Siné licencié pour antisémitisme : une ignominie à analyser

lundi 31 juillet 2023.
 

- A) Siné est mort ce 5 mai 2016 (son dernier texte)

- B) Siné licencié pour antisémitisme : une ignominie à analyser (Jacques Serieys le 15 juillet 2008)

- C) Une nouvelle victoire de Siné contre l’éditocratie (ACRIMED ce 24 décembre 2012)

A) Siné est mort ce 5 mai 2016 (son dernier texte dans Siné Hebdo)

Ce jeudi 5 mai, à 8 heures, le dessinateur Siné est décédé à l’hôpital Bichat des suites d’une opération. Avant-hier, il écrivait sa dernière zone, publiée hier sur le site de Siné Mensuel, son journal. Pour cette occasion, nous plaçons à nouveau en page d’accueil cet article mis en ligne lorsqu’il avait été accusé d’antisémitisme. (NDLR)

Maurice Sinet, dit Siné, est né le 31 décembre 1928 à Paris. Fils d’un ferronnier anarchiste et d’une épicière, il passe son enfance à Belleville, Ménilmontant et Barbès. Il entre à l’école Estienne en 1942. À sa sortie, il devient graphiste et commence à réaliser ses propres dessins, publiés en 1952 dans France Dimanche. En 1955, il reçoit le grand prix de l’humour noir pour son recueil Complaintes sans paroles, préfacé par Marcel Aymé et postfacé par Jacques Prévert, qui devient son ami. En 1957, il publie 
les Chats.

En 1958, après le coup de force de 
De Gaulle, il entre à l’Express, comme dessinateur politique. Anticolonialiste, il suscite la polémique durant la guerre d’Algérie et finit par démissionner en novembre 1962. Après Siné Massacre, il fonde l’Enragé en mai 1968, participe à Hara-Kiri, dessine pour l’Humanité Dimanche et rejoint l’équipe de Charlie Hebdo en 1981. Bob Siné partage sa vie avec Catherine Sinet, journaliste et productrice d’émissions et de films de télévision. Ensemble, ils créent Siné Hebdo après le renvoi de Siné, par Philippe Val, de Charlie Hebdo…

« Ça m’énerve grave

Depuis quelque temps, vous avez dû remarquer que je ne nageais pas dans une joie de vivre dionysiaque ni dans un optimisme à tous crins, ce qui est pourtant mon penchant habituel.

Je ne pense, depuis quelque temps, qu’à ma disparition prochaine, sinon imminente, et sens la mort qui rôde et fouine sans arrêt autour de moi comme un cochon truffier.

Mon moral, d’habitude d’acier, ressemble le plus souvent maintenant à du mou de veau !

C’est horriblement chiant de ne penser obsessionnellement qu’à sa mort qui approche, à ses futures obsèques et au chagrin de ses proches ! Je pense aussi à tous les enculés qui vont se frotter les mains et ça m’énerve grave de crever avant eux !

Heureusement que vous êtes là, admirateurs inconditionnels, adulateurs forcenés… vous ne pouvez pas savoir comme vos messages me font du bien, un vrai baume miraculeux !

Et banzaï malgré tout ! »

B) Siné licencié pour antisémitisme : une ignominie à analyser

Jacques Serieys le 15 juillet 2008

La génération contestataire des années 1960 et 1970 a beaucoup acheté et lu Hara Kiri puis Charlie Hebdo. Les caricatures de dirigeants politiques comme de pontes religieux correspondaient bien à notre refus de l’état injuste du monde comme des dogmes arriérés. Lorsque j’entrais dans l’appartement d’un copain ou d’une copine, j’étais sûr de voir ici ou là le dernier numéro.

Ce lien personnel et générationnel rend d’autant plus difficile à accepter l’évolution politique passagère que connaît Charlie Hebdo sous la direction de Philippe Val. Je traite ci-dessous le problème central posé par le licenciement du caricaturiste Siné : l’accusation d’antisémitisme comme moyen de dénonciation calomnieuse et de répression.

J’ai toujours eu un respect immense pour la civilisation juive et ce qu’elle a apporté à l’humanité. J’ai toujours considéré que la Shoah justifiait que la communauté internationale prenne en compte après 1945 le souhait du "retour en Palestine". Ce n’est pas une raison pour laisser passer tout ce que disent ou font les dirigeants sionistes.

De l’antisémitisme chrétien à la shoah ?

Les sionistes sincères savent bien que la logique de leur idéologie communautariste mène aujourd’hui à un sociocide des Palestiniens à terme, soit à leur génocide, soit à leur esclavage. Ceux-ci étant très majoritaires en 1947 comme aujourd’hui, Israël ne peut être un Etat religieusement "juif" qu’en niant l’existence des Palestiniens (bannis hors de Palestine ou soumis à un statut d’apartheid).

