Islande : De l’opulence à la faillite en une semaine (3 articles)

lundi 20 octobre 2008.
 

Article de Stéphane KOVACS dans Le Figaro du 19 octobre 2008

Il continue de s’habiller en banquier. Costume sombre, chemise blanche et fines lunettes cerclées d’or. Mais la carte de visite qu’il tend est « la dernière » qui lui reste. Et quand il consulte son Blackberry, c’est désormais sur les photos de son petit-fils qu’il tombe. Kristjan Davidsson, âgé de 47 ans, directeur international du secteur de la pêche à la banque Glitnir, a été licencié jeudi 16 octobre 2008. « Ou plutôt, on m’a annoncé qu’on n’avait plus besoin de moi, précise-t-il. Que je devais rendre ma voiture de fonction, mon ordinateur portable et mon Blackberry ce samedi. C’est tout. Je ne sais même pas si j’aurais droit à des indemnités. »

Dans cette petite île pourtant habituée aux éléments déchaînés, la tempête financière a tout soufflé : en une semaine, l’Islande est passée du statut d’État parmi les plus riches du monde à celui de pays au bord de la faillite. Arrivée en tête, en 2007, du classement par l’ONU des « pays où l’on vit le mieux », l’île de 313000 habitants vient d’être mise aux enchères sur eBay, pour 99 pence. Le secteur financier, qui représentait près de dix fois le PIB, est désormais exsangue, coupé des capitaux étrangers.

La couronne islandaise a perdu, en un mois, plus de 40 % de sa valeur. Les Islandais ne peuvent plus acheter de devises étrangères, si ce n’est sur présentation d’un billet d’avion, et à concurrence de 300 € par personne. « Si j’ai obtenu un billet de 500 €, s’amuse Kristjan Davidsson, invité la semaine prochaine pour une conférence en Norvège, c’est tout simplement parce que la banque n’avait plus d’autres coupures... ».

Comme les deux autres grandes banques islandaises, ruinées en l’espace de quelques jours, Glitnir vient d’être nationalisée. Les économistes s’attendent à plus de 1500 suppressions d’emplois sur les 8700 du secteur. Pourtant, Kristjan Davidsson garde le sourire : « Moi, j’ai de la chance : j’ai un psychiatre -ma femme- à la maison ! s’exclame-t-il. Mes enfants sont grands, et mon prêt ne représente que 30 % de la valeur de ma maison. Je n’ai perdu que mes économies, placées en actions de Glitnir ! » Mais pour d’autres, c’est la catastrophe.

Ces cinq dernières années, le revenu des ménages avait augmenté de 45 % en moyenne. Leur endettement avait doublé, tandis que tous se faisaient construire de magnifiques maisons et s’équipaient de luxueux véhicules tout terrain, entièrement financés par des emprunts en yens ou en francs suisses. Avec la dévaluation de la couronne, certains foyers ont vu doubler le montant de leurs échéances, tandis que la valeur de leurs biens s’effondrait.

Quelque 85000 petits épargnants ont perdu toutes leurs économies. Quant à l’inflation, elle a bondi de 14 % en septembre 2008. Une cellule de soutien psychologique vient d’être ouverte à Reykjavik, comme lors de la dernière éruption volcanique...

À première vue, cependant, rien n’a changé dans la capitale. Des 4 ?4 dernier cri encombrent toujours les petites rues du centre-ville. Les magasins sont pleins. « Je n’ai pas encore subi de baisse de fréquentation, affirme Erna Kaaber, patronne d’un Fish & chips bio. Mais j’ai fait un important stock de riz, car je sais que les prix vont fortement augmenter lors de la prochaine livraison.

Quant aux salades, importées des États-Unis, je vais devoir arrêter : on ne va bientôt plus pouvoir se les offrir... » À la crise, il y a des conséquences plus dramatiques. Une journaliste parle de « suicides », mais confie-t-elle, « on nous a demandé de ne pas en parler, pour ne pas donner d’idées à d’autres désespérés... ». Et des « dommages collatéraux » stupéfiants, comme cette tournée de l’Orchestre symphonique d’Islande, annulée il y a quelques jours par les Japonais, apeurés par la « réputation » de ce pays !

Aucun membre de l’Union européenne ni aucun des alliés traditionnels de Reykjavik n’est venu à la rescousse. Pis : dans le but de protéger les dépôts de milliers d’épargnants britanniques, Londres n’a pas hésité à utiliser la législation antiterroriste pour geler les avoirs des banques islandaises au Royaume-Uni ! Du coup, un rapprochement avec l’Union européenne, évoqué au début de la crise, n’est absolument plus d’actualité. « Dans une telle situation, on doit se chercher de nouveaux amis », a lâché, visiblement amer, le premier ministre, Geir Haarde.

