Janvier 1916 Projet de Manifeste pour la Conférence de Kienthal

jeudi 2 février 2023.
 

La Première guerre mondiale a éclaté début août 1914.

Causes de la Première Guerre Mondiale : capitalisme, nationalisme et responsabilité des Etats (23 juillet 4 août 1914)

Les grands partis socialistes de la Deuxième Internationale ont alors abandonné leur orientation de Guerre à la Guerre, de stratégie révolutionnaire contre leurs gouvernements au profit de l’Union sacrée dans chaque pays

Août 1914 : La trahison militariste et nationaliste de la 2ème Internationale

Les opposants à cette boucherie se sont retrouvés une première fois à Zimmerwald sur une orientation majoritairement pacifiste :

5 au 8 septembre 1915 : la Conférence de Zimmerwald maintient le drapeau du socialisme internationaliste contre les nationalismes militaristes

Cinq mois après cette réunion, Léon Trotsky, rédacteur du Manifeste de Zimmerwald prend à nouveau la plume pour rédiger le projet préparant une nouvelle conférence. Celle-ci se tiendra quatre mois plus tard, à Kienthal.

Cinq mois se sont écoulés depuis la Conférence de Zimmerwald où nous, socialistes d’Europe, avons lancé un cri d’indignation et d’appel. Cinq nouveaux mois de guerre ont passé, l’un après l’autre, sur l’humanité, et chacun de ces mois a vu les peuples acharnés à poursuivre leur propre extermination, leur propre ruine au milieu des carnages, supportant sans révolte l’œuvre hideuse d’un militarisme déchaîné qui ne peut plus être maîtrisé par les mains sanglantes des maîtres actuels des nations d’Europe.

L’extermination automatique de la fleur des peuples a poursuivi sa voie durant ces longs mois. De nouveaux milliards, par dizaines, extraits de la richesse collective par des emprunts de guerre ont été engloutis, consacrés exclusivement à la destruction de vies humaines et des conquêtes de la civilisation.

Si le cerveau humain travaille encore dans ce cercle infernal, ce n’est plus pour perfectionner et inventer des engins d’extermination. Le problème qui préoccupe actuellement les dirigeants, les savants, les inventeurs de tous les pays, consiste à trouver le moyen d’anéantir des armées entières au moyen de gaz empoisonnés. Mais les porte‑parole des classes dirigeantes stupidement obstinées ou ivres de sang, ne cessent de répéter que la guerre doit être menée « jusqu’au bout », jusqu’à la victoire complète, jusqu’à ce que la guerre ait trouvé la solution de toutes les questions qui l’ont provoquée. Cependant, en fait, la solution définitive s’éloigne de plus en plus, les opérations militaires s’étendent sur de nouveaux fronts et sur de nouveaux territoires, et chaque nouveau développement a pour conséquence et pour caractéristique l’enchevêtrement de problèmes nouveaux en même temps qu’il ravive d’anciennes plaies.

Durant cette période, la Bulgarie est entrée en guerre malgré l’attitude courageuse de la jeune social‑démocratie bulgare. La Serbie et le Monténégro se sont trouvés dépouillés, sous la poussée des armées austro-allemandes, de la pitoyable indépendance que leur laissaient encore leurs propres dynasties criminelles et les exigences impérieuses des grandes nations belligérantes. La neutralité de la Grèce est violée par ceux‑là mêmes qui, dans un boniment de parade foraine, se posent en champions du Droit et en défenseurs des faibles. Le tsarisme se conduit en mai en Perse et y étend sa propre tyrannie, se dédommageant ainsi à l’Est de ses insuccès à l’Ouest. Enfin l’Angleterre, dont la bourgeoisie dénonçait le militarisme d’autant plus qu’elle cultivait le navalisme, s’est trouvée contrainte, par la logique de la guerre, d’imposer aux masses populaires le fardeau du service militaire obligatoire.

Telles sont les nouvelles conquêtes de la guerre qu’on persiste à qualifier de libératrice des deux côtés des tranchées.