Il est vrai que la Shoah a créé une situation tout à fait particulière pour la communauté juive. Il est vrai que son retour partiel en Israël n’était pas simple dans le contexte du Moyen-Orient. Mais, de ce constat à la logique implacable suivie par l’Etat israélien, il y a une large marge, en particulier depuis 1993.

Le processus sioniste d’élimination des Palestiniens de la terre de Palestine ne peut être défendu ni du point de vue du droit international, ni du point de vue historique, ni du point de vue moral ...

Une telle attitude ne pouvant gagner la sympathie de l’opinion publique internationale, les dirigeants sionistes font appel à la mémoire de la Shoah pour se présenter toujours comme des victimes. Ils utilisent un argument privilégié : caractériser comme antisémite tout antisioniste, le jetant ainsi en pâture médiatique.

Cela m’est déjà arrivé en 1972 à Toulouse. Des membres de la communauté juive locale, forts sympathiques individuellement et se situant dans la mouvance du PSU, m’expliquaient l’impossibilité d’accepter, à terme, le maintien de Palestiniens en Palestine, parce qu’Israël n’était viable que jusqu’au Jourdain, parce que les Palestiniens étaient des Arabes et que le monde arabe était assez grand pour qu’ils laissent la Palestine aux juifs, pour certains parce que cela correspondait à la Terre promise, etc. Essayant de discuter rationnellement point par point, j’ai eu droit à l’accusation d’antisémitisme avant qu’une des personnes concernées ne signale le comportement risqué de ma famille entre 1940 et 1944, clôturant de fait la discussion.

Cependant, l’opération médiatique visant à faire taire toute critique du sionisme en l’incriminant d’antisémitisme ayant jusqu’à présent, bien réussi, cette accusation a visé de plus en plus quiconque utilise le terme de juif sans se plier à la propagande officielle israélienne.

Quand un mouvement sioniste caractérise un tel ou un tel d’antisémite, ce ne sont pas les dires, les écrits ou les actes de la personne concernée qui sont à l’origine de cette accusation mais une stratégie israélienne choisie et systématique consistant à accuser d’antisémite quiconque critique les choix du gouvernement israélien.

Le chantage à l’antisémitisme : arme permanente du sionisme (par Shulamit Aloni, ancien ministre de l’Education en Israël)

Siné vient de payer cette méthode inquisitoriale par son licenciement de Charlie Hebdo.

Le 2 juillet 2008, il signe un texte dans l’hebdomadaire Charlie Hebdo critiquant Jean Sarkozy, fils du président de la république. Quelques phrases déclenchent la fureur des orthodoxes ès-sionisme : « Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et déjà conseiller général de l’UMP, est sorti presque sous les applaudissements de son procès en correctionnelle pour délit de fuite en scooter. Le Parquet a même demandé sa relaxe ! Il faut dire que le plaignant est arabe ! Ce n’est pas tout : il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit ! »

Le 15 juillet 2008, Philippe Val, directeur de la publication du journal, l’informe de son licenciement.

Premièrement, les quelques phrases de Siné ne font que reprendre une information donnée par Patrick Gaubert au quotidien Libération. Or, ce Patrick Gaubert est bien informé (président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme depuis 1999, tête de liste UMP en Île-de-France pour les élections européennes de 2004, chargé en particulier de la lutte contre l’antisémitisme dans le cabinet de Charles Pasqua, frère de Thierry Gaubert...).

Deuxièmement, je trouve infamant pour Siné de se voir ainsi vilipendé alors que peu de Français peuvent présenter une telle constance et un tel courage sur une orientation progressiste depuis 50 ans (de son anticolonialisme des années 1950 à L’Enragé des années 1968, de Charlie Hebdo à aujourd’hui). Aussi, son indignation se comprend parfaitement « Cela fait 50 ans que je me bats contre toutes les formes de racisme, je ne peux pas tolérer ce genre d’accusations. » Cela ne signifie pas mon accord avec tous ses dessins et textes mais la liberté de la presse fait partie des droits démocratiques fondamentaux.

Troisièmement, en droit, ce licenciement me paraît tout à fait abusif. Gisèle Halimi l’exprime bien dans sa lettre sur le sujet :

« La direction de Charlie Hebdo vient de le licencier brutalement. Motif allégué : propos antisémites. A la lecture attentive de ses quelques lignes, je suis en mesure d’affirmer - en spécialiste du droit de la presse - qu’il ne s’agit que d’un prétexte ; un procès pour antisémitisme n’aurait guère de chances d’aboutir.

