Michelle Perrot, l’historienne des femmes (Par Gisèle Halimi)

samedi 16 août 2008.
 

On peut affirmer que si l’histoire des femmes existe, si elle est sortie de son silence séculaire, et conquiert aujourd’hui ses titres de noblesse ( par la multiplication notamment des chaires et d’études universitaires sur les femmes, le genre…) c’est beaucoup à l’entêtement et à la lumineuse pédagogie de Michelle Perrot que nous le devons.

Une sérénité contagieuse

Son dernier livre Mon histoire des Femmes (Ed. Seuil / France Culture, 245 p., 20 €, avec un CD-Rom MP3), recueil d’une série d’émissions sur France Culture, explique en 4 parties et 25 chapitres l’histoire de toutes les femmes. Les ordinaires et les autres. Méthodiquement, avec une sérénité contagieuse, Michelle Perrot égrène l’histoire de notre corps, de notre travail (paysan, domestique, ouvrier, du spectacle…), de nos luttes dans la cité et décrit un large panorama des luttes féministes passés. Grâce lui soit, par exemple, rendue pour ces rappels des propos bouffons de Sylvain Maréchal, « homme d’extrême gauche », qui justifiait la publication de son « Projet d’une loi portant défense à lire aux femmes » en écrivant : « La Raison veut qu’une femme ne mette jamais le nez dans un livre, la main à la plume… » (1801). Presque au moment où régnait Madame de Staël et où allait bientôt briller George Sand. Avec une rigueur d’historienneque que ne dément à aucun moment son empathie féministe, Michelle Perrot situe clairement la place des femmes dans les actions collectives, qu’il s’agisse de syndicalisme ou de politique. Et nous explique pourquoi, dans le cadre des relations femmes / hommes, il nous fut, il nous est si difficile - encore - d’accéder à la parfaite égalité. Et, d’une certaine manière à la reconnaissance de notre dignité. « Et maintenant ? » conclut-elle.

Impossible bilan

Maintenant, et beaucoup grâce aux livres de Michelle Perrot, les femmes prennent conscience de ce qu elles furent et de ce qu’elles sont dans l’histoire de l’humanité. Elles s’enrichissent ainsi d’une nouvelle fierté.

Les femmes dans l’histoire ?

« Impossible bilan » dit, écrit Michelle Perrot. « Entre l’optimisme de la conquête et le scepticisme du sentiment de l’illusion… ». Mais comme à ses débuts, « histoire à suivre. Histoire à faire, aussi… ». Il faut lire Mon histoire des Femmes de Michelle Perrot pour apprendre, comprendre, mettre fin à l’opacité qui a dans le passé noyé la geste féministe. Mais surtout pour retrouver nos racines. « Je veux savoir d’où je pars pour conserver tant d’espoir… » écrivait Paul Eluard. Avec Michelle Perrot, nous savons, nous espérons.

G.H.

Question à Michelle Perrot

1- Pensez-vous que la connaissance par les femmes de leur histoire peut leur donner de nouvelles raisons de revendiquer l’égalité, de défendre leur dignité ?

Oui, je le pense. L’histoire des femmes est née en partie du mouvement des femmes. Elle l’a accompagné, en sourdine parce qu’il avait des urgences, des objectifs immédiats plus importants. Elle l’ a aidé à se situer dans le temps. Aujourd’hui, elle le capitalise en quelque sorte pour le transmettre, pour éviter qu’ à nouveau, comme si souvent, les femmes perdent la mémoire de leurs luttes qui sombrent ainsi dans l’oubli. Dans cet oubli d’elles-mêmes qui sape la conscience de soi.

Mais au-delà de cette fonction mémorielle, l’histoire est un instrument d’intelligibilité. D’abord du silence qui a submergé l’existence des femmes, ensevelie dans la nuit obscure d’un passé inénarrable. Des souffrances qui ont été les leurs. Des interdits qu’on leur a opposés et qu’elles ont d&ucitc; vaincre pour s’approprier le savoir, le travail, la liberté de circulation, le droit d’aimer, d’enfanter librement, d’être des citoyennes à part entière. Longtemps, les femmes ont été murées, exclues, voilées, et cette situation pèse encore lourdement sur elles, quand elle n’est pas leur seul présent. Pourquoi ? Comprendre les raisons de la hiérarchie des sexes et de ses effets, la fameuse « domination masculine », les appréhender non seulement comme des structures immobiles, mais saisir leurs variations dans le temps : voilà un des objectifs de l’histoire.

Mais les femmes n’ont pas été seulement des victimes. Elles ont été des actrices de l’histoire, de leur histoire, au rebours de ce qu’écrivait Simone de Beauvoir : « Toute l’histoire des femmes a été faite par les hommes ». Les femmes ont agi de bien des manières. Par l’obstruction, le refus, la résistance, le lent grignotage des interdits. Par le murmure, la conversation, le chant, le cri, la parole privée et publique. Par l’aménagement du quotidien, l’action individuelle et collective, dont le/les féminismes sont une forme contemporaine majeure, décriée à la mesure de son importance. L’égalité n’est pas le fruit d’une modernité automatique, mais le résultat d’une volonté. Conquête inachevée, elle reste fragile. L’histoire incite à la vigilance.

Enfin, l’histoire des femmes, par l’analyse des expériences passées, aide à déconstruire les systèmes de pensée, de savoir et de pouvoir qui rivent les femmes à une place assignée au nom d’autorités invisibles et obsédantes, qui tissent leur sujétion, leur consentement, voire leur sentiment de culpabilité : la Nature, Dieu, l’Universel, la Révolution, le Droit. Elle a une fonction critique nécessaire et libérante.

[…] Propos recueillis par Gisèle Halimi


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