Se résignant à ces crimes, et même y contribuant et les défendant les organisations centrales, socialistes et ouvrières, liées à leurs classes dirigeantes dès août 1914, sont tombées de plus en plus bas, au cours de ces cinq mois, dans l’abdication socialiste.

Leur rôle fut réduit exclusivement à transformer tout l’acquis politique et moral du socialisme obtenu au prix du sang des martyrs, efforts créateurs des hommes de pensée et des sacrifices héroïques des masses, en une arme de conservation de l’État bourgeois, de protection des classes dirigeantes ébranlées jusque dans leurs racines par leurs propres crimes. Dans l’histoire de l’humanité, qui avait déjà connu la soumission du christianisme, puis celle de la Réforme et ensuite celle de la démocratie aux intérêts des classes dirigeantes, il ne pouvait y avoir de trahison plus éclatante, de crime plus grand, de chute plus honteuse que cet asservissement du socialisme officiel à la bourgeoisie, à l’heure de son sanglant déclin.

Devant les prolétaires d’Europe, nous flétrissons cette union de violence bourgeoise et de la trahison socialiste comme une menace redoutable pour la cause du socialisme et pour les progrès de l’humanité. Nous flétrissons la politique des social‑patriotes qui, tout en aidant directement et indirectement leur gouvernement à écraser le socialisme révolutionnaire dans leur pays, approuvent et encouragent l’opposition dans les pays ennemis et s’efforcent, par la confusion corruptrice ainsi créée, de préserver leur réputation socialiste aux yeux des masses qui aujourd’hui s’éveillent.

Entre ceux qui sont restés sous le drapeau de la révolution sociale et les social‑patriotes, mercenaires prisonniers ou esclaves volontaires de l’impérialisme, se placent les partisans d’un armistice socialiste, sans principes et sans clairvoyance. Au nom de l’unité socialiste et ouvrière, ils demandent à la minorité de désarmer devant les social‑patriotes exactement comme ceux-­ci ont désarmé, au nom de l’union sacrée, devant nos ennemis de classe.

Quand le destin du socialisme est en jeu, nous ne pouvons ni ne voulons connaître un pareil armistice. Et si notre lutte intérieure met en danger l’unité des organisations socialistes, la responsabilité en retombe sur ceux qui, profitant de la désorganisation prolétarienne provoquée par la guerre, foulent aux pieds les principes fondamentaux du socialisme. La défense de la patrie, la défense nationale que les social‑patriotes invoquent sans cesse ne sont en réalité qu’un nœud coulant que la bourgeoisie (aidée par les social‑patriotes) a passé au cou de la classe ouvrière : il faut briser ce lien qui irait se resserrant sans cesse.

Le prolétariat ne peut pas ne pas aspirer à assurer l’indépendance des nations. Mais il doit le faire non en soutenant le militarisme capitaliste qui le ronge, mais par la lutte ouverte contre lui. Notre voie n’est pas la guerre au côté des gouvernants mais la révolution contre eux.

La garde social‑patriote de la bourgeoisie, craignant le mécontentement et la révolte du prolétariat, essaie maintenant, par l’intermédiaire de l’ancien Bureau socialiste international de préparer, derrière le dos des masses socialistes trompées, la reconstitution de rapports fictifs entre les partis socialistes officiels des pays belligérants. Une main rivée au char du militarisme nationaliste, les social‑patriotes se préparent à se tendre l’autre main et à joindre leurs efforts pour étouffer, au cœur des masses, la conscience socialiste désormais réveillée, par le moyen d’une mauvaise contrefaçon de la solidarité internationale. Nous mettons les ouvriers en garde contre cette politique hypocrite : une nouvelle Internationale ne pourra être édifiée que sur la base des principes inébranlables du socialisme révolutionnaire ; à sa création, ne pourront prendre part les alliés des gouvernants, les ministres, les députés domestiqués, les avocats de l’impérialisme, les agents de la diplomatie capitaliste, les fossoyeurs de la Deuxième Internationale.