Et la semaine dernière, à la stupeur générale, on apprenait que Reykjavik était en train de négocier l’octroi d’un prêt de 4 milliards d’euros par Moscou. « Je crois que la fuite a été organisée pour faire réagir nos alliés de l’OTAN, explique Karl Blondäl, rédacteur en chef adjoint du grand quotidien Morgunbladid. Mais, à part une vague proposition norvégienne, il ne s’est rien passé. Même si je ne pense pas qu’il y aura des conditions formelles liées à ce prêt, il nous sera désormais difficile de protester contre l’entraînement des avions de chasse russes, qui survolent notre île tous les mois... »

Directeur de l’Institut de recherches économiques islandais, Gunnar Haraldsson, lui, espère toujours une intervention du FMI. « Heureusement, les bases de notre économie sont saines, affirme-t-il. Les industries de l’aluminium et de la pêche sont fortes. Mais cette crise va avoir des effets négatifs sur d’autres secteurs, comme le commerce.

En tout cas, nombre d’Islandais vont devoir changer de vie. » Ce sera le cas de Kristjan Davidsson. « J’ai commencé à travailler à l’âge de 16 ans, comme pêcheur, sur le bateau de mon père, raconte-t-il. C’était mon rêve de devenir marin. Je ne sais pas pourquoi je me suis laissé embarquer, en 2001, dans la banque... Avec mes 47 ans et mon arthrite, je ne pense pas pouvoir reprendre ce métier très dur, mais ce qui est certain, c’est que je vais revenir dans le secteur de la pêche. » Comme lui, ils sont nombreux à placer leur espoir dans la mer. Le secteur de la pêche n’est, pour l’instant, guère touché par la crise, et représente environ 60 % des exportations de marchandises.

Si l’Islande « peut rebondir », comme l’assure le président, Olafur Ragnar Grimsson, ce sera notamment grâce à la mer. Dans ce pays rude, l’un des plus pauvres du monde jusque dans les années 1970, il reste, selon lui, « un énorme potentiel pour la production d’énergie renouvelable, d’importantes ressources halieutiques et les beautés naturelles » du paysage, qui attirent de nombreux touristes.

« Mes parents, restés au village de Thingeyri, niché au creux d’un fjord au nord-ouest du pays, n’ont entendu parler de la crise qu’à la télévision, explique Kristjan Davidsson. Là-bas, on n’a jamais obtenu de prêt, on vit encore du poisson. » Pour Halldor Halldorsson, président de l’Association des communes d’Islande, ce sont justement les municipalités rurales, qui ont souffert pendant la période d’expansion, qui pourraient jouer un rôle clé dans la reconstruction de la société.

« Ce week-end, je vais aller voir mon ami d’enfance, qui élève des moutons à Thingeyri, raconte Kristjan Davidsson. D’habitude, je lui apporte des fruits et des légumes, car je sais qu’il ne peut guère s’en offrir. Mais là, je sais qu’il me fera un bon prix pour sa viande. » Le retour de la solidarité au sein de cette grande famille -si l’on remonte à la sixième génération, tous les Islandais sont apparentés-, la fin du consumérisme, de la course effrénée à l’argent, voilà qui n’est pas une si mauvaise chose, admettent de nombreux Islandais. « Nous voilà devant une chance de créer une société plus saine ! », lance Karl Blondäl. « Et puis, tout n’est pas si noir, tempère Gudny Einarsdottir, DRH dans une entreprise de biotechnologie. Il y a encore des sociétés qui embauchent !

Le plus important, c’est que tout le monde se serre les coudes. La semaine dernière, je n’ai jamais reçu autant d’invitations chez mes amis. » Même constat pour le père Jakob Rolland, chancelier du diocèse de Reykjavik, qui a organisé plusieurs veillées de prières et dîners gratuits pour les paroissiens : « On constate déjà un retour aux vraies valeurs, la famille, la solidarité, l’éducation, assure le prêtre. Maintenant les jeunes, qui ont souvent été trop gâtés, vont retrouver les joies simples, le plaisir d’être ensemble. Et leurs grands-parents, qui en ont vu d’autres, leur apprendront à accommoder les restes de poisson. »

Stéphane KOVACS

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2) Islande : Les paiements internationaux sont gelés

Pendant que la quasi totalité des bourses mondiales repartent à la hausse, Reykjavik a enregistré mardi 14 octobre à midi une chute vertigineuse de 76% de son indice (l’OMX 15). Depuis la semaine dernière, l’Islande a vu son système bancaire s’effondrer, entraînant dans sa chute l’économie toute entière de ce petit pays qui se flattait hier du plus haut niveau de vie de la planète, concurrençant l’arrogant Luxembourg.