Cette opération participe donc des procès en sorcellerie qui se multiplient aujourd’hui pour maintenir une psychose du juif persécuté. »

Gisèle Halimi à Philippe Val et Charlie Hebdo : "On tente de museler Siné-le-libertaire... Je ne veux plus vous entendre ni vous lire

Complément ultérieur :Le 30 novembre 2010, le Tribunal de Grande Instance de Paris condamne Charlie Hebdo pour préjudice moral et financier à l’encontre de Siné. « Il ne peut être prétendu que les termes de la chronique de Siné sont antisémites… ni que celui-ci a commis une faute en les écrivant ». Les Editions Rotatives, société éditrice de l’hebdomadaire, devront verser 40 000 euros de dommages et intérêts à Maurice Sinet pour rupture abusive de contrat.

Quatrièmement, cette attaque contre Siné montre bien l’objectif des milieux sionistes qui visent par ce procédé à empêcher toute critique contre Israël ou la communauté juive.

« L’antisémitisme est aujourd’hui une notion perverse et retorse, que les bien pensants, à commencer par les bien pensants se prétendant juifs, feraient bien de proscrire de leur vocabulaire, ou à tout le moins , à laquelle ils feraient bien de redonner sa juste valeur.

Parce que l’antisémitisme a pris aujourd’hui un sens réducteur, ridicule, antithétique en son sein même. Serait antisémite celui ou celle qui se contente d’énoncer une des qualités d’une personne, celui qui signale le judaïsme ou la judaïté d’une personne... »

Soutien à Siné : l’antisémitisme est une chose qu’il faut cesser de banaliser (par Ishtar COHEN)

Cinquièmement, il est évident que la gauche israélienne serait ridiculement caractérisée d’antisémite par les sionistes français. Guy Bedos a écrit cela remarquablement dans sa lettre à Philippe Val :

« Antisémite, Siné ? As-tu lu David Grossman et Amos Oz, écrivains israéliens qui, sans relâche, luttent, en Israël, contre l’actuel pouvoir israélien ? Antisémites eux aussi ?

Moi, qui ai dit sur la scène de l’Olympia "je ne confondrai jamais Ariel Sharon et Bibi Netanyahu avec Anne Franck et Primo Levi", suis-je pour autant un néonazi qui s’ignore ?

Je pourrais te mépriser, je te plains. » Guy Bedos

"Val est à Charlie ce que Sarkozy est à la France" (lettre de Guy Bedos)

Sixièmement, reste une question : qu’y a-t-il vraiment sous cette affaire de licenciement de Siné ? Celui-ci considère que la Sarkozie et les milieux capitalistes n’ont pas supporté la défense apportée par Siné à Denis Robert, journaliste courageux qui a révélé le rôle de Clearstream dans le fonctionnement du capitalisme financier transnational.

« Je pense surtout que Philippe Val n’a pas digéré le fait que je prenne la défense de Denis Robert [ndlr : journaliste qui a écrit sur l’affaire Clearstream] dans cette même chronique et que c’est pour ça qu’il veut me virer. »

Jacques Serieys

Les licencieurs de Charlie Hebdo : "Des larbins, des lèche-culs" (interview de Siné)

Bonne conscience, antisémitisme et attaques contre Siné (Jean-Luc Mélenchon)

Alexandre Adler, Rioufol, Siné et l’affaire Dreyfus

C) Une nouvelle victoire de Siné contre l’éditocratie

par Mathias Reymond lundi 24 décembre 2012

Charlie Hebdo a été condamné une nouvelle fois par la justice à verser des dommages et intérêts au dessinateur Siné pour rupture abusive du contrat qui le liait au journal. Si nous nous réjouissons de cette victoire pour la liberté d’expression nous n’oublions pas aussi d’apporter notre soutien à Siné.

Rappel des faits : en juillet 2008, Charlie Hebdo publie une chronique de Siné dans laquelle celui-ci dénonce le prétendu opportunisme religieux de Jean Sarkozy. Extrait : « il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit ! » S’en suit une véritable fronde contre le caricaturiste qui mène à son licenciement de Charlie Hebdo pour cause « d’antisémitisme ».

Une grande partie des patrons de presse, des éditocrates et des philosophes de télévision ont alors soutenu Philippe Val – directeur de l’hebdomadaire – dans sa purge anti-Siné. Ainsi, Bernard-Henri Lévy, Alexandre Adler, Claude Askolovitch, Pascal Bruckner, Robert et Élisabeth Badinter, Laurent Joffrin... mais aussi Dominique Voynet ou Bertrand Delanoë n’hésitent pas à prendre leur plume pour attaquer Siné. La plupart de la rédaction de Charlie Hebdo se range même derrière Val dans cette affaire [1]. Pourtant, pour qui connaît un peu Siné et son œuvre, l’accusation d’antisémitisme est dénuée de fondement et même complètement farfelue. Ainsi que nous le rappelions en 2008 dans un article de soutien à Siné [2], ce licenciement est donc une véritable atteinte à la liberté d’expression.

