1968, le souffle de l’émancipation

dimanche 20 mai 2018.
 

Mai 1968  : une date phare. Un repère dont tout le monde parle. Elle est de ces césures qui indiquent de profonds changements et une redéfinition du champ social et politique. Elle est de ces discontinuités qui portent ce vent puissant de l’Histoire, dont aucun dirigeant politique ou aucun intellectuel ne décrète le lever, et contre lequel il est aussi dérisoire qu’inutile de vouloir opposer la résistance de structures inamovibles ou des certitudes établies. Ces «  moments  » obligent à la réinvention, au neuf. Ils invitent à la réflexion et à l’audace. En ce sens, les mouvements de Mai 68 sont une étape décisive de notre modernité politique.

Autour du printemps 1968, le monde entier entrait dans une effervescence politique et sociale  : dans de nombreux pays du monde capitaliste que l’on disait «  avancés  », des États-Unis confrontés à leur impérialisme et leur racisme au Japon, à l’Italie, à l’Allemagne, à la France, bien sûr, mais aussi à la Tchécoslovaquie, en révolte contre la férule soviétique, à la Chine, qui entrait dans une Révolution culturelle sanglante, jusqu’au Brésil, ou encore les pays nouvellement formés par les peuples libérés de la colonisation. Les grands moments de bascule sont souvent la condensation d’un bouillonnement international. Ils ne viennent jamais de rien. Ils ne se reproduisent pas à l’identique.

La grouillante génération née des décombres de la Seconde Guerre mondiale affirmait corps et âme sa place et son rôle dans les sociétés. Chacun des pays exprimait ainsi ses propres contradictions entre ses archaïsmes et de nouveaux développements portés par la jeunesse, les femmes et le salariat. Beaucoup y laissèrent des plumes  : le pouvoir gaulliste, malgré l’illusion des législatives de juin, ou la SFIO, en pleine obsolescence. Et le Parti communiste reconnaîtra publiquement, plus tard, sous l’impulsion de plusieurs de ses dirigeants, notamment de Georges Séguy, qu’il n’avait pas eu raison sur tout.

Ce hors-série propose de sonder l’onde de choc qui ébranla la France et le monde. Dans notre pays, Mai 68 fut avant tout une grève générale, la plus grande de notre histoire, massive et spontanée, mobilisant des millions de salariés de tous les secteurs d’activité, provoquant l’arrêt de travail de 10 millions d’entre eux, et qui aboutit à des conquêtes sociales d’une importance considérable  : l’augmentation de 35 % du salaire minimum et de 10 % de l’ensemble des salaires, la création des sections syndicales d’entreprise et, par là, la reconnaissance inédite du fait syndical dans l’entreprise, la quatrième semaine de congés payés, dont la revendication allait bientôt être transcrite dans la loi.

Ce furent de nombreuses occupations d’usines et l’effervescence étudiante contre le paternalisme patronal, le patriarcat, le mandarinat universitaire, le nationalisme gaullien. Tout un faisceau de motifs alimentait la révolte. Elle fit souffler un vent de liberté dans une société maintenue dans la gangue des convenances hypocrites  : la sexualité libérée, le rôle et la place des femmes reconsidérés, la jeunesse entendue, le travail valorisé, les travailleurs immigrés enfin rendus visibles par la lutte sociale. Ce printemps ouvrit encore de nouvelles perspectives dans les arts, la littérature, le cinéma ou le théâtre, nourris par de nouveaux regards et de nouvelles pratiques.

La société française, de tous ses pores, dans toutes ses strates, exprimait son désir de plus de liberté, de plus d’égalité et de plus de fraternité. En ce sens, Mai 68 tient sa place aux côtés des grands moments d’émancipation qui jalonnent l’histoire républicaine, de 1789 aux Trois Glorieuses, de 1848 à la Commune, du Front populaire à la Libération. Voilà peut-être pourquoi Mai 68 reste au cœur d’un conflit mémoriel. Il s’est même trouvé un président de la République de droite pour vouloir «  liquider l’héritage de Mai 68  », rien de moins  ! Et l’extrême droite continue d’en faire, de manière grotesque, l’origine de tous nos maux.

Trop souvent délestée de sa dimension ouvrière et syndicale, la mémoire des événements de Mai s’est souvent trouvée confisquée par quelques têtes de pont, et sa portée, par conséquent, amoindrie. Peut-être faut-il y voir la nécessité pour toute révolte sociale de conserver une assise populaire pour permettre de changer durablement et positivement la société.

Peut-être faut-il, enfin, retenir de cet événement cinquantenaire qu’on ne détourne le regard de ce qui bout aux tréfonds d’une société qu’à ses dépens. Être à l’écoute, débattre, s’ouvrir aux contradictions, aux expressions nouvelles, à la création culturelle et rechercher l’unité populaire – Mai 68 nous l’enseigne – sont des conditions premières pour «  transformer le monde  » et «  changer (en mieux) la vie  ».

Par Patrick Le Hyaric, Directeur de l’Humanité


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