La banque centrale d’Islande a annoncé, jeudi 16 octobre 2008, qu’elle intervenait sur le système des paiements internationaux du pays pour libérer les échanges, alors que certains paiements venant de l’étranger sont actuellement bloquées en chemin.

La banque centrale, Sedlabanki, a expliqué qu’elle détournerait temporairement les paiements en route depuis et vers l’Islande sur ses propres comptes.

Le pays s’est trouvé progressivement coupé du commerce international après l’effondrement de ses trois principales banques, passées sous contrôle public, en situation de faillite. Certaines institutions étrangères redoutent maintenant que leurs paiements n’arrivent pas au bon destinataire.

Le gel du système met aussi certaines institutions islandaises en difficulté. Elles ne sont plus en mesure de payer leurs dettes parce qu’elles ne reçoivent plus les fonds qu’elles attendaient.

Associated Press

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1) Islande, le paradis de la finance devenu enfer économique

Pour mieux comprendre la crise financière, Marianne2 interroge des économistes sur ses épisodes marquants. Aujourd’hui, Jean-Marc Daniel, professeur d’économie à l’ESCP et à l’Ecole des Mines, revient sur le « miracle financier » islandais qui précipite l’île au plus profond de la crise.

Comment ce paradis économique de 300.000 habitants a-t-il pu connaître une telle déroute en si peu de temps ?

Jean-Marc Daniel, professeur d’économie à ESCP-EAP, chargé de cours à l’Ecole des mines de Paris et directeur de la revue Sociétal.

« Habituellement, les crises économiques des Etats sont présentées comme des crises des finances publiques : crise mexicaine de 1994, crise argentine en 1998, etc. Or dans le cas de l’Islande, les comptes de l’Etat sont en excédent et tout l’endettement est porté par les trois banques du pays. Et cet endettement est très élevé : il atteint en flux annuel 15% du PIB, ce qui en comparaison du pire déficit extérieur de l’Union européenne (Espagne :10% du PIB), est énorme.

La raison de cette dette tient à ce que l’Islande produit très peu mais a un niveau de vie très élevé. Pour compenser la différence, le système bancaire a, depuis les années 1990, emprunté massivement au Royaume-Uni et à la Suède. L’Etat a bien géré ses fonds mais les banques ont profité du système pour aller plus loin.

Le problème de ces dettes, c’est qu’elles ont été contractées en euros et en livres sterling, des monnaies très fortes. Or, pour garantir ces prêts, les banques ne disposent que de l’épargne des Islandais, donc de couronnes islandaises. Pour continuer d’emprunter, le système bancaire a dû remonter ses taux d’intérêts pour maintenir la valeur de la devise nationale très haut.

Quand les banques britanniques et suédoises, victimes de la crise, se sont retournées vers les banques islandaises toutes en même temps pour récupérer leurs mises, ces dernières ne pouvaient payer qu’en couronnes islandaises. Les banques étrangères ont refusé la devise et son cours s’est effondré. L’Etat islandais n’a pas eu d’autre choix que de nationaliser les banques, récupérant leurs dettes.

Maintenant, pour honorer ces emprunts, l’Etat doit trouver des euros et des livres sterling. Les banques étant paniquées, elles ne souscriront pas de prêts, il doit donc se tourner vers un autre Etat, ou un organisme international. D’un côté, la Russie propose son aide avec une forte arrière-pensée politique : depuis la création de l’Otan, l’Islande est une position stratégique et son renflouement par la Russie serait un signe fort pour les Etats-Unis. Les Islandais le savent et font mine de s’intéresser à l’offre de Moscou pour attirer la bienveillance américaine.

Mais la Réserve fédérale a d’autres économies à sauver. Reste le FMI. Mais les hésitations sont très fortes car le Fonds ne peut pas voler à la rescousse de tout le monde. Or, personne ne sait si, demain, la Turquie ou un pays pétrolier frappé par la chute des prix du baril ne va pas avoir besoin de l’argent que le FMI aura donné à l’Islande. Il serait difficile de laisser plonger des pays en voie de développement au profit d’un des Etats les plus riches du monde.

L’enjeu est important et Dominique Strauss-Kahn peut en sortir grandi ou diminué. Sa victoire en tant que candidat socialiste à l’élection présidentielle de 2012 se joue peut-être à Reykjavík aujourd’hui ! »

Jean-Marc Daniel est directeur de la revue Sociétal. Il est l’auteur de La politique économique, paru dans la collection Que sais-je ? aux éditions PUF, et de l’ouvrage Le taureau face aux tigres, l’Europe et le reste du Monde, paru le 12 octobre 2008 aux éditions Pearson.

www.marianne2.fr


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