sur l’inertie bureaucratique des institutions existantes. Ce qui appelle des mobilisations sociales d’ampleur comme l’invention à la base de formes d’auto-organisation qui cassent la logique hiérarchique des relations entre gouvernants et gouvernés, dans le développement des libertés individuelles.

Sur ce plan, l’indépendance vis-à-vis du PS constitue une condition de base. Cela n’exclut pas des combats communs contre la droite. Mais le "nouveau parti anticapitaliste" n’a pas vocation à être une force supplétive et finalement subordonnée au PS : nous voulons bâtir une hégémonie émancipatrice parmi les opprimés. Sans raccourci. Par contre, la discussion que vous souhaitez sur "les conditions et les formes" de l’indépendance à l’égard du PS est nécessaire.

Vous nous interrogez également sur la sincérité de notre démarche. C’est pleinement légitime, tant il est rare qu’une organisation prenne l’initiative de son autodissolution dans une force plus large. La LCR seule ne serait-elle pas tentée par un ravalement de façade plutôt que par la création d’un véritable nouveau parti pluraliste ? Si un ou plusieurs partenaires nationaux font aujourd’hui défaut pour donner plus de dynamique au processus, c’est sans doute davantage par absence d’accord politique, ou par conservatisme, que par manque de volonté de notre part. Nous avons discuté et interpellé la plupart des forces à gauche du PS. Nous ne cesserons pas d’ailleurs ce processus de discussion.

Le nouveau parti a vocation à regrouper les anticapitalistes, les révolutionnaires, les écologistes radicaux, les féministes, ceux qui refusent les discriminations systématiques qui affectent les populations issues de l’immigration, les antilibéraux, les altermondialistes, des militants communistes et socialistes, des anarchistes, des syndicalistes, des animateurs d’expériences alternatives locales, mais aussi les "héros du quotidien", celles et ceux qui ne sont plus représentés. Bien loin de la seule "matrice trotskiste"...

En fait, nous n’avons pas posé une opération de recomposition politique entre divers courants organisés comme préalable à la reconstruction d’une force anticapitaliste. Nous sommes avertis des échecs passés : les premières tentatives de ce type dans la renaissance d’une gauche de gauche datent déjà d’une quinzaine d’années. Vous soulignez comme nous les limites des constructions par le haut, ce qui ne veut pas dire que des décantations politiques ne pourront pas surgir à tel ou tel moment du processus.

L’urgence, c’est toutefois d’agir et de proposer une alternative. Discutons de tous ces problèmes ensemble, comme le font des milliers de femmes et d’hommes dans les collectifs d’initiative en ce moment même. Nous y sommes prêts dès maintenant. Sur ces bases, le processus est en construction, non bouclé à l’avance, et nous espérons que vous pourrez y participer.

Philippe Corcuff est sociologue et militant de la LCR ;

Pierre-François Grond est membre du bureau politique de la LCR ;

Anne Leclerc est membre du bureau politique de la LCR.


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