Une lutte sans merci contre le nationalisme, le rejet définitif des crédits militaires indépendamment de la situation stratégique et diplo­matique du pays, la dénonciation impitoyable des mensonges de la défense nationale et de l’union sacrée, la mobilisation des prolétaires pour l’attaque révolutionnaire contre la société bourgeoise – telles sont les conditions nécessaires pour la création d’une véritable Inter­nationale socialiste. Cette politique, résolument socialiste et révolu­tionnaire, est la seule qui puisse assurer au prolétariat une influence à l’issue de la guerre, ainsi que sur les rapports internationaux qui s’établiront après le rétablissement de la paix.

Les social‑patriotes déclarent, du haut des tribunes parlementaires, qu’ils sont opposés aux annexions. Certains d’entre eux ajoutent qu’ils sont partisans du droit des nations à disposer d’elles‑mêmes. Mais ces belles phrases ne changent rien au fait certain que les social‑patriotes travaillent de toutes leurs forces à assurer la victoire à leur militarisme national, et, par conséquent, préparent inévitablement des annexions brutales : on ne peut pas lutter vraiment contre les annexions sans combattre leur instrument qui est le militarisme ; il est impossible de protéger l’indépendance des peuples tout en aidant le capitalisme armé à la détruire.

En projetant des annexions territoriales en Europe, en attentant à l’indépendance des nations à Belgrade et à Salonique, à Bruxelles et à Téhéran, les gouvernants des deux groupes antagonistes s’efforcent de préparer en même temps la division de l’Europe de demain en deux puissants blocs économiques, séparés par le fil barbelé des tarifs douaniers. Entre ces deux trusts d’États gigantesques éclatera, dès le lendemain de la conclusion de la paix, une bataille commerciale incessante et implacable. Cette perspective, aussi bien que les annexions, promet aux leurs d’Europe, épuisés par la guerre, une nouvelle aggravation de leurs conditions de vie, un renforcement du militarisme, de la dictature (les banques et des trusts, l’arrêt de la législation sociale et une réaction politique forcenée. La lutte contre les tranchées douanières qui ont pour effet d’accélérer la désorganisation de l’économie européenne ne peut être menée que simultanément avec la lutte contre les tranchées du militarisme.

La lutte contre la tyrannie politique, contre les armées permanentes, contre la diplomatie secrète et pour la démocratisation de tous les États européens est la condition première de l’unification politique et économique de l’Europe.

Ouvrières et ouvriers !

Si la guerre enfantée par l’impérialisme dévaste l’Europe, une paix conclue par les nationalistes actuellement au pouvoir ne pourra que renforcer et accroître l’hostilité entre les nations et être la cause de nouvelles catastrophes de plus en plus dévastatrices. Si nous n’avons pas su empêcher la guerre, nous sommes tenus de faire tous nos efforts pour imposer aux belligérants notre paix. A la puissance des dirigeants qui se nourrit de notre passivité et de notre soumission, nous devons opposer notre force à nous : la conscience révolutionnaire et la volonté de lutter sans merci. Nous vous appelons à cette tâche. Assez de patience ! Assez de silence ! Que la parole de colère et de révolte retentisse partout ! Que l’acte suive la parole !

Entendez‑vous ! Ouvrières et ouvriers d’Europe ! Si une faible partie seulement de ces sacrifices, de ces vies, de ce sang que la guerre exige avait été sciemment consentie à la cause du socialisme, l’Europe eut été tôt libérée du honteux régime d’oppression et d’exploitation, et nous aurions la certitude de voir nos fils entrer dans le royaume du travail et de la justice. Sachez donc trouver en vous la résolution de donner toutes vos forces et, s’il le faut, votre liberté et votre vie même pour le salut de l’humanité !

Luttez contre les absurdes et immenses sacrifices que la guerre exige sans répit et sans fin, contre le militarisme déchaîné, contre la barbarie et la lâcheté des dirigeants, luttez sans hésitation, sans trêve, de toutes vos forces !

A bas la guerre ! A bas les annexions ! les contributions de guerre ! Vive la liberté et l’indépendance des nations ! Vive l’union économique des peuples !

Vive la Révolution !

Vive le Socialisme !


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message