Unité et cohérence (Raoul Marc JENNAR)

lundi 16 juin 2008.
 

L’aspiration à l’unité à gauche est extrêmement forte chez les citoyennes et les citoyens. Je crois même qu’elle l’est à un point qu’on apprécie insuffisamment chez les militants politiques. Je pense qu’elle explique le succès de la campagne du « non » au TCE. Et le succès des appels unitaires qui se répètent.

Conscient qu’il a le nombre pour lui, le peuple de gauche se désespère de l’impuissance de la gauche face à l’offensive d’un capitalisme dont l’arrogance rappelle le 19e siècle du « laisser faire, laisser passer ». Et il s’impatiente des divisions qui se perpétuent. Mais suffit-il de se rassembler pour résister et avancer valablement ?

Quelle est l’utilité d’un rassemblement de partis et de mouvements dont les objectifs et les stratégies divergent ? Une gauche fourre-tout rassemblée est-elle en capacité d’offrir autre chose que l’exemple catastrophique donné par la gauche plurielle ? Faut-il rappeler que c’est la gauche plurielle qui a poursuivi l’œuvre, entamée par le PS, d’ouverture de l’Europe et de la France à une mondialisation néolibérale par ailleurs négociée par les mêmes au niveau international ? Faut-il rappeler les privatisations et libéralisations initiées par Jospin et ses ministres PS, PCF et Verts ? Faut-il rappeler que les privatisations et libéralisations qui ont été décidées depuis 2002 par la droite n’auraient pas été possibles sans les choix du gouvernement Jospin soutenu par le PCF et les Verts ?

Les déceptions du passé ne trouvent-elles pas leur origine dans la confusion des projets et des attentes ?

Avant de rassembler, n’est-il pas plus important de définir sur quoi et en vue de quoi on se rassemble ? N’y a-t-il pas vis-à-vis des citoyennes et des citoyens un devoir de clarté dans les choix et de cohérence dans les démarches ? La confusion et l’ambiguïté, si habilement entretenues à droite lorsqu’il s’agit d’inviter les électrices et les électeurs à choisir, seraient-elles devenues des méthodes de gauche ? Souvenons-nous de la campagne contre le TCE et des arguments employés par des responsables du PS et des Verts pour faire accepter ce projet de société néolibéral. Pouvons-nous faire nôtres de telles méthodes ? A l’heure d’une refondation de la gauche, n’est-il pas temps de s’imposer un minimum d’éthique ?

Je crois pour ma part qu’il n’est pas possible de rassembler ceux qui refusent de faire du capitalisme l’horizon indépassable de l’humanité et ceux qui considèrent qu’il appartient à l’ordre naturel des choses.

Il n’est pas possible de rassembler ceux qui défendent le principe de la propriété sociale et ceux qui considèrent la propriété privée comme un dogme intangible.

Il n’est pas possible de rassembler ceux qui accordent à la question sociale et à la question écologique une même centralité parce qu’elles ont une même causalité et ceux qui refusent de les lier.

Il n’est pas possible de rassembler ceux qui questionnent les finalités de la production et de l’échange et ceux qui cultivent la religion du progrès scientifique et technique comme instrument du progrès social.

Il n’est pas possible de rassembler les écologistes anticapitalistes et les partenaires « éco-réformistes » de la gestion sociale-libérale du capitalisme.

Il n’est pas possible de rassembler ceux que l’avenir des générations futures préoccupe et ceux qui s’en moquent, les adversaires du nucléaire et ceux qui le défendent, les adversaires de la privatisation du vivant et ceux qui la défendent, les adversaires des technologies aliénantes et ceux qui les défendent, ceux qui combattent les nuisances et ceux qui en défendent la production.

Il n’est pas possible de rassembler ceux qui veulent une démocratie avancée dans les institutions et sur les lieux de travail et ceux qui entretiennent les formes modernes de la féodalité et du paternalisme.

Il n’est pas possible de rassembler ceux qui acceptent l’Europe telle qu’elle est avec les politiques qu’elle mène et défend et ceux qui veulent une Europe démocratique et sociale, une Europe moteur des solidarités européennes et internationales, une Europe qui fait avancer la force du droit plutôt que le droit de la force.

Et par-dessus tout, il n’est pas possible de rassembler ceux qui restent aux côtés des plus faibles dans leurs luttes et leurs aspirations et ceux qui se drapent dans les idéaux de la gauche pour occuper le pouvoir et servir les objectifs du patronat.

Il est de notre devoir d’élaborer des choix clairs et de proposer un rassemblement basé sur ces choix. On ne peut pas rassembler des contraires. On ne peut pas rassembler celles et ceux qui les portent. Il y a bien deux gauches. Une gauche qui remet en cause l’ordre établi et une gauche qui se vautre dans le système, une gauche qui lie de façon indissociable exploitation des dominés et destruction de la nature et de la biosphère et une gauche productiviste. On ne peut les rassembler. On ne peut s’allier avec l’une et tenir le discours de l’autre. Ni inversement. L’unité sans la cohérence est un leurre.


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