Depuis, que s’est-il passé ? Philippe Val quitte Charlie Hebdo en 2009 pour prendre la direction de France Inter et renvoyer quelques chroniqueurs encombrants [3]. Il laisse la gestion de l’épave satirique à Charb qui n’a pas brillé par son courage dans cette affaire comme nous l’écrivions dans notre article sur l’histoire de Charlie Hebdo. En effet, au moment du licenciement de Siné, Charb était rédacteur en chef adjoint et avait pris parti... contre le chroniqueur, dans un éditorial amphigourique dans lequel il expliquait que Siné avait porté « atteinte » aux « valeurs essentielles » de Charlie Hebdo (rires).

Siné de son côté, soutenu par des milliers de personnes, a remonté la pente et lancé un hebdomadaire (Siné Hebdo) en septembre 2008 qui s’est muté en mensuel trois ans plus tard (Siné Mensuel). Mais surtout Siné a gagné. À deux reprises. Une première fois [4], le 30 novembre 2010, quand le tribunal de grande instance (TGI) a rendu un jugement dépourvu de toute ambiguïté : « Il ne peut être prétendu que les termes de la chronique de Maurice Sinet sont antisémites, (…) ni que celui-ci a commis une faute en les écrivant (…). [De plus,] Il ne pouvait être demandé à Siné de signer et faire paraître une lettre d’excuse ». Charlie Hebdo (plus précisément la société Les Éditions Rotatives) a été condamné à verser 20 000 euros à Siné pour rupture abusive de contrat. En outre, pour le TGI, « la médiatisation de la rupture et le caractère humiliant de son annonce apprise en même temps que les lecteurs par la publication du numéro du 16 juillet 2008, ont causé à Siné un préjudice moral qu’il convient d’indemniser en lui allouant la somme de 20 000 euros ». Soit un total de 40 000 euros.

Pourtant Charlie Hebdo a préféré faire appel. Et c’est ainsi que Siné vient de remporter une deuxième victoire, avec un jugement encore plus terrible pour l’hebdomadaire :

« Charlie Hebdo est condamné une nouvelle fois par la justice à verser des dommages et intérêts au dessinateur Siné pour rupture abusive du contrat qui le liait au journal depuis 16 années. L’hebdomadaire dirigé par Charb devra également publier sur la couverture, un communiqué judiciaire sur un bandeau de 15 centimètres de haut sur toute la largeur sous peine d’astreinte de 2000 € par semaine. La cour d’appel de Paris par un arrêt du 14 décembre 2012 confirme ainsi le jugement de tribunal de grande instance de Paris du 30 novembre 2010. La cour condamne le journal à verser 90 000 € de dommages et intérêts et 15 000 € pour les frais de justice au lieu des 40 000 € et des 5000 € attribuées lors du premier jugement. » (extrait du communiqué de presse de Siné)

Nous rappelions qu’au moment du premier jugement, les juges médiatiques de Siné (nommés plus haut) n’avaient pas fait la publicité de cette condamnation... Cette fois-ci, le silence est assourdissant.

À l’époque des faits, Laurent Joffrin, alors directeur de Libération, mais également proche de Philippe Val, s’était fendu de deux articles qui ne faisaient pas preuve d’une grande honnêteté intellectuelle. Dans le premier il n’hésitait pas à comparer la phrase de Siné aux œuvres complètes de Drumont, Maurras ou Brasillach. Dans le second, que nous avions décrypté en long et en large ici-même, il accumulait les insinuations, multipliait les omissions et surtout, réécrivait l’histoire. Maintenant que Siné a gagné deux fois, Joffrin, parti de Libération pour Le Nouvel Observateur, a choisi le silence. Quant au nouvelobs.com, il s’est contenté de reproduire le communiqué de l’AFP annonçant la victoire de Siné... sans rappeler les virulentes prises de position de Joffrin.

Les éditocrates ont la mémoire courte... ou la mémoire sélective.

Notes

[1] Courageux, Tignous et Willem avaient publiquement soutenu Siné. Michel Polac et François Cavanna ont fait de même par la suite...

[2] Face à Philippe Val, Charlie Hebdo et BHL, Acrimed soutient Siné.

[3] Voir notre article : « Le bal des faux-culs sur France Inter ».

[4] Voir notre article ici-même.

Source de cet article B :

http://www.acrimed.org/article3500